Il s’acagnarda sur la banquette avant.
Carlo s’approcha de la voiture de police.
Il lâcha une courte rafale dans les pneus, puis une autre dans l’appareillage radio.
— Écoutez, vous autres, dit-il. Vous allez marcher en direction du bois sans cesser de lever les bras, ou je tire, compris ?
Les gens de justice obéirent. Lorsqu’ils furent éloignés d’une cinquantaine de mètres, Carlo sauta dans la voiture.
— Allez, en route ! lança-t-il.
Beuck rentra sa grosse tête dans ses épaules et démarra en voltige. Il savait que, sitôt hors du champ de tir, les flics sortiraient leur artillerie… Un pruneau égaré était toujours à craindre.
Mais Carlo connaissait son affaire. Il avait éloigné les policiers à la bonne distance. Le temps que ceux-ci se décident à baisser les bras, à empoigner leurs armes, à tirer, il était trop tard… La vieille guimbarde disparaissait dans un nuage de poussière.
Carlo pointa le canon de sa mitraillette juste dans le dos de Dorman.
— Pas plus difficile que ça, gouailla-t-il. Surtout ne joue pas au malin, car je te ferais sauter la tête. On ne plaisante plus, tu piges ?
Dorman ne répondit pas.
Il était triste à crever.
CHAPITRE XIV
Ça commence !
Dudly avait décidé que le grand questionnaire aurait lieu au Nid d’Aigle.
Pour le genre d’interrogatoire auquel il devait procéder, il était préférable de « s’organiser » dans un endroit paisible.
Les premières lueurs de l’aube caressaient les vitres de la croisée lorsqu’un ronflement de moteur se fit entendre.
Le gangster ouvrit la fenêtre. L'air vivifiant de la forêt lui emplit les poumons d’une bouffée salubre.
Il entendit la voiture dans la côte et bientôt, la vieille Plymouth de Beuck déboucha au tournant de l’allée.
Enfin !
Ils avaient réussi, Dorman était entre leurs mains.
Il aperçut le visage blême du gangster aux côtés du gros policier.
La voiture stoppa devant le perron. Carlo en jaillit. Un Carlo hirsute qui ne s’était pas rasé depuis deux jours. Il ouvrit la portière avant, du côté de Dorman.
— Arrive ! lui lança-t-il.
Le petit gangster descendit de voiture.
— Bras en l’air, s’il te plaît !
Dorman leva les bras.
C'est à cet instant qu’il aperçut Dudly, debout, en haut du perron. Alors son visage pâle vira au vert. Ses lèvres se décomposèrent et il se mit à trembler.
Le chef de bande avait vraiment l’air terrifiant à cet instant. Les bras croisés, le corps cambré, la tête droite, le regard aigu comme celui d’un oiseau de proie, il ressemblait à la statue de la Vengeance.
Beuck descendit de voiture à son tour. Il chancelait de fatigue, car il avait passé près de douze heures au volant, conduisant à toute allure par des chemins détournés pour essayer d’échapper aux flics canadiens.
C’était la première fois de sa vie qu’il se livrait à un coup de main et il en avait gros sur la patate. Cette fois, il avait franchi la frontière du crime ; il se trouvait de l’autre côté de la légalité et cela lui déplaisait d’autant plus qu’il ne se sentait pas du tout le tempérament d’un gangster.
Et c’était sur lui que les ennuis allaient fondre. C’était avec sa voiture qu’ils avaient donné l’assaut aux flics et ceux-ci, par un réflexe qu’il connaissait bien, avaient dû noter son numéro.
Il regarda Dudly sans la moindre sympathie.
— Encore besoin de moi ? demanda-t-il.
Il avait tellement de travail à faire, lui, maintenant : tout d’abord aller porter plainte pour le vol de sa voiture, car il prétendrait qu’on la lui avait dérobée. Ensuite, camoufler un peu son aspect physique de manière à ce que son signalement ne correspondît plus à celui que pourraient en donner les flics canadiens. Heureusement qu’il n’était pas descendu de voiture et qu’il avait pris soin de relever le col de son veston !
Oui, il pouvait encore s’en tirer. Ce qui lui faisait mal au cœur, par exemple, c’était de devoir se séparer de sa Plymouth. Il l’aimait comme un personnage familier… Mais baste, ici bas rien n’est éternel et la vie n’est qu’une succession de séparations plus ou moins douloureuses.
Il regardait Dudly, attendant l’autorisation de partir qu’il venait indirectement de solliciter.
— Si, fit Dudly, encore besoin de vous, mon vieux. Arrivez !
Le cortège pénétra dans la maison.
— À la cave ! ordonna Dudly à son complice.
Carlo ouvrit la porte du sous-sol.
Il n’avait pas lâché son revolver, dont le canon demeurait obstinément braqué sur la poitrine de Dorman.
Les quatre hommes descendirent à la cave.
Le sous-sol était compartimenté. Il y avait une cave à vins, une cave à combustibles et une troisième pièce qui, à première vue, semblait sans utilité précise.
C'est dans cette dernière qu’ils entrèrent.
Une chaise en tubes métalliques et un rouleau de fil de fer en constituaient tout l’ameublement.
— Tu dois être fatigué, hein, mon petit Dorman, dit Dudly. Les émotions, le voyage… Il faut te reposer, assieds-toi.
Dorman jeta un regard éperdu autour de lui.
Il ne vit que des murs épais et des visages hermétiques dans les yeux desquels luisait la haine.
Oui, décidément, il avait bien perdu et il aurait mieux fait d’accepter le verdict de la justice canadienne plutôt que de choisir cette évasion…
Drôle d’évasion !
Évasion dans la mort. La Grande Évasion, en somme !
Il soupira et s’assit sur le siège que le chef de bande lui désignait.
Dudly se baissa et saisit le rouleau de fil de fer. Il se mit à ligoter très solidement Dorman sur la chaise. Il n’en finissait plus de tortiller le fil et de serrer. Il serrait avec tant de rage que le fil de métal pénétrait dans les chairs de Dorman.
Le malheureux grimaçait de douleur.
Lorsque ce fut fini, Dudly tira de sa poche une fine pochette de soie blanche et s’épongea le visage.
Il était en nage.
— Voilà pour calmer les gros dégourdis, fit-il observer.
Carlo ricana et rengaina son feu.
— Je commençais à avoir mal au poignet à force de brandir ce machin-là, dit-il.
Dudly alluma tranquillement une cigarette.
— Dorman, avant de vous poser la moindre question, je tiens à vous donner un échantillon de ma hargne… Regardez bien ce dont je suis capable.
Il se tourna vers Beuck.
— Cher Beuck, fit-il, vous avez fait ce que vous avez pu pour racheter votre… mettons votre peccadille ; seulement, une peccadille, dans mon optique à moi, c’est inadmissible.
Il cueillit le revolver de Carlo dans sa poche.
— Qu’allez-vous faire ? balbutia le gros homme.
Dudly le regarda droit dans les yeux.
— Vous le savez bien ! fit-il. Vous savez bien, Beuck, que ça ne pouvait pas se terminer autrement.
L’ancien policier se mit à suer à grosses gouttes.
— Non ! Non ! C'est impossible…
— Ne soyez pas ridicule, vieux !
Dudly appuya le canon du revolver sur la grosse bedaine de Beuck.
Beuck essaya dans un geste d’autodéfense de détourner le canon de l’arme, mais Dudly le tenait fermement appuyé et pesait de toutes ses forces sur la crosse. Le gros homme avait l’impression que cette arme allait le perforer sans que celui qui la tenait en main eût à en actionner le mécanisme.
— Non, non, souffla-t-il.