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— Sais pas !

— Tu as une idée d’où vient le coup ?

— Non, mais nous avons tous des ennemis, décréta philosophiquement Dudly.

Il désigna la bouteille de White and Black à son second.

— Prépare-toi un biberon, si le cœur t’en dit.

Carlo prit un verre et se versa une confortable rasade de liquide brun.

— Le nouveau cuistot te va, a priori ? demanda-t-il presque timidement.

Dudly, suivant une habitude qui lui était familière, répondit à la question par une autre question.

— Où l’as-tu déniché ?

— Nielson, fit laconiquement Carlo.

— Il l’avait dans ses cartons ?

— Oui. Il paraît que ce type s’est annoncé ce matin chez lui, bardé de certificats sensationnels. Il me les a montrés. Si ça n’est pas de la postiche, ça doit être un as.

— Nous verrons, dit rêveusement le gangster.

Il appuya sur un timbre ; Banane parut.

— Tu vas aller à la première localité venue, lui dit-il, et tu ramèneras un chien.

— Un quoi ? sursauta le chauffeur.

— Un chien… Plus il sera affamé, mieux cela vaudra.

Banane, comme tous ceux travaillant sous les ordres de Dudly, savait qu’il ne fallait jamais discuter les directives du gangster, si saugrenues qu’elles pussent paraître.

— Un chien, bon ! murmura-t-il en tournant les talons.

Carlo regarda Dudly ; il avait envie de le questionner, mais il savait que Dudly ne supportait pas ça. Il y avait une foule de choses que Dudly n’aimait pas et, pour sa propre santé, mieux valait en connaître la liste.

Ils restèrent une heure assis dans la tiédeur moelleuse du living-room, buvant et fumant en silence.

Puis Banane revint, traînant au bout d’une corde une espèce de chien jaunâtre, sans race précise, dont les côtes saillaient comme des cercles de barrique.

— Je l’ai trouvé dans la cour d’une ferme, dit-il, par ici les gens sont d’un radin ! Regarde-moi cette bestiole : ma parole, on la nourrit avec des comprimés de courant d’air !

Dudly flatta l’animal d’une caresse brève.

Le chien courba l’échine, soumis.

Bêtes et gens avaient la même attitude devant Dudly.

— Il y a des conserves ? demanda le gangster.

— Des tonnes !

— Apporte du beef, des biscottes et de la gelée de groseille.

Banane le considéra d’un air surpris.

— Je peux me permettre une question ? demanda-t-il humblement.

— Vas-y.

— C'est pour toi ou pour le clébard ? Parce que si c’est pour toi, je te déconseille de briffer maintenant, le nouveau cuistot est en train de mijoter un de ces poulets à la crème qui embaume toute la boîte, tiens, on le sent d’ici…

— Va chercher ce que je te demande, fit Dudly, et ne dis rien au cuisinier. Ce soir, c’est toi qui serviras à table, vu ?

— O.K. !

Penaud, Banane se retira.

— Tu permets que je mette le couvert ? demanda Carlo qui avait assisté à la scène sans souffler mot. Je me sens nerveux, ce soir : besoin d’action…

— Bonne idée, approuva Dudly.

Il alluma un nouveau cigare et joua un bon moment avec la fumée.

* * *

Banane était triomphant lorsqu’il apporta le poulet.

— C’est pas une splendeur ? demanda-t-il.

— Si, convint Dudly.

— Il doit être fameux !

— Sûrement.

Il laissa son acolyte découper la volaille et, lorsque ce fut fait, il choisit deux ou trois bons morceaux, les désossa et donna la chair au chien.

Carlo avait compris et ne disait rien. Seul Banane, dont le cerveau fonctionnait au ralenti, plissait son front bas au point que ses cheveux drus rejoignaient ses sourcils touffus.

L'animal, ravi de l’aubaine, se jeta sur cette nourriture de premier choix qu’il devait certainement consommer pour la première fois.

En quatre coups de gueule il eut dévoré cette moitié de poulet.

Dudly attendit un moment. Puis il répartit les os qu’il avait réservés dans les trois assiettes, barbouilla celles-ci de sauce et fit signe à Banane de rapporter le tout à l’office.

— Si tu dis un mot de tout ça au cuisinier, dit-il, je t’arrache la langue… Apporte la suite !

La suite était un chop suey.

Il procéda comme pour le poulet.

Le chien se montra moins vorace, car ces animaux ne sont que très peu végétariens.

Lorsque le chop suey fut remporté, il y eut un gâteau de riz. Puis le café…

Les trois hommes ne touchèrent à aucun des plats.

— Maintenant, déclara Dudly, ouvrez les conserves, les gars, et mangez.

Ils vidèrent la boîte de viande en buvant du whisky.

— Range les assiettes sales dans le buffet sans les laver, ordonna Dudly à Banane lorsque ce fut fini.

Comme il achevait ces mots, le chien poussa un petit cri très bref et s’abattit sur le tapis de haute laine, foudroyé.

Carlo regarda son patron d’un air admiratif.

— Compliments, fit-il. Si tu n’étais pas plus malin que le diable…

Dudly eut un léger sourire.

— … nous serions tous les trois allongés sur le plancher, acheva-t-il.

Banane, qui venait enfin de comprendre, serra les poings.

— L'enfant de salaud ! grinça-t-il. Il nous farcissait comme des rats, nom de fichtre !

— Ça va, calme-toi, dit Dudly.

— Il va nous payer ça !

— Pas tout de suite.

Le chef de bande avait un sourire cruel.

— Tu as vu de quelle façon est tombé ce chien ? demanda-t-il.

— Oui.

— Tu vas aller à la cuisine parler avec le gars, et, brusquement, tu t’effondreras… Je veux voir ses réactions, nous allons agir de même de notre côté.

Banane eut un affreux rictus.

— En tout cas tu me laisseras faire, après !

— Nous verrons.

Dudly s’étendit en travers du canapé et Carlo se mit face contre terre.

Le chien réellement mort complétait l’illusion d’un carnage. C’était saisissant.

Les deux hommes attendirent très peu de temps. Cinq minutes à peine s’écoulèrent avant qu’on frappât discrètement à la porte. Puis celle-ci s’ouvrit doucement.

Zaridès entra, furtif et méfiant.

Il fit trois pas à l’intérieur de l’appartement tout en regardant attentivement les deux hommes et le chien étendus.

Ensuite il s’approcha de Dudly et passa une main preste à l’intérieur de son veston.

Ses doigts experts saisirent son portefeuille. Il l’ouvrit, en vida le contenu et s’empara d’une clef plate qui s’y trouvait.

Il hésita devant la liasse de banknotes, en glissa la moitié dans sa poche et, avec un profond soupir, introduisit le reste dans la pochette de cuir qu’il remit en place.

Sans doute avait-il reçu des instructions sévères. On avait dû lui recommander de ne pas prélever d’argent dans le portefeuille afin qu’en aucun cas le meurtre du gangster ne pût paraître avoir le vol pour mobile.

Il se dirigeait déjà vers la porte lorsque Dudly se redressa.

Le bruit pourtant faible fit se retourner l’empoisonneur.

Il ouvrit grand la bouche et ses yeux s’emplirent d’une indicible horreur.

Dudly tenait un revolver pointé sur lui.

CHAPITRE III

Ça chauffe !

— Les mains en l’air ! dit le gangster.

L’autre s’empressa d’obéir.

Dudly se tourna alors vers Carlo.

— Fouille-le, ordonna-t-il.