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— Cinq sacs ! dit l’autre.

Dudly siffla entre ses dents :

— Mazette, cinq mille dollars ! Il a les moyens, Dorman, dis donc !

Il tendit le récepteur à Zaridès.

— Demande-le… Et pas de coup fourré, autrement tu regretterais qu’une femme t’ait mis au monde, compris ?

Lui-même prit l’autre écouteur.

D’un index tremblant, le cuisinier composa le numéro de son employeur.

— Allô, Dorman ? demanda-t-il d’un ton qui se voulait courageux.

— Parfaitement. C'est Zaridès ?

— Oui. C'est fait, boss, le type est groggy, ainsi que sa bande…

— Ç’a été facile ?

— L’enfance de l’art !

— Tu as la clef ?

— Je l’ai.

— Bon, tu peux rappliquer tout de suite ?

Dudly fit rapidement signe à son prisonnier de répondre par l’affirmative.

— O.K., prends la bagnole de Dudly. Laisse-la dans les faubourgs et tape-toi un taxi. Je ne tiens pas à ce que tu amènes son tombereau devant ma porte, il barrerait la rue.

— Bon.

— Démerde-toi, je t’attends !

Zaridès raccrocha et regarda Dudly avec effroi. Il sentait que, maintenant que le chef de bande lui avait fait jouer son rôle, il n’avait plus du tout besoin de lui et qu’il avait tout à redouter de cet homme impitoyable.

— Viens ! ordonna Dudly.

Ils retournèrent au hangar.

— Qu’allez-vous… Qu’est-ce que ?

Le Grec flageolait.

— Tu le verras bien, dit Dudly. Où serait l’élément de surprise si je te racontais à l’avance ce qui va se passer ?

— Vous n’allez pas me tuer !

Dudly lui mit presque gentiment la main sur l’épaule.

— Écoute, dit-il, j’espère que tu n’as pas cru une seconde que j’allais offrir une maison à la campagne au type qui a cherché à m’empoisonner ! J’en ai liquidé parce qu’ils me regardaient de travers, alors, tu juges ?

Une troisième fois, il sortit son briquet.

Avant de le frotter, il dit à Banane dont les yeux brillaient de convoitise :

— Prends un fil de fer et attache-lui une patte à cet anneau scellé dans le mur.

— Non ! non ! hurla Zaridès.

— Décidément, fit Carlo qui, jusque-là, n’avait rien dit, c’est une drôle de nave que ce mec-là… Il m’écœure.

— Oui, renchérit Dudly. Il était tout juste bon à faire la cuisine.

Banane ligatura solidement la cheville du malheureux au moyen d’un énorme fil de fer.

Il attacha l’autre extrémité du fil à l’anneau que lui avait désigné Dudly.

— C’est solide ? interrogea Carlo.

— Un bœuf ne pourrait pas se sauver ! répliqua Banane.

Dudly déclara :

— Prends un autre bidon d’essence, répands-le en flaque sous ses pieds, et fais une traînée de plusieurs mètres, on va sûrement rire.

Banane s’exécuta.

Zaridès tremblait de tous ses membres. Une sueur glacée inondait son front, ses tempes et la paume de ses mains.

— Non, non, haleta-t-il comme un leitmotiv.

Il avait compris et il crevait de frousse.

S'il avait eu un revolver à sa disposition, il se serait fait sauter la cervelle sans hésiter.

— Es-tu un homme ou une souris ? lui demanda Dudly. Quand on se mêle de tuer les gens, il faut être certain de bien savoir mourir.

Le gangster était étrangement calme et maître de soi. Un vague et inquiétant sourire apparaissait parfois sur ses lèvres minces. Mais la bouche de Dudly n’était au fond pas faite pour le rire.

C'était une bouche cruelle.

La bouche d’un homme qui ne profère que des mots précis et n’exhibe que des sentiments vénéneux.

Il tenait à sa merci un homme qui avait voulu le détruire et il aurait voulu le déchirer de ses propres mains, lui arracher le cœur avec ses propres ongles.

Il fallait qu’il infligeât à Zaridès une mort exemplaire, à cause de son standing de gangster.

Il fallait qu’il conserve la face devant ses deux subordonnés.

Il actionna le briquet, se pencha, approcha la flamme mouvante du ruisselet d’essence jusqu’à ce que celui-ci prît feu.

Une flamme gigantesque s’éleva alors, mince et haute comme une barrière. Elle courut en direction de l’homme enchaîné, devenant plus haute, plus nourrie à mesure qu’elle approchait de lui. Puis, soudain, ce fut comme le grand soleil dans un feu d’artifice.

Il y eut une sorte de claquement de drapeau malmené par le vent.

Zaridès s’embrasa comme une torche.

C’était formidable et grandiose. L'homme eut l’air d’une sorte de dieu du feu.

Il poussa un cri terrible.

Le feu sembla le dilater, lui faire dépasser la mesure humaine.

Il se tordit dans son fil, puis se jeta à terre.

Une affreuse odeur de chairs calcinées se répandit à la ronde.

Le cuisinier se tut.

Son corps subit alors la transformation contraire, c’est-à-dire qu’il se racornit, se recroquevilla.

Le brasier diminua d’intensité. Ce ne fut bientôt plus qu’une immonde masse incandescente qui se mit à grésiller dans le hangar comme une pomme sur le feu.

CHAPITRE IV

Les préparatifs de Dorman

— Allons boire un whisky, décréta Dudly. Ce bougre-là m’a donné soif. Moi qui comptais passer un week-end tranquille…

Il se voulait maussade, mais ne parvenait pas à jouer le jeu.

Cet incident l’avait émoustillé.

Il se jeta dans un fauteuil et attendit que Carlo eût empli son verre.

— Drôle d’histoire, fit-il enfin.

— Oui, convint Carlo. Qu’en penses-tu ? Pourquoi Dorman, qui est un minus, a-t-il essayé de te poivrer ? Quel intérêt a-t-il ?

— Je ne sais pas encore, fit Dudly, mais il faut croire que cet intérêt était grand pour qu’il n’hésite pas à allonger cinq sacs à un type.

Il médita un instant.

— À coup sûr, reprit-il, il n’agit pas pour son compte, mais pour celui de quelqu’un d’autre bien plus puissant que lui.

— On peut le savoir, affirma Carlo.

— Parbleu ! Nous allons le savoir, acquiesça le gangster. Tu as entendu ? Il attend Zaridès qui va lui rendre visite…

— Ce sera qui ? demanda Carlo.

— Toi… Banane t’accompagnera. Embarquez-moi cet enfant de garce en douceur et ramenez-le ici, compris ?

— D’accord.

Carlo se leva.

— On file tout de suite ?

— Oui.

— Il se pourrait que Dorman soit sur ses gardes.

— S'il y a du pastaga, que fait-on ?

— Vous en faites encore davantage !

— O.K.

Carlo se versa un dernier whisky tandis que Banane sortait la voiture du garage.

* * *

Dorman était un petit type maigre et anxieux au regard tourmenté. Il était blond fadasse et avait un long nez tortueux.

Il occupait, nous l’avons dit, une place de troisième zone dans la pègre de Detroit. Il vivait de chantage et d’autres expédients aussi peu reluisants. Jamais il n’avait fait parler de lui et il passait pour un gagne-petit sans ambition. Les gros bonnets ne s’intéressaient pas à lui, ce qui lui permettait de mener une existence végétative mais sans histoires.

Il habitait un petit appartement dans la Quatorzième Rue Ouest, au-dessus d’un établissement assez mal famé où les demi-portions de la ville venaient jouer au billard et à la passe anglaise.