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— Monte ! ordonna Carlo.

Il pénétra à l’arrière de l’auto. Carlo s’installa à côté de lui sur la banquette moelleuse, tandis que Banane se glissait derrière le volant.

Ils démarrèrent.

Dorman réfléchissait à toute allure. Le poison n’allait pas tarder à agir. Que se passerait-il alors ?

Banane sifflotait tout en conduisant. Il appuyait sec sur l’accélérateur.

Carlo avait un revolver à la main.

Décidément, ça se présentait rudement mal !

Ils traversèrent les faubourgs populeux ; puis la voiture se dégagea peu à peu du flot de la circulation. L'aiguille du compteur fit un bond sur le cadran.

Le vent miaulait à la portière.

Dorman n’était plus qu’un cerveau tendu vers la même question : « Qu’allait-il se passer ? »

La route devint plus étroite et se lança à l’assaut de la colline, dans la trouée de sapins.

Banane sifflait toujours.

S'il tenait le coup jusqu’au Nid d’Aigle, tout était fini. Dorman parlerait pour éviter la torture et il subirait son sort, du moins celui que Dudly avait déjà conçu pour lui.

C'était le jeu.

Dans une partie, il y avait toujours le gagnant et le perdant, on ne pouvait rien contre cela. Si seulement…

… Et cela se produisit.

Cela se produisit comme la voiture, lancée à folle allure, amorçait un virage.

Banane eut une terrible contraction et piqua de la tête sur le volant.

Carlo sursauta.

— Banane ! Hé, Banane ! hurla-t-il.

Mais il n’eut pas le temps d’en dire plus. L'automobile, continuant tout droit sa trajectoire, quitta la route, fit un bond prodigieux dans le fossé, se dressa contre le talus abrupt et alla percuter un arbre. Il y eut un choc sourd et violent, puis ce fut le silence.

Les passagers de l’arrière avaient été malmenés comme des boules à numéro dans la sphère d’une loterie.

Dorman avait eu toutefois un avantage sur son voisin de banquette : il avait prévu ce qui allait se passer et s’était aussitôt mis en boule, la tête dans les bras.

Il se redressa lentement et s’ébroua.

Il n’avait rien de cassé. Il regarda Carlo. Ce dernier était sans connaissance.

Une bosse plus grosse qu’une aubergine se développait à une allure vertigineuse sur son front.

Dorman ramassa le revolver qui était chu sur le plancher de l’auto. Puis il essaya d’ouvrir la portière de la voiture, mais le choc l’avait bloquée. Il dut enjamber son compagnon pour pouvoir franchir l’autre porte qui, Dieu merci, fonctionnait encore.

Il respira à pleins poumons l’air odorant de la forêt. Bon Dieu ! Ce qu’il faisait bon vivre et être libre !

Il fourra le revolver dans sa poche.

Il l’avait échappé belle ! Si le hasard ne s’était pas rangé de son côté, c’en aurait été bel et bien fini du petit Dorman.

Seulement, il n’était pas à l’abri pour autant. Dans l'immédiat, il avait gagné. C'était une première manche, ça n’était pas une partie totale.

Lorsque Dudly saurait ce qui était arrivé, il serait tellement en crosse contre lui qu’il mobiliserait tous les durs des États-Unis pour le retrouver et lui faire payer ça.

Oui, ça allait saigner !

Une vraie corrida !

Dorman savait qu’au cours de cette chasse à l’homme il ne pourrait compter sur personne. Dudly était un type bien trop puissant pour que quelqu’un acceptât de venir en aide à Dorman.

Il fouilla ses poches.

Avec une affreuse grimace, il vit qu’il ne lui restait qu’une dizaine de dollars sur lui.

Un instant, il eut envie de retourner à son domicile afin d’y récupérer le petit paquet de banknotes qu’il avait planqué dans le rembourrage d’un fauteuil ; mais, à la réflexion, il y renonça.

C'eût été par trop risqué. D’une minute à l’autre, Dudly apprendrait l’accident et déclencherait la guerre, la grande, contre lui.

Mieux valait profiter de cette légère avance pour se planquer. Mais où, Seigneur ?

Où ?

Il y avait Detroit derrière lui, hostile, plein d’indics et de faux jetons qui signaleraient sa présence.

Non, la ville lui était dorénavant interdite.

De l’autre côté, il y avait la forêt. Le lac… Et, derrière le lac, le Canada !

Oui, le Canada. Il n’y avait pas trente-six solutions : passer en territoire étranger était la seule conduite à adopter.

Il parviendrait bien à se faire un peu de fric, là-bas. À se planquer !

Pourquoi pas ?

Seulement, il fallait traverser le lac. Et ça, ce n’était pas une mince besogne.

Il flaira le vent.

Primo, il s’agissait de ne pas se paumer au milieu de ces sacrés sapins, d’autant plus que la nuit commençait à tomber.

Et puis lui, Dorman, était l’homme des bars et des salles de jeu. Il savait mieux manier les cartes qu’une boussole.

Il se souvint d’avoir aperçu le lac, peu avant l’accident, par une échancrure de la forêt. Il était juste sur la gauche.

CHAPITRE VI

Mise en route

— Je me demande ce qu’ils fichent, murmura Dudly.

Le crépuscule commençait à régner alentour, malgré la situation élevée du Nid d’Aigle. Cela voulait dire qu’en bas, dans la vallée, il faisait nuit, totalement nuit.

La pièce se diluait doucement dans l’ombre. Les meubles s’estompaient, devenaient mystérieux et improbables.

Cela faisait près de trois heures que ses hommes de confiance étaient partis. Trois heures ! Et il n’en fallait pas plus d’une, avec la grosse bagnole, pour faire le voyage aller-retour.

Qu’est-ce que cela voulait dire ?

On ne pouvait supposer que Dorman n’était pas à la maison, il avait dit à Zaridès qu’il l’attendait chez lui et il semblait même bougrement pressé de le voir.

Alors ?

Dudly bâilla. Il n’aimait pas cela. Il avait beau se dire que si l’opération n’avait pas marché normalement, ses hommes lui auraient téléphoné, il ressentait comme de l’angoisse.

« Sacrebleu, se dit-il, je deviens nerveux comme une femelle ! »

Il fuma ce qui lui restait de cigarette entre les lèvres et jeta le mégot par la fenêtre.

Des étoiles pâles tremblotaient dans un ciel figé, presque blanc.

« J’en aurai le cœur net ! » décida-t-il.

De toute façon, son week-end était fichu. Il griffonna sur une feuille de papier :

Retour en ville.

D.

Et il alla sortir la vieille bagnole qui, le matin, avait amené le malheureux cuisinier chinois.

* * *

Il conduisait doucement.

Dudly n’avait pas touché un volant depuis au moins dix ans, car il n’aimait pas conduire. Cela absorbait ses pensées et il aimait jouir de ses facultés sans être distrait.

Et puis, cette route toute en virages était mauvaise, surtout la nuit.

Le double pinceau des phares balayait la nuit qui devenait de plus en plus dense.

Tout à coup, comme il arrivait à un virage, Dudly aperçut une masse sombre et brillante sur sa gauche. Il freina et descendit de sa vieille carriole.

Tout de suite il reconnut sa grosse voiture nickelée.

Il se précipita.

L’une des portières était ouverte. Il tâtonna et alluma le plafonnier. Une lumière pâle et veloutée éclaira la scène : Banane était coincé contre son volant, déjà raide. À l’arrière, Carlo gémissait.