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Dudly s’activa à le dégager. Il sortit un flacon de rye d’une des poches à soufflet de la banquette et introduisit le goulot entre les dents de son adjoint.

L’alcool fit tousser Carlo et le ranima.

Il battit des paupières.

— Hello, grommela Dudly, rien de cassé, petit ?

L'autre respira profondément.

— Ma tête ! bégaya-t-il.

Dudly l’examina.

— Une fameuse bosse, mais ton crâne est entier. Essaie de te tenir debout.

Carlo obéit.

Il s’aperçut avec surprise qu’il y parvenait.

— Bois encore un coup ! Et maintenant, raconte un peu ce qui s’est passé.

Carlo vida le reste du flacon plat. Une brusque rougeur envahit son visage.

— Je ne sais pas ce qui s’est passé, fit-il. Banane a eu une syncope. Il s’est écroulé sur son volant et… Comment va-t-il ?

— Il est mort, dit calmement Dudly. Vous aviez le mec ?

— Oui.

— Ça n’est pas lui qui… ?

— Non, il était assis à mes côtés, sage comme une image. Il ne bronchait pas. Banane a vraiment eu un malaise. Peut-être une congestion cérébrale, qu’en penses-tu ?

— C'est possible, admit Dudly. Ça ou une embolie ; nous ne sommes que des hommes, après tout ! Et notre oiseau, envolé ?

Carlo regarda dans la voiture d’un air hébété.

— Merde, grommela-t-il. Il s’en est tiré, le bougre !

Il serra les poings.

— Il a eu une fameuse chance !

Dudly se pinça le nez.

— Il ne perd rien pour attendre. Il s’est laissé embarquer facilement ?

— Il a bien essayé de jouer au con, mais Banane lui a mis un coup de savate dans la tête. Tonnerre, j’ai cru que sa tronche allait éclater ; ç’a été la croix et la bannière pour le ranimer…

— Il ne faut pas perdre un instant, décréta Dudly. Il me faut Dorman dans les vingt-quatre heures. Je veux savoir pour le compte de qui il travaillait.

— Où allons-nous ?

— Laisse-moi réfléchir… Il avait de l’argent sur lui ?

— Non, fit Carlo. Banane avait examiné son portefeuille, il n’y avait que des clous.

— Ça m’étonnerait qu’il retourne chez lui après une alerte pareille, conclut le gangster ; il doit se douter que je vais remuer ciel et terre pour le harponner ; pourtant, c’est une chance à courir, car, sans fric, il ne peut espérer aller bien loin. Viens : s’il a décidé de repasser à sa cambuse, nous pouvons espérer lui mettre la main dessus, car les moyens de transport ne sont pas nombreux dans le patelin, et nous, nous avons une voiture.

En claudiquant, Carlo suivit son patron jusqu’au vieux teuf-teuf.

— Veux-tu que je prenne le manche ? demanda-t-il, connaissant la répugnance de Dudly pour ce genre d’exercice.

— Si tu te sens en état, oui, accepta le chef de bande. J’ai besoin de penser un peu à tout ça ; quelle journée ! Il y a de la distraction, décidément…

* * *

Ils n'échangèrent pas un mot jusqu’à leur retour en ville.

Carlo arrêta la voiture devant la porte de Dorman.

Ils gravirent les marches conduisant à l’appartement du petit bandit.

— Il n’est pas revenu, déclara Carlo en constatant que la porte n’était pas fermée.

— Entrons toujours, dit Dudly.

Il pénétra dans la taule.

Il y avait des gouttes de sang par terre. C’était le sang versé par Dorman à la suite du coup de pied de Banane.

— Tu es certain qu’il n’avait pas une ceinture sur la peau, avec son magot dedans ?

— Non, dit Carlo, il n’avait rien.

Ils se mirent en devoir de fouiller la pièce. Pas du tout à la manière des pillards, mais méthodiquement.

Dudly plissait les paupières et se dirigeait vers un tableau qu’il soulevait, ou bien il retournait le matelas du lit et le palpait minutieusement.

Il ne mit pas dix minutes pour dénicher le fric dans le fauteuil.

En examinant ce dernier, il avait aperçu une fente recousue sur le côté. Cette incision, extrêmement régulière, avait été faite par un rasoir, et la personne qui l’avait recousue n’avait jamais dû tenir une aiguille auparavant.

— Bon, fit-il en retirant la liasse de billets. Voilà son pognon. Donc il est sans moyens, c’est très important.

— Ouf ! murmura Carlo, quelle aventure… Tu crois qu’on l’aura ?

— J’ai toujours eu ceux que je voulais avoir ; il n’y a pas de raisons pour que Dorman échappe à la règle.

Il parlait d’une telle façon que Carlo frissonna. Avisant la bouteille de whisky, il s’en saisit.

— Heureusement que Banane en a laissé, dit-il, j’ai rudement besoin d’un coup de fouet !

Comme il portait le goulot à ses lèvres, Dudly s’écria :

— Arrête !

— Quoi ?

— Tu dis que Banane a bu de ce whisky ?

L’autre, qui venait de comprendre, se mit à trembler.

— Nom de Dieu, tu crois que… ?

Dudly renifla le flacon.

Il l’éleva devant la lampe électrique afin de le mirer par transparence. Ses yeux prompts, auxquels rien n’échappait, décelèrent quelques grains de poudre blanche.

— Dorman s’apprêtait à recevoir Zaridès, dit-il. Voilà pourquoi Banane prend des embolies au volant !

CHAPITRE VII

Canotage au clair de lune

Dorman déboucha de la forêt.

Le lac scintillait à ses pieds, sous la clarté diffuse de la lune.

La nuit était alourdie de senteurs de végétaux auxquelles cet homme de tripot n’était pas habitué et qui le chaviraient un peu.

Il était exténué, mais ne sentait pas sa fatigue.

Son salut lui importait plus que tout au monde. Jusque-là, ça n’avait pas trop mal marché. Pas mal du tout, même !

Dudly devait encore ignorer l’accident survenu à ses hommes. Et il mettrait un bout de temps avant de retrouver sa trace.

Dorman comptait bien mettre ce lac et la frontière canadienne entre lui et le dangereux chef de bande.

Il regarda l’immensité paisible des eaux. Au-delà de cette étendue grise, il y avait sa liberté…

Mais comment traverser ?

Il se mit à suivre les berges du lac.

Il avançait prudemment dans les roseaux, pareil à une bête fauve qui, la nuit, s’approche des campements.

Au milieu des joncs, il ne craignait absolument rien. Ceux-ci renforçaient l’obscurité et le dérobaient à toutes recherches. Seulement, des roseaux n’ont jamais été longtemps hospitaliers et il devait en sortir ; en sortir vite, avant le retour du jour.

Il marcha longtemps.

Il ne parvenait pas à apprécier les distances. Il suivait docilement les contours capricieux du lac. Parfois, ses pieds s’enfonçaient dans des zones de terrain marécageux. Il avait de la boue plein ses chaussures, ce qui alourdissait sa marche. Il se sentait pesant comme un scaphandrier.

Il avança ainsi près de deux heures, à demi courbé par la fatigue. Des étincelles d’or crépitaient dans sa tête. Il ressentait comme une sorte de brûlure aux genoux.

Des tiges de roseau brisées lui piquaient les jambes.

« Bonté divine ! se dit-il soudain, je vais crever de lassitude dans ce marécage ! »

Et juste comme il faisait cette constatation, il découvrit une lumière à quelques pas de lui.

Elle était à sa droite et, en marchant ainsi tête basse, il avait bien failli ne pas la voir.