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Il découvrit, à la clarté de la lune, une maison basse, trapue, contre les murs de laquelle séchaient des filets.

Des filets ! Cela voulait dire que la maison était habitée par un pêcheur. Or un pêcheur qui se sert de filets a forcément un bateau. Et un bateau, c’était tout l’idéal de Dorman à la minute présente !

Il sortit doucement des roseaux et s’approcha de l’habitation à pas de loup.

La lumière filtrait par les petits carreaux d’une fenêtre.

Le gangster se plaqua contre le mur de la bicoque et jeta un regard prudent à l’intérieur.

Il vit une pièce basse, en désordre. Un homme grand et roux mangeait une soupe au lard en lisant un vieux journal en lambeaux.

Il paraissait être le seul occupant de cette demeure isolée.

Dorman tira son revolver.

Il hésitait sur la façon d’entrer en matière. S'il frappait, cette visite nocturne semblerait tellement insolite au locataire qu’il ne sortirait pas, du moins sans être armé.

Ça avait l’air d’un rude gaillard !

Dorman n’était pas précisément courageux ; pourtant, avec un revolver, il se sentait moins seul.

Il décida d’avoir recours à une ruse.

Il contourna la maison afin que sa voix semblât venir de loin et il se mit à crier :

— Au secours ! À l’aide ! Je me noie !

Il vit, un instant plus tard, que son stratagème avait parfaitement réussi.

Un rectangle de clarté jaune s’abattit sur le seuil de la maison. L’homme roux venait d’en ouvrir la porte.

Dorman attendit un peu. L'homme était trop près de chez lui pour qu’un coup de surprise pût réussir.

Embusqué à l’angle de la demeure, les doigts crispés sur la crosse de son arme, Dorman le guettait comme un chat sauvage guette un oiseau.

La nuit avait tendu son voile de silence. Et ce silence n’était troublé que par les cris nostalgiques des oiseaux nocturnes.

L'homme fit quelques pas en direction de la berge. Il tendait l’oreille, essayant de capter d’autres cris.

Dorman se dit que le moment d’agir était venu. Il se glissa contre la façade de la maison. Lorsqu’il fut près de la porte, il sut que l’homme ne pourrait se précipiter chez lui pour s’y barricader.

Il était à sa merci maintenant ; le gangster le tenait au bout du canon de son feu et Dorman ne craignait personne dans ces cas-là.

— Les mains en l’air ! aboya-t-il soudain.

L'homme roux eut un sursaut.

Il fit volte-face, regarda Dorman, vit le revolver et leva les bras.

Il leva les bras parce qu’il n’y avait vraiment pas moyen de faire autrement, mais il n’avait pas peur. Cela se voyait à son regard tranquille et à son visage empreint de sérénité.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

Dorman ricana :

— Je suis l’homme qui distribue du plomb chaud à ceux qui ne lui plaisent pas, fit-il.

Il était presque théâtral. Un faible sourire se dessina sous les rudes moustaches de son interlocuteur.

— Drôle de façon de témoigner de l’antipathie aux gens, murmura-t-il.

Sa voix était calme, ferme.

Dorman se dit que ce type-là n’était pas une mauviette, mais un gaillard difficilement effarouchable. Les types difficilement effarouchables déplaisaient souverainement à Dorman.

Il avait envie de l’allonger à ses pieds d’une balle bien ajustée.

Un type mort ne l’impressionnait pas.

Les morts ont l’air ballot à côté des vivants, et surtout à côté des vivants qui en ont fait des morts.

Il réprima pourtant son désir.

Sa situation était précaire et il avait besoin de cet homme roux dont le regard paisible l’incommodait si fortement qu’il en avait les jambes tremblotantes.

— Entrez ! ordonna-t-il.

L’homme s’avança vers la porte.

Il était si lourd, si massif et donnait une telle impression de puissance que, bien qu’il fût armé et l’autre pas, Dorman eut peur.

— Ne jouez pas au con ! ordonna-t-il. Sans quoi, au moindre geste qui ne me revient pas, je vous envoie rejoindre votre grand-père en enfer !

— Mon grand-père vit toujours, affirma l’homme. Si surprenant que cela paraisse. C’est une habitude de famille : nous vivons jusqu’à cent ans ! Et quand il mourra, je doute qu’il aille en enfer, car c’est bien le plus digne homme qu’une femme ait enfanté.

Dorman accoucha d’un gloussement aigre.

— Vous serez peut-être l’exception confirmant la règle, fit-il.

Il repoussa la porte, s’y adossa tandis que l’autre s’arrêtait au milieu de la pièce.

— Qui êtes-vous ? demanda Dorman.

— Je suis garde-pêche et garde-chasse.

— Vous vivez seul ?

— Depuis que ma femme est morte, oui… Seul n’est pas le mot. Dieu merci, j’ai des compagnons !

— Ah ? fit Dorman inquiet. Des compagnons ?

Il regarda autour de lui comme un homme traqué.

— Où sont-ils ?

L'autre éclata de rire.

— Dans le lac, fit-il. Et dans la forêt. Tous les poissons du lac, toutes les bêtes de la forêt sont mes compagnons.

Dorman haussa les épaules. Son esprit mesquin ne pouvait appréhender les paroles du garde. Il se dit que la solitude avait dû salement influer sur le moral de l’autre et qu’il devait être un peu cinglé sur les bords.

L’homme roux le regardait, devinait ses pensées et continuait de sourire.

— C’est la première fois que je reçois une visite nocturne, affirma-t-il. Je suppose que c’est de l’argent que vous cherchez ? En ce cas, vous êtes mal inspiré de frapper à cette porte. S'il y a plus de cent dollars dans cette bicoque, je veux bien être pendu !

Dorman haussa les épaules.

— Je me fous de vos économies, dit-il. Où se trouve votre bateau ?

— Il est amarré au petit ponton, à cent mètres d’ici.

— C'est quoi, comme barlu ?

— Un canot à moteur.

Dorman soupira d’aise.

Avec cette embarcation rapide, il était sauvé.

— Écoutez bien, dit-il en s’efforçant d’affermir sa voix.

Il se voulait terrible, n’y arrivait pas, et cela augmentait son malaise.

— Écoutez, bonhomme, je n’ai rien contre vous et tout se passera bien si vous obéissez. Je veux passer sur la rive canadienne au plus tôt, et vous allez m’y conduire. Si vous refusez, je vous mets une praline dans le lard et je me démerde tout seul. Si vous acceptez, une fois de l’autre côté du bouillon, on se dit au revoir et vous revenez, ça colle ?

Cette proposition ne parut pas enchanter le garde.

— La rive canadienne est loin, affirma-t-il.

— Il faut combien de temps pour y aborder avec votre teuf-teuf ?

— Quatre bonnes heures au moins.

— O.K. Eh bien, allons-y !

L'homme roux hésita.

— Je n’aurai pas suffisamment d’essence pour faire l’aller-retour, assura-t-il.

— Ça, mon petit père, je m’en balance ; si vous saviez comme ce qui m’intéresse, c’est l’aller…

Le garde parut se décider.

— Eh bien, allons-y, murmura-t-il.

* * *

Le petit canot automobile ronronnait normalement. C'était une chic coquille de noix, en vérité, qui bondissait sur l’eau à la vitesse d’un hors-bord.

Assis sur le siège arrière, le garde tenait le gouvernail.

Dorman se tenait à l’avant, son revolver appuyé sur ses genoux serrés.

Un double jaillissement d’écume escortait l’embarcation.

Cette écume se terminait en une poussière d’eau qui fouettait mollement le visage de Dorman, lui causant une espèce de suave bien-être.