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Charlie éclata de rire : — Tu crois qu’il y a le moindre doute ?

Et Philos répondit brièvement : — Oui.

Du même ton contenu, Charlie lui dit : — Bon, maintenant examinons ce qui est imprimé en tout petits caractères au verso du contrat, hein ? La clause « pas très longtemps » me tracasse un peu. Vous pourriez toujours dire que je ne connais pas tout de Ledom tant que je n’aurai pas compté la dernière molécule du dernier brin d’herbe de la dernière pelouse.

Pour la première fois, Charlie vit la colère colorer un visage ledom. Mais ce fut d’une voix égale que Philos déclara :

— Nous ne ferions pas une chose de ce genre. Ce n’est pas ce que nous faisons, et je doute que nous puissions le faire.

Charlie sentit monter sa propre colère : — Tu me demandes de croire un vraiment gros tas de trucs sur parole !

— Quand tu nous connaîtras mieux…

— Tu veux que je promette avant de mieux vous connaître !

De façon tout à fait inattendue, Philos poussa un soupir et arbora un sourire engageant : — Bon, tu as raison, du moins de ton point de vue. Alors, d’accord : pas de marchandage pour l’instant. Mais écoute-moi bien : je t’offre ceci que Ledom acceptera, je le sais. Si, au cours de tes recherches, tu estimes que nous te montrons tout et que nous te facilitons la tâche de manière à ce que ta connaissance de notre culture progresse à un rythme que tu jugeras satisfaisant, alors seulement nous te demanderons la promesse d’aller jusqu’au bout. À la fin, dès que nous estimerons que tu en as vu assez pour nous connaître comme nous désirons que tu nous connaisses — alors nous ferons tout ce que tu voudras concernant ton retour éventuel chez toi.

— Difficile de trouver quoi que ce soit à redire… Mais suppose que je ne fasse jamais cette fameuse promesse ?

Philos haussa les épaules : — Bah ! je suppose que l’on te renverrait chez toi de toute manière. Pour nous, ce qui est important, c’est que tu nous connaisses.

Charlie sonda longtemps les grands yeux noirs. Ils semblaient sans détour. Il demanda : — J’aurai le droit d’aller où bon me semble ? De poser toutes les questions ?

Philos inclina la tête.

— Et on me répondra ?

— À chaque fois que nous serons en mesure de le faire.

— Et plus je poserai de questions, plus je visiterai d’endroits, plus je verrai de choses, plus vite je m’en irai ?

— Très exactement.

— Bon Dieu ! dit Charlie Johns, en anglais, à Charlie Johns.

Il se leva, fit le tour de la pièce sous le regard de Philos et revint s’asseoir.

— Écoute, fit-il, avant de te faire rentrer, j’ai pas mal gambergé, seul ici. Et j’ai pensé à trois questions importantes à poser. Songe bien qu’en les formulant dans ma tête, je ne savais pas encore ce que je sais maintenant, c’est-à-dire que vous êtes prêts à vous montrer coopératifs.

— Tu n’as donc plus qu’à essayer pour en être sûr.

— C’est ce que je compte faire. La question numéro un, nous l’avons examinée. Il s’agissait de savoir quelle distance j’avais parcourue dans l’avenir — mon avenir, en tout cas. (Il leva la main.) Non, ne réponds pas ! En dehors de ce que tu as dit — pas grand-chose — à savoir qu’Osséon est celui qui pourra répondre à ce genre de questions, je ne veux rien savoir.

— C’est…

— Tais-toi un peu, que j’aie au moins le temps de t’exposer mes raisons. Pour commencer, ça pourrait me mettre sur la voie de la date finale et, celle-là, je te jure que je veux toujours l’ignorer. En deuxième lieu, maintenant que j’y réfléchis, je ne vois pas ce que cela changerait. Si je retourne — hé ! au fait, es-tu sûr que je retournerai bien exactement là d’où je suis parti ?

— À très peu de choses près.

— Bon. S’il en est ainsi, je ne vois pas l’importance que ça aurait pour moi de savoir si un an ou dix mille m’en séparent. Sans compter qu’en attendant je préfère ne pas songer à ceux que j’aime en me disant qu’ils sont morts, ou très vieux. Quand je retournerai, je les retrouverai et voilà tout.

— Tu les retrouveras.

— D’accord, c’en est donc fini de la question numéro un. La question numéro trois est également résolue, c’était : qu’est-ce qui va bien pouvoir m’arriver ici ?

— Je suis heureux qu’elle soit résolue.

— Oui, mais ça laisse celle du milieu, Philos : pourquoi moi ?

— Comment, je…

— Pourquoi moi ? Moi, pourquoi ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre ? Une autre victime pour votre machine à voler des gens dans leur époque pour les transporter dans la vôtre. Est-ce que vous étiez occupés à essayer vos instruments et avez dû vous contenter du premier venu ? Ou si j’ai quelque qualité particulière, quelque talent dont vous auriez besoin ? Et enfin — Oh ! si c’est ça, vous pouvez tous crever ! — l’avez-vous fait pour m’empêcher de faire quelque chose, là-bas, dans le passé ?

Sa véhémence fit reculer Philos, pas tant par crainte que par surprise et dégoût, comme si une canalisation d’évacuation des eaux venait de lui éclater au visage, pouah !

— Je vais tenter de répondre à toutes ces questions, dit-il, froidement, après avoir laissé trente secondes à Charlie, trente secondes de silence pour qu’il se pénètre bien de l’écho désagréable de ses propres paroles — et aussi pour s’assurer qu’il en avait fini. Pour commencer, c’est bien toi, et seulement toi, que nous voulions prendre, pouvions prendre et avons pris. Ensuite : oui, c’est bien toi en particulier que nous voulions pour une qualité que tu possèdes éminemment. La dernière partie de ton discours, tu en conviendras avec moi, est particulièrement absurde, illogique et ne mérite vraiment pas ta colère. Parce qu’enfin regarde (et ce « regarde » signifiait : sois présent, raisonne, observe, réfléchis) dans la mesure où tu as pratiquement toutes les chances de te retrouver exactement là d’où tu viens, comment le fait d’en avoir été extrait pourrait-il affecter tes actes ultérieurs ? Très, très peu de temps se sera écoulé.

Encore furieux, Charlie réfléchit à tout cela sombrement. Il finit par dire :

— Ma foi, tu as peut-être raison. Mais enfin, je serai différent, tu ne crois pas ?

— Pour nous avoir connus ? (Philos eut un rire agréable.) Tu voudrais me faire croire que le fait de nous avoir connus pourrait sérieusement changer l’état dans lequel tu étais ?

Malgré lui, Charlie laissa un sourire étirer le coin de sa bouche. Philos rit franchement.

— Bon, d’accord, c’est vrai, tu as raison.

Et, d’un ton beaucoup moins désagréable, il demanda :

— Ça ne te dérangerait pas trop de me dire ce que je peux bien avoir de si spécial qui vous intéresse tellement ?

— Ça ne me dérangerait pas du tout. (Encore une fois, Charlie avait utilisé une expression idiomatique qui, traduite littéralement, prenait en ledom une allure étrange. De toute évidence, Philos l’avait imité, non pour se moquer mais par amitié.) L’objectivité.

— Je suis furax, je suis éberlué et je suis perdu. Tu parles d’une rude objectivité !

Philos sourit :

— Oh ! ne t’en fais pas, tu fais l’affaire. Est-ce qu’il t’est déjà arrivé que quelqu’un d’extérieur — et pas nécessairement un spécialiste — à ta vie t’ait dit quelque chose qui t’a appris quelque chose sur toi-même, quelque chose que tu n’aurais peut-être jamais su en l’absence de cette remarque ?