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— Bof, c’est le genre de truc qui arrive à tout le monde.

Un épisode lui revint à l’esprit : une cabine de plage d’où il avait entendu sa petite amie de l’époque, confier à une copine : « Il est pas con tu vois, mais il peut pas s’empêcher de te dire « moi je suis jamais allé à l’université, je suis pas un intellectuel à la noix ». C’est la première chose qu’il dit aux gens qu’il rencontre, c’est la première chose qu’il m’a dite à moi, par exemple ! » Ce n’était pas très grave, son indiscrétion ne lui causa pas une souffrance, une mortification extrêmes, mais ça lui avait servi de leçon. Il abandonna le thème de l’autodidacte triomphant. Sans cette fille, il ne se serait sans doute jamais aperçu qu’il le disait toujours et il ne se serait sans doute jamais rendu compte que c’était ridicule.

— Eh bien, dit Philos, comme je te l’ai dit, nous sommes une race jeune. Et nous cherchons à en apprendre le plus possible sur nous-mêmes. Nous disposons, pour ce faire, d’instruments que je ne pourrais même pas commencer à te décrire. Mais il y a une chose, en tant qu’espèce, à laquelle nous ne saurions prétendre, et c’est l’objectivité.

— C’est bien possible, mais je ne suis pas du tout un expert de l’observation des races et des espèces, ou des cultures, ou de quoi que ce soit de tout ça.

— Mais si ! Du simple fait que tu es différent. Cela seul suffit à faire de toi un expert.

— Et supposons que ce que j’aurai à observer ne me plaise pas ?

— Tu ne vois donc pas, reprit Philos plein de conviction, que cela n’y change rien. Ta haine ne sera qu’un fait parmi d’autres. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir comment tu réagiras à ce que tu verras en le passant au crible de ce que tu penses.

— Et quand vous le saurez… ?

— Nous nous connaîtrons mieux.

Assez ironiquement, Charlie fit observer :

— Vous ne saurez jamais que ce que je pense…

Tout aussi ironiquement, Philos riposta :

— Nous pourrons toujours récuser ton témoignage…

Alors, enfin, ils éclatèrent de rire ensemble. Puis :

— Ça va, dit Charlie Johns, tu m’as eu. (Il fut pris d’un gigantesque bâillement et s’en excusa.) Quand commençons-nous ? Demain matin tôt ?

— J’espérais…

— Dis donc, plaida Charlie, j’ai eu une rude journée, tu ne trouves pas ? Ou une rude je ne sais quoi, en tout cas, je suis vanné.

— Fatigué ? Oh ! mais ça ne me dérange pas du tout d’attendre pendant que tu te reposeras un peu plus.

Philos se carra plus confortablement dans son fauteuil.

Après avoir observé quelques instants d’un silence perplexe, Charlie déclara :

— À vrai dire, j’aurais bien voulu dormir.

Philos se dressa comme un ressort.

— Dormir ! (Il porta une main à sa tête et se gratta l’occiput.) Je te demande vraiment pardon ; j’avais complètement oublié. Bien sûr !… Euh, comment t’y prends-tu ?

— Hein ?

— Nous ne dormons pas.

— Non ?

— Comment faites-vous ça ? Les oiseaux se mettent la tête sous l’aile.

— Pas moi. Je m’allonge. Je ferme les yeux… et voilà tout.

— Ah ! très bien. Et ça dure combien de temps ?

Charlie le regarda à la dérobée : serait-il en train de se moquer de moi ?

— En général dans les huit heures.

Aussitôt, très courtoisement, comme s’il avait honte de s’être montré à la fois ignorant et curieux, Philos se dirigea vers la porte.

— Il vaut peut-être mieux que je te laisse faire cela tout seul. Ça te va ?

— Ça me va à merveille !

— Si jamais tu désirais te restaurer…

— Ils m’ont déjà montré tout ça quand ils m’ont montré à me servir de l’éclairage, tu te souviens ?

— Parfait, parfait. Eh bien, tu trouveras des vêtements dans ce placard.

Il toucha, ou toucha presque, un petit dessin en spirale à la surface du mur. Une porte se dilata pour se refermer aussitôt. Charlie eut le temps d’apercevoir en un clin d’œil un chatoiement d’étoffes brillamment colorées.

— Choisis ce qui te plaira le plus. Ah !… (il hésita) heu !… tu les trouveras tous assez… enveloppants, enfin, on a essayé de les faire aussi confortables que possible malgré ça. Enfin, tu verras… C’est que… personne ici n’a jamais vu de mâle.

— Vous êtes… des femmes !

— Oh ! — non ! dit Philos et, sur un signe de main, il s’en fut.

* * *

Smith se tartine de Vieux Boucanier, observe Herb Railes occupé à fouiller dans l’armoire à pharmacie de Smith, dans la salle de bains. L’armoire à pharmacie est au-dessus de la lunette des chiottes. Il y a une autre armoire au-dessus de la tablette à maquillage, à côté du lavabo. Toutes ces baraques sont équipées de deux armoires. Sur le prospectus du promoteur, il y avait deux jolies petites étiquettes Elle et Lui. Jeanette les a baptisées Elle et Nous et apparemment (pour reprendre une des déclarations de Herb, plus tôt dans la soirée) Tillie s’apprête elle aussi à « partager le pouvoir » parce que la moitié ou presque des quatre étagères est encombrée de tout un attirail féminin. Pour le reste il y a la lotion Erectyl du Vieux Boucanier qui fait se dresser les poils de barbe avant le rasage et la lotion Lissyl du Vieux Boucanier qui fait les cheveux se coucher docilement sous le peigne. Une boîte de boules Quies — normal, songe Herb, avec tout ce boucan. D’autant plus qu’il aperçoit encore une bouteille de Tingle, l’huile de bain du Vieux Boucanier. Il plaint un peu ce pauvre Smitty encombré de tous ces Vieux Boucaniers, alors qu’il y a franchement mieux sur le marché. Rafale, par exemple. Il doit une bonne part de son prestige, à l’Agence, au fait qu’il a conçu la campagne de Rafale : un type à la Clark Gable (mais avec un je ne sais quoi de rital, pour ceux et celles qui auraient des goûts européens…) frotte sa joue virile contre celle d’une nana éminemment mammifère, sous ce simple (et donc génial) slogan : Elle en raffole.

Tiens, tiens ! Herb manque de s’exclamer à haute voix, un tube de crème pour (ou plutôt contre) les hémorroïdes.

Des tranquillisants, bien sûr ; un tube d’aspirine tamponnée et un flacon de monstrueuses capsules, mi-bleus, mi-jaunes. Une trois fois par jour. Herb parierait que c’est de l’Achromycine. Prenant bien garde de ne toucher à rien, il se penche pour déchiffrer l’étiquette. Elle lui apprend que le flacon a été acquis trois mois auparavant ! Herb réfléchit. C’est à peu près l’époque vers laquelle Smitty a cessé de boire, pendant un moment. Il aura échangé l’ivresse contre le flacon !

La prostate, hein, petit père ?

Du rouge à lèvres incolore pour lèvres gercées. Vernis à ongles incolore. Retouch’net. Qu’est-ce que c’est que ce truc-là ? N° 203 châtain ? Il se penche encore pour voir de plus près. Les petits caractères disent pour vos retouches entre chaque application de teinture Retint’net. Eh oui, le temps passe, mon vieux, vieux Smitty. On dirait même qu’il ne va pas tarder à te passer dessus !

* * *

Charlie se souvenait (se souvenait, se souvenait) d’une comptine entendue au jardin d’enfants. C’était les grands qui chantaient ça, les filles sautant à la corde :