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Sac de blé, sac de son Ni un’fille, ni un garçon sac de billes ni une fille sac de son ni un garçon sac de son, sac de blé rien qu’un tout petit bébé !

Et c’est ainsi qu’il s’endormit sur l’air des lampions… Et il rêva de Laura. Ils s’étaient connus si peu de temps et cependant pour toujours. Ils avaient déjà leur langage à eux, leur folklore, les petites choses qui n’avaient de sens que pour eux. Il y avait les choses qui étaient « bonhommes » et celles qui étaient « bon’femmes » — ça, c’est bonhomme, Charlie. Il y avait ce jour de printemps où un hanneton s’était pris dans sa chevelure abricot et où elle avait poussé un hurlement avant de rire, rire, rire…

Un rire qui l’éveilla. Mais dans son éveil il traversa une zone étrange : il atteignit à un degré de conscience où il savait parfaitement, rationnellement, que Laura était séparée de lui par d’impénétrables barrières de temps et d’espace — et pourtant sa mère était assise au pied de son lit. Il devint de plus en plus évident pour lui qu’il était à Ledom, de sorte qu’il saurait parfaitement où il se trouvait en s’éveillant tout à fait mais, en même temps, l’impression que sa mère était présente ne cessait de prendre de la force et, quand il ouvrit les yeux, et qu’il vit qu’elle n’était pas là, ce fut vraiment comme s’il l’avait vue, elle, en chair et en os, disparaître avec un plop ! presque audible. Furieux, navré, il s’éveilla en pleurant et en appelant sa mère…

Quand il eut ses pieds sous lui et sa tête, à peu de chose près et à grand-peine au sommet du tout, il s’approcha (mais pas trop près) de la fenêtre et jeta un regard à l’extérieur. Le temps n’avait pas changé et il devait avoir fait le tour complet du cadran, à en juger par le ciel qui, toujours couvert, était exactement aussi brillant que lors de sa venue depuis Celui de la Science. Il mourait de faim et, se remémorant les instructions qu’on lui avait données, il retourna à l’espèce de lit sur lequel il avait dormi et appliqua la paume à plat sur le bas de la première des trois barres d’or verticales. Une portion irrégulière du mur (mais qu’est-ce qui était régulier, ici ? Rien n’y était plat, droit, vertical, ni parfaitement lisse) s’ouvrit vers le haut, un peu à la manière d’un bureau à cylindre et, comme si cet orifice avait été une caricature de bouche grotesque tirant une langue démesurée, un plateau en jaillit. Une jatte et un plat y étaient disposés. La jatte contenait une espèce de gruau. Sur le plat s’amoncelaient des fruits, artistement disposés pour mettre en valeur l’incroyable palette de leurs couleurs exotiques et leurs formes improbables. Il y avait bien une couple d’honnêtes bananes et de banales oranges, et quelque chose qui ressemblait beaucoup à du raisin, mais pour le reste, des bleus iridescents, des verts bronzés, sept nuances de rouge. Ce qu’il aurait voulu plus que tout au monde (celui-là ou un autre) c’était une boisson fraîche, mais il ne vit rien qui y ressemblât de près ou de loin. Il soupira et, se résignant, saisit une sphère violette, la porta à son nez et lui trouva — ça alors ! — une odeur de toast beurré. Il y porta une dent hésitante. Un grognement d’étonnement lui échappa, et il se mit en quête de quelque chose avec quoi essuyer son visage et son cou. Le fruit, dont la peau, sous la lèvre, était à la température de la pièce, avait laissé gicler un jus glacé et sous pression.

Il se servit de sa chemise blanche pour tout éponger, après quoi il saisit un second fruit semblable et y mordit avec plus de précautions. Il en fut récompensé. Le jus qui en coula était clair, frais, dépourvu de pulpe et avait goût de pomme vaguement teinté de cannelle.

Il s’intéressa ensuite au gruau. Il n’avait jamais été très amateur de céréales cuites, mais la jatte dégageait un arôme appétissant, encore qu’indéfinissable. Un petit objet était posé près de la jatte, une espèce d’instrument. Sa forme extérieure rappelait celle d’une cuiller, mais il se composait d’un manche au bout duquel était montée une boucle d’une espèce de fil métallique d’un bleu brillant, un peu comme une raquette de tennis miniature, dépourvue de boyau. Perplexe, il se saisit de la chose par le manche et plongea la boucle dans son gruau. À sa grande surprise, le porridge s’amoncela au-dessus de la boucle, comme s’il se fût agi d’une véritable cuiller. Soulevant l’instrument, il vit que le porridge s’accumulait aussi sous la boucle, dans une symétrie parfaite. Rien ne coulait. Il porta le tout à sa bouche, un peu méfiant, et trouva l’aliment exquis. À tel point qu’il éprouva à peine la sensation étrange d’avoir une lamelle de caoutchouc dans la bouche, que procurait la surface invisible (encore une !) délimitée par la boucle métallique. Il regarda de nouveau la cuiller et plongea un doigt en son centre (qui n’offrit qu’une faible résistance). Mais surtout chacune de ses papilles se délectait de la savoureuse nourriture qui emplissait la jatte. C’était un goût absolument nouveau pour lui, et quand la boucle métallique se déforma sur le fond de la jatte vide, il émit in petto le souhait de se retrouver bientôt en face de ce délicieux gruau.

Repu, il poussa un soupir et se leva du lit, sur quoi le plateau disparut en silence dans l’ouverture du mur qui se referma aussitôt. « Quel service ! » approuva Charlie en souriant tout seul. Il gagna le placard que Philos lui avait montré et posa sa paume sur le système d’ouverture. Le mur se dilata. Le placard était éclairé par le même rayonnement argenté et apparemment venu de nulle part qui avait éclairé sa cellule capitonnée. Avec un coup d’œil méfiant aux rebords de l’ouverture — ce machin s’ouvrait et se refermait avec un enthousiasme apparemment redoutable — il se pencha en avant et examina le contenu de cette penderie, espérant bien y découvrir sa bonne vieille paire de pantalons marrons. Elle ou ils n’y étaient pas.

Non, à la place, il y avait une rangée de constructions — il n’y avait pas d’autre mot — de tissus raides ou moelleux, amidonnés, transparents, opaques, ou tout cela à la fois ; des rouges, des bleus, des verts, des jaunes ; des tissus qui semblaient de toutes les couleurs à la fois, chacun de leurs fils se teintant différemment au contact des autres ; et enfin des tissus dépourvus de couleur propre, des tissus caméléons, qui absorbaient automatiquement la couleur de tout ce avec quoi ils venaient en contact. Toutes ces étoffes étaient assemblées pour former des panneaux, des tubes, des plis, des drapés, tout cela piqué, brodé, doublé, crevé, ourlé, roulotté et mille autres choses encore. Son œil et sa main se firent peu à peu à cette agression multicolore et il fut bientôt en mesure d’y discerner un système. Le mélange était susceptible de se décomposer en éléments, et l’on pouvait décrocher telle ou telle pièce et, en l’examinant de plus près, y découvrir un vêtement. Il y en avait d’aussi simples que des chemises de nuit, du point de vue de la forme, sinon de celui de la couleur. Il y avait des pantalons bouffants, des caleçons étroits, des culottes, des pagnes, aussi bien que des jupes, longues ou courtes, flottantes ou à crinoline, et des robes longues et mi-longues. Mais qu’est-ce que pouvait bien être ce ruban brillant de deux mètres de long sur cinq centimètres de large, qui semblait représenter une série de U attachés par leurs extrémités supérieures ? Et comment était-on sensé porter une sphère parfaite, noire, faite d’un matériau élastique ? — Sur la tête ?

Il la posa sur sa tête et tenta de l’y maintenir en équilibre. C’était facile. Il baissa la tête pour la faire tomber. Elle resta en place. Il tira dessus. Ça n’était plus facile du tout. C’était même impossible. C’était collé, nom de Dieu ! Et ça ne lui tirait pas les cheveux, comme si cela avait adhéré directement à son cuir chevelu !