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— Ça me calmerait, je suppose, répondit Charlie.

— Et c’est pourquoi nous sollicitons toujours poliment l’autorisation d’utiliser le miroir. Simple question de politesse. C’est quelque chose d’aussi vieux que mon humanité et probablement que la tienne. Les gens détestent qu’on leur montre leur propre image, à moins qu’ils n’en aient fait eux-mêmes la demande expresse.

— Vous avez vraiment des beaux jouets, ici, dit Charlie, plein d’admiration. Alors, est-ce que je passe l’inspection ?

Philos le regarda de la tête aux pieds puis des pieds à la tête et sa moue s’accentua, son air se fit plus pincé.

— Parfait, dit-il d’une voix tendue. Tu as fait un excellent choix. En route !

— Écoute, dit Charlie, il y a quelque chose qui ne va pas, non ? Alors si quelque chose cloche, dans mon allure, c’est le moment ou jamais de me le dire, tu ne crois pas ?

— Eh bien, ma foi, puisque tu le demandes… est-ce que (Charlie se rendait compte qu’il choisissait ses mots à grand soin)… Est-ce que tu tiens vraiment beaucoup à ce… ce chapeau ?

— Ça, Bon Dieu ! C’est si léger que je l’avais presque oublié, et puis tu es venu avec ton histoire de miroir… Mais non, non, non ! Je n’en veux pas. Je me le suis approché de la tête, je ne sais plus pourquoi, et je n’arrive absolument plus à l’en décrocher.

— Aucun problème. (Philos fit un pas jusqu’au placard, en ouvrit la porte, se pencha à l’intérieur et en ressortit avec un objet ressemblant vaguement à un chausse-pied qu’il lui tendit.) Voilà, touche-le avec ça.

Ce que fit Charlie, et la chose noire retomba lourdement sur le tapis où elle rebondit mollement.

D’un coup de pied, Charlie l’envoya dans le placard et y rangea l’espèce de chausse-pied.

— Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

— Le dé-activateur ! Il décharge la force bio-statique contenue dans le tissu.

— C’est cette force bio-statique qui fait adhérer les vêtements les uns aux autres comme à ceux qui les portent ?

— Heu, oui, c’est-à-dire que ce n’est pas de la matière inanimée enfin, pas exactement. Tu demanderas à Osséon, je n’y comprends rien moi-même.

Charlie le regarda en plissant les yeux.

— Il y a encore quelque chose qui ne va pas, hein ? Allez, vide ton sac !

La moue s’accentua encore, ce que Charlie aurait eu tendance à croire impossible.

— Je ne préfère pas. La dernière fois que quelqu’un s’est permis de te juger comique, tu lui as balancé un coup de pied à assommer un bœuf !

— J’en suis navré. Mais j’étais beaucoup plus paumé que je ne le suis maintenant… Tu peux y aller, va…

— Tu sais ce que tu t’étais mis sur la tête ?

— Non.

— Une tournure… ce qu’on appelle plus communément un faux-cul.

Ils quittèrent la pièce en hurlant de rire.

Ils allaient voir Mielwiss.

* * *

— On dirait que ça se prolonge, ce jeu de boules, dit Smith.

— La quille, bordel ! fait Herb.

— Oh ! qu’il est drôle le petit rédacteur !

Mais Smith n’est pas vraiment désagréable avec Herb ; à l’intérieur il se marre.

Le silence tombe. Ils se sont tout dit. Herb sait que Smith sait que chacun d’eux sait que l’autre est à la recherche de quelque chose à dire. Herb songe que c’est une curieuse manie qui les rend incapables de rester silencieux en compagnie. Trouver quelque chose à dire, n’importe quoi… tout, plutôt que le silence. Mais il se garde de le dire, si Smith le trouvait de nouveau sérieux. Une fois suffit.

— Les revers ont cessé d’être à la mode, finit par dire Smith.

— Ouais, des millions et des millions de types font de nouveau retoucher leur pantalon. Je me demande ce que les tailleurs peuvent bien foutre avec tous ces revers ! Et que devient tout le tissu ainsi économisé ?

— Ils en font des tapis !

— Le prix ne change pas, commente Herb, songeant à celui des pantalons, bien sûr.

— Pas de danger.

Smith sait ce qu’il veut dire.

Silence de nouveau.

Herb dit : — Tu as beaucoup de chemises et de costumes infroissables ?

— Quelques-uns, comme tout le monde.

— Tu as déjà essayé de les porter sans les faire repasser ?

— Bien sûr que non, réplique Smith vaguement indigné, qui songerait à faire une chose pareille ?

— Alors, pourquoi infroissable ?

Smith hausse les épaules : — Pourquoi pas ?

— C’est juste, dit Herb qui sait s’arrêter à temps.

Silence.

— Ce dingue de Farrel.

Le grognement de Smith a fait lever les yeux à Herb qui constate que l’autre est occupé à observer, par la baie vitrée, ce qui se passe de l’autre côté de la baie vitrée des voisins.

— Qu’est-ce qu’il fabrique ?

— Je suppose qu’il regarde la télé, mais vise-moi un peu ce fauteuil !

Herb se lève et traverse la pièce, en portant un cendrier qu’il va poser sur la table. Puis il revient sur ses pas. À quarante mètres de distance, il ne voudrait pas avoir l’air d’un voyeur indiscret.

— Un de ces nouveaux machins design.

— Oui, mais rouge. Dans une pièce comme celle-là, comment peut-il mettre un fauteuil rouge ?

— Reste à ton poste, Smitty, tu vas voir ce que tu vas voir.

— ? ? ?

— Tu te souviens, il y a deux ans ? Pin noueux et rustique Scandinave et puis, un jour, on voit s’amener ce gros fauteuil vert et vlan ! en une semaine, tout était devenu colonial américain.

— Ah, ouais, c’est vrai…

— Bon, alors reste à ton poste et, dans une semaine…

— Vlan !

— C’est bien ce que je dis.

— Comment peut-il se permettre de tout faire refaire chez lui deux fois en trois ans ?

— Il a peut-être des parents…

— Tu le connais ?

— Moi, penses-tu ! On se dit à peine bonjour.

— Je l’aurais cru fauché.

— Pourquoi ça ?

— T’as vu sa bagnole ?

— C’est qu’il dépense tout pour la décoration !

— C’est des drôles de gens, de toute façon.

— Comment ça, drôles ?

— Tillie a vu sa femme acheter du blé complet, au supermarché…

— Bon Dieu, quelle horreur ! dit Herb. C’est pas de la bouffe, c’est une religion, ce truc. Pas étonnant pour la bagnole. Ça ne le dérange probablement même pas que tout le monde voit qu’elle a plus de dix-huit mois !

Silence.

Smith dit : — Il serait temps que je fasse repeindre, ici.

Herb dit : — Même chose chez moi.

Des phares hachent la nuit. Le break de Smith pénètre en crissant dans l’allée de graviers, s’engouffre dans le garage où son moteur s’arrête. On entend claquer des portières comme un mot de deux syllabes. Des voix féminines s’approchent qui parlent toutes les deux à la fois sans perdre un seul mot de ce que dit l’autre. La porte s’ouvre. Tillie entre, Jeanette entre.

— Salut les hommes, ça boume ?

— Ça boume, fait Smith.

— On parlait entre hommes, fait Herb.

* * *

Ils parcoururent des corridors louvoyants et, à deux reprises, pénétrèrent dans des puits verticaux apparemment dépourvus de fond pour être propulsés à toute vitesse jusqu’à des hauteurs vertigineuses. Ils trouvèrent Mielwiss seul, vêtu d’un curieux lacis de rubans jaunes et violets qui montaient en spirale autour de son torse comme des plantes grimpantes. Il avait toujours l’air aussi imposant. Il accueillit Charlie avec une chaleur non dépourvue de gravité et lui fit sans détour compliment du choix de son vêtement.