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— « L’Histoire de ma vie, par Karen Railes, Tand z’étais une peu-tite filleu, z’avais pas deu papa et deu moman tomme les aut’peu-tits gnarçons et les aut’peu-ti-teu fil-leu, z’avais un comité. »

— Comité ou pas comité, gros malin, ils ont à manger, à boire, des vêtements, un foyer et de l’amour — est-ce que ce n’est pas censé suffire ?

— Oui, bien sûr, mais cette fameuse image du père est censée avoir sa petite importance aussi, non ?

Elle lui caresse la joue.

— Seulement si tout au fond tout au fond de toi tu ressens le besoin d’être un vrai mec. Et tu sais bien que tu es un vrai mec, puisque tu fais partie du comité ! On se couche.

— Qu’est-ce que tu entends par là ?

— On se couche.

* * *

Charlie Johns trouva Philos à l’entrée du bureau de Mielwiss. Apparemment, il venait tout juste d’arriver.

— Comment ç’a été ?

— Incroyable, dit Charlie. C’est rudement impressionnant, non ?

Il examina soigneusement Philos et finit par ajouter :

— Pas pour toi, en définitive, hein ?

— Tu veux continuer ? Ou tu en as eu assez pour aujourd’hui ? Faut-il que tu dormes de nouveau ?

— Non, pas avant la nuit.

Le mot « nuit » existait et pouvait donc être utilisé, comme « mâle » et « femelle », mais il semblait doté seulement d’un sens atténué, moindre que ce qu’il voulait réellement exprimer en l’occurrence. Aussi se crut-il contraint d’ajouter :

— Quand il fera noir.

— Qui, fera noir ?

— Tu sais bien. Le soleil se couche, la lune, les étoiles, tout ça, quoi.

— Il ne fait jamais noir.

— Il ne fait jamais… Mais qu’est-ce que tu me chantes là ? La Terre n’a pas cessé de tourner, je suppose ?

— Oh, je vois ce que tu veux dire ! Bien sûr, je suppose qu’à l’extérieur ça se passe toujours de cette façon-là mais pas à l’intérieur de Ledom.

— Ledom serait donc… souterrain ?

Philos inclina la tête sur le côté :

— Ce n’est pas une question à laquelle on puisse répondre par oui ou par non.

Charlie regarda par l’immense fenêtre, à l’extrémité du corridor, le ciel éternellement couvert et argenté.

— Comment cela ?

— Tu ferais mieux d’interroger Osséon, à ce sujet. Il te donnera de meilleures explications que je ne saurais le faire.

Charlie ne put s’empêcher de rire. Philos lui lança un regard interrogateur et il s’expliqua :

— Quand je suis avec toi, c’est Mielwiss qui possède les réponses à mes questions. Quand je vais voir Mielwiss, il me dit que l’expert, c’est toi. Je reviens te voir et tu m’adresses à Osséon…

— En quoi Mielwiss a-t-il dit que j’étais expert ?

— Il ne l’a pas précisé. Il m’a laissé entendre que tu connaissais tout ce qu’il y a à savoir de l’histoire de Ledom. Il a dit autre chose, attends… Que tu savais t’arrêter à temps, ou quelque chose comme ça… Oui, c’est ça, que tu me donnerais les renseignements qu’il fallait mais que tu saurais t’arrêter à temps. Alors que lui, il n’était pas cachottier de nature.

Pour la seconde fois, Charlie vit une rougeur éphémère passer sur le sombre visage énigmatique de Philos.

— Alors que moi je le suis.

— Oh, attention ! reprit rapidement Charlie, je le cite peut-être de travers. Quelque chose m’aura échappé. Je ne veux pas devenir une source de querelles entre vous.

— Je t’en prie, voyons, déclara Philos d’une voix égale, je sais exactement ce qu’il entendait par là et tu n’as fait aucun mal. C’est précisément ce qui, à Ledom, n’a rien à voir avec toi.

— Détrompe-toi ! Mielwiss m’a dit que les débuts de Ledom pourraient fort bien avoir quelque chose à voir avec la fin d’Homo sap. et, comme tu le sais, je préfère ne pas me mêler de ça. Tu vois bien que tout cela me concerne d’une façon ou d’une autre.

Ils s’étaient mis à marcher mais Philos s’arrêta et posa les mains sur les épaules de Charlie.

— Charlie Johns, je te prie très sincèrement de me pardonner. Nous avons tous les deux, nous avons tous, tort et raison à la fois. Mais, en toute sincérité, tu n’es pas responsable de cet incident. Tu me ferais plaisir en en restant là, car j’ai eu tort de me conduire comme je l’ai fait. Oublions, s’il te plaît, mes sentiments et mes problèmes personnels.

Rusé, Charlie demanda :

— Quoi ! renoncer à tout savoir sur Ledom ?

Mais il éclata de rire et dit à Philos que ce n’était pas grave et que tout cela serait oublié.

Il n’en fut rien.

* * *

Une fois couché, Herb dit tout à coup :

— Mais Margaret ne nous aime pas.

D’un petit ton satisfait, Jeanette réplique :

— On lui balance une bombe à elle aussi. Dors. Margaret qui ?

— Mead. Margaret Mead, l’anthropologue — l’article dont je t’ai parlé…

— Et pourquoi ne nous aime-t-elle pas ?

— Elle dit qu’en grandissant, les garçons rêvent d’imiter leur père. De sorte que si le père est un bon fournisseur, un camarade de jeux agréable, aussi disponible et pratique, dans la maison, qu’une machine à laver ou qu’un vide-ordures — ou qu’une épouse — les gosses grandissent pour devenir à leur tour de bons fournisseurs, camarades de jeux, etc.

— Et où est le mal ?

— Elle affirme que Bégonia Drive ne produira jamais ni aventuriers ni explorateurs, ni artistes.

Il y a un silence puis Jeanette fait :

— Dis-lui d’aller se faire cuire un œuf peint en rouge au sommet de l’Anapurna, à ta Margaret ! Je te l’ai déjà dit, nous sommes des gens différents — nouveaux. Nous sommes en train de créer une nouvelle race de gosses qui ne seront pas complètement fichus parce que papa est parti se saouler pendant que maman s’envoie en l’air avec le plombier. Nous sommes en train de mettre au monde une race nouvelle ! Toute une génération qui sera satisfaite de ce qu’elle aura et ne gâchera pas sa vie à régler ses comptes avec les ancêtres ! Tu ferais mieux de cesser d’être sérieux, mari-copain, ça ne te réussit pas du tout.

Herb en est ébahi.

— Tu sais, c’est exactement ce que Smitty m’a dit tout à l’heure. (Il rit.) Il a dit ça pour m’envoyer sur les roses et toi tu le dis pour me remonter le moral !

— Question de point de vue, quoi.

Il garde les yeux ouverts, un bon moment, fixant le vide, songeant aux godillots d’Elle et Lui, à mes-parents-c’est-un-comité, à l’allure que ça donne à un type de se trimballer toujours avec un torchon pour essuyer la vaisselle, il y songe jusqu’à ce que la tête lui tourne un peu. Alors il se dit, qu’est-ce que ça peut bien me fiche et il fait :

— Bonne nuit, chérie.

— Bonne nuit, chéri, murmure-t-elle.

— Bonne nuit, mon chou.

— N’nuit, mon chou.

— Bon sang ! rugit-il, arrête donc de m’appeler toujours exactement de la même façon que je t’appelle !

Elle n’a pas vraiment peur, mais elle sursaute un peu, elle sait qu’il y a des trucs qui le tracassent, alors elle ne dit rien.

Au bout d’un moment, Herb lui touche le bras :

— Je suis navré, mon chou, je te demande pardon.

Elle dit : — Mais de quoi, Georges ?

Et il est bien obligé de rire.