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Il regarda le ciel — le plafond — de nouveau :

— Qu’y a-t-il donc à l’extérieur, Osséon ?

— Il vaut mieux demander cela à Philos.

Charlie ébaucha un sourire qui se glaça sur ses lèvres. Ce jeu de passes d’un expert à un autre semblait toujours se produire quand il risquait d’aborder la question de la fin de l’humanité telle qu’il l’avait connue.

— Dis-moi seulement… heu… d’un point de vue théorique, Osséon. Si le champ-A est transparent, c’est-à-dire perméable aux rayons lumineux, cela signifie qu’il est perméable à toute radiation, non ?

— Non, répondit Osséon, comme je te l’ai dit, le champ-A est susceptible d’être programmé à l’infini, perméable à ceci et pas à cela, etc.

— Ah ! dit Charlie et il détourna les yeux du ciel en soupirant.

— Assez parlé des effets statiques, reprit Osséon d’un ton léger. (Charlie lui fut reconnaissant de cette compréhension.)

— Abordons les effets dynamiques. Je t’ai dit que le truc en question est capable de remplir toutes les fonctions d’un moteur électrique et de l’électricité. Tu veux remuer de la terre ? Programme un champ analogue si fin qu’il se glissera entre les molécules et enfonce-le au flanc d’une colline. Élargis ton champ de quelques millimètres puis retire-le. Tu as une pelletée de terre. Mais ta pelle peut avoir exactement la dimension que tu souhaites — n’importe quelle dimension — et tu peux introduire ton analogue où tu veux — n’importe où. Cela permet de traiter la totalité des problèmes de manutention et de terrassement. Un seul homme suffit à creuser les fondations, à bâtir les murs ou à les raser. Et les matériaux mêmes que tu utilises ne sont pas un quelconque mortier chimique : le champ-A est susceptible d’homogénéiser et de mettre en forme à peu près n’importe quoi.

Il heurta de la paume l’espèce de pilier de béton incurvé qui marquait le rebord de la fenêtre.

Charlie, qui avait été conducteur d’engins, se félicita de la décision qu’il avait prise de se laisser seulement impressionner mais jamais éberluer par la technologie. Il se souvint du jour où, conduisant un Allis-Chalmers HD 14 à l’atelier de réparation pour y faire souder une nouvelle lame, il avait été arrêté par un contremaître qui lui avait demandé le service de combler une tranchée. Les manœuvres s’étaient rapidement mis hors du chemin et, en 90 secondes environ il avait comblé de terre tassée une trentaine de mètres de tranchée — un boulot qui aurait occupé la soixantaine de terrassiers jusqu’à la fin de la semaine. Selon les appareils dont il dispose, un ouvrier qualifié peut devenir cent, mille, voire dix mille hommes. Il était difficile mais pas impossible de se représenter des immeubles comme Celui de la Médecine ou Celui de la Science, bâtis en quelques jours par une équipe de trois hommes.

— Autres renseignements dans le domaine de la dynamique. Bien utilisé, le champ-A peut jouer un rôle comparable — quoique supérieur — à celui des rayons X dans le traitement de maladies comme le cancer et le contrôle des mutations et du matériel génétique : cela sans les brûlures et les effets secondaires des rayons X. J’imagine que tu auras remarqué toutes les plantes nouvelles.

« Et les gens nouveaux aussi », songea Charlie ; mais il ne dit rien.

— Ce gazon, par exemple. Personne ne le tond ou ne l’entretient. Le champ-A nous permet de transporter tout ce que nous désirons, de traiter les aliments et de manufacturer des tissus — tout, en fait. Et la consommation d’énergie est réellement négligeable.

— De quel genre d’énergie s’agit-il ?

Osséon tira sur son nez aux narines de cheval.

— Tu as déjà entendu parler de l’antimatière ?

— Est-ce la matière négative — électron positif et noyau négatif ?

— Tu me surprends ! J’ignorais que vous fussiez jamais allés aussi loin dans la connaissance !

— Certains auteurs de science-fiction l’ont fait — et quelques autres…

— Parfait. Tu sais donc ce qui se produit quand l’antimatière entre en contact avec la matière ?

— Boum ! La plus grosse explosion imaginable.

— C’est exact. La totalité de la masse transformée en énergie et cela représente déjà, avec la plus infime particule, une énorme quantité d’énergie. Or, le champ-A, comme je te l’ai dit, est susceptible de créer un analogue de n’importe quoi que ce soit — même une petite quantité d’antimatière. C’est parfaitement suffisant pour créer un contact avec la même quantité de matière et produire de l’énergie. On bâtit donc un champ analogue avec un incitateur électrique. Dès qu’il commence à produire, un simple effet de feed-back lui permet de s’auto-entretenir, tout en produisant suffisamment d’énergie pour nos besoins.

— Je ne prétendrai pas que je comprends, fit Charlie avec un sourire, mais je te crois.

Osséon lui rendit son sourire, et affecta une expression sévère.

— Dis donc, c’est de science, pas de religion, que je t’entretiens. (Puis il reprit rapidement.) En voilà assez en ce qui concerne le champ-A. Je voulais seulement te faire comprendre que c’est, en soi, quelque chose de fort simple et qui permet de faire pratiquement tout. Je t’ai déjà dit — à moins que je n’aie oublié, mais je voulais te le dire pour commencer — que l’ensemble de Ledom repose sur deux piliers. Le champ-A en est un, le second, c’est le cérébrostyle.

— Attends, je vais essayer de deviner.

Il traduisit littéralement le terme en anglais et fut sur le point de dire « une nouvelle mode pour le cerveau ? » mais la plaisanterie ne serait pas drôle pour un Ledom, les concepts de mode et de publicité en étant absents au sens où Charlie les entendait. Il continua donc de réfléchir et songea à stylo, stylet, etc.

— C’est quelque chose pour écrire sur les cerveaux ?

— Tu tiens le bon bout, applaudit Osséon, mais par le mauvais côté, si j’ose m’exprimer ainsi ! C’est au contraire quelque chose sur quoi le cerveau écrit. Enfin… disons plutôt : sa première fonction est de recevoir l’impression, l’empreinte d’un cerveau. La seconde c’est de pouvoir réimprimer ce qu’il a reçu sur un autre cerveau.

Un peu perdu, Charlie sourit.

— Tu ferais mieux de me dire d’abord de quoi il s’agit.

— Rien qu’un peu de matière colloïdale dans une boîte. Je simplifie énormément bien sûr. Et pour continuer dans la même veine, disons que cette matière est capable d’enregistrer — ou réaliser un enregistrement synaptique de — toute activité cérébrale. Tu es probablement assez familiarisé avec le processus d’acquisition des connaissances, pour savoir qu’il ne suffit pas d’énoncer des conclusions. Pour un esprit inculte, l’affirmation que l’eau et l’alcool s’interpénétrent au niveau moléculaire peut faire l’objet d’un article de foi, mais pas ce de que l’on appelle réellement un savoir. Mais si je conduis progressivement l’esprit en question jusqu’à ma conclusion, en commençant par mesurer séparément deux quantités d’alcool et d’eau et que je montre que le mélange des deux donne un résultat inférieur à la somme des deux quantités initiales, cela commence à prendre tournure. Pour revenir plus loin en arrière, il faudra avant tout que je m’assure que l’esprit en question est déjà équipé des concepts « alcool » « eau », « mesure » et « mélange » et aussi que la forme d’ignorance, qu’on baptise le sens commun, estime impossible que deux quantités égales de deux liquides différents puissent se combiner pour donner un résultat inférieur au double des deux quantités initiales. Autrement dit, chaque conclusion doit reposer sur une série cohérente et logique, appuyée sur des observations et des preuves antérieures.