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« Or, ce que fait le cérébrostyle, c’est absorber certaines séquences logiques, disons dans mon esprit, pour les retranscrire, disons dans le tien. Seulement il ne s’agit pas de la simple présentation d’un total : c’est l’instillation de la séquence entière qui aura conduit à telle ou telle conclusion. Le transfert est pratiquement instantané, mais il reste à l’esprit receveur de mettre les connaissances ainsi acquises en corrélation avec celles qu’il possède déjà, à les passer au crible de ses propres séquences logiques, ce qui, soit dit en passant, est un travail incessant et qui peut durer toute une vie.

Charlie vacilla :

— Je ne suis pas très sûr de…

Osséon poursuivit : — Écoute, si au milieu d’une grande quantité d’autres renseignements avérés, l’esprit contenait une conclusion à laquelle il était parvenu par la logique — attention, la vérité et la logique sont deux choses différentes ! — et selon laquelle l’eau et l’alcool sont deux substances impossibles à mélanger, cette conclusion finirait immanquablement par entrer en conflit avec le reste. Et le vainqueur de ce conflit serait déterminé par la quantité de faits observés et démontrés qui pourraient être mis au service de l’une quelconque des conclusions opposées. À la longue (et, dans la réalité, rudement vite) l’esprit finirait par déterminer que l’une des conclusions était fausse. Situation induisant aussitôt un malaise, une espèce de démangeaison, jusqu’à ce que l’esprit ait réussi à déterminer aussi pourquoi elle est fausse, c’est-à-dire qu’il ait refait l’ensemble des cheminements logiques conduisant aux diverses conclusions et repéré l’erreur de parcours.

— Un joli petit appareil d’enseignement ! s’exclama Charlie Johns.

— C’est, reprit Osséon en souriant, le seul substitut connu à l’expérience. Et rudement plus rapide ! Je voudrais bien insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’endoctrinement. Il serait impossible d’imprimer des contre-vérités dans un cerveau au moyen du cérébrostyle quelle que soit leur logique apparente car, tôt ou tard, elles entreraient en conflit, par tel ou tel de leur aspect, avec un fait observé et vérifié et tout le système s’effondrerait. De la même manière, le cérébrostyle n’est en aucune façon une espèce de sonde cérébrale susceptible de percer les secrets les plus intimes. Nous avons été en mesure d’établir une distinction entre les courants dynamiques de l’esprit, ceux du cerveau « en action » et les courants statiques, ceux que j’appellerai les magasins de la mémoire. Quand un professeur enregistre la séquence alcool plus eau égale moins de deux fois les quantités initiales, les étudiants ne risquent pas de se voir révéler en même temps l’ensemble des souvenirs du professeur et ses préférences pour tel ou tel fruit.

« Je voulais que tu saches bien tout cela parce que tu ne vas pas tarder à te mêler à la population et tu te demanderas probablement d’où ses membres tirent leurs connaissances. Eh bien, ils assistent à une séance de cérébrostyle d’une demi-heure tous les vingt-huit jours. Et, crois-moi, les vingt-huit autres jours sont consacrés au travail de corrélation et de mise en perspective dont je te parlais tout à l’heure. — quelles que soient les autres activités des gens. »

— J’aimerais jeter un coup d’œil à ce gadget.

— Je n’en ai pas ici, mais tu en as déjà vu un. Comment donc penses-tu avoir assimilé une langue en — tiens, je crois que c’était moins de douze secondes ?

— L’espèce de casque dans la salle d’opération, derrière le bureau de Mielwiss !

— Parfaitement.

Charlie resta songeur quelques instants et dit :

— Écoute, Osséon, puisque vous êtes en mesure de faire une chose pareille, à quoi rime toute la foutue opération à laquelle vous vous livrez avec moi ? Et vous voulez que j’apprenne toute la vérité sur Ledom avant de me renvoyer chez moi, et que je me renseigne, et que je pose des questions, et le reste ? Pourquoi est-ce que vous ne me flanquez pas une bonne fois pour toutes sous le cérébrostyle ? Encore douze secondes et je saurai tout ce qu’il y a à savoir !

Osséon secoua la tête avec gravité.

— C’est ton opinion, que nous voulons, Charlie. Je dis bien ton opinion. Ce que te donne le cérébrostyle, c’est la vérité. Et une fois que tu la détiens, tu sais que c’est la vérité. L’instrument grâce auquel tu obtiendras tes informations, nous voulons que ce soit Charlie Johns, et que tu sois capable de nous révéler ensuite les conclusions auxquelles Charlie Johns sera parvenu.

— Autrement dit, tu estimes que je ne vais pas croire à certaines des choses que je vais voir !

— J’en suis persuadé. Tu comprends, le cérébrostyle nous fournirait les réactions de Charlie Johns à la vérité. Tes propres observations nous donneront les réactions de Charlie Johns à ce qu’il croit être la vérité.

— C’est tellement important pour vous ?

Osséon ouvrit les mains.

— Nous faisons le point. Nous vérifions notre trajectoire. (Et avant que Charlie ait eu le temps de soupeser ses paroles, d’y réagir, il se hâta de reprendre, pour conclure :) Autrement dit nous ne sommes pas des faiseurs de miracles, des magiciens. Pourtant, fondamentalement notre culture n’est pas technologique. C’est vrai que nous pouvons beaucoup. Mais grâce à deux techniques seulement. D’après ce qu’a pu me dire Philos — tu ne connaissais ni le champ-A ni le cérébrostyle grâce auxquels nous avons totalement résolu le problème de la production, celui de la main-d’œuvre. Désormais ce que tu appellerais l’enseignement ne demande plus ni locaux, ni temps, ni personnel, et nous vivons dans l’abondance, ce qui laisse aux gens le temps de se consacrer à d’autres choses.

— Mais lesquelles, Bon Dieu ?

Osséon sourit : — Tu verras…

* * *

— Moman ? demande Karen.

Jeanette est en train de donner son bain à la fillette de trois ans.

— Oui, chérie ?

— C’est vraiment vrai vrai que z’ai sortie de ton ventre ?

— Oui, chérie.

— C’est pas vrai !

— Qui t’a dit ça ?

— Davy dit que c’est lui qui a sorti de ton ventre.

— C’est vrai. Ferme les yeux fort fort pour pas qu’il entre de savon.

— Eh ben, si Davy a sorti de ton ventre pourquoi que moi z’a pas sorti du ventre à papa ?

Jeanette se mord la lèvre — elle se fait un devoir de ne jamais rire de ses enfants, à moins qu’ils ne soient les premiers à rire — et verse le shampoing.

— Alors moman, pourquoi ?

— Il n’y a que les mamans qui ont des bébés dans leur ventre, chérie.

— Pas les papas, jamais ?

— Jamais.

Jeanette fait mousser, puis rince, fait mousser, puis rince et rince encore et plus un mot n’est prononcé jusqu’à ce que le petit minois rose ait recouvré — rouvert — les deux grands yeux bleus qui l’éclairent, écarquillés.

— Ze veux des bulles.

— Oh, chérie ! Tes cheveux sont bien rincés, maintenant. (Mais il y a cet air implorant, cette lippe ze-fais-tout-ce-que-ze-peux-pour-pas-pleurer, et la cause est vite entendue, comme le souligne le sourire apparu aussitôt.) D’accord, mais rien qu’une minute, hein ? Et pas de bulles sur les cheveux, tu fais bien attention !