Un profond silence s’installa.
Le renflement reprit sa position initiale avec un petit claquement et Philos ouvrit aussitôt les yeux. Il écarta le casque et se dressa sur son séant. Il ne présentait aucun signe de fatigue ou de tension.
— Ça n’a pas été long, n’est-ce pas ?
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Philos montra du doigt le logement dans lequel il avait introduit le cube.
— C’est un petit exposé que j’ai préparé sur certains aspects d’Homo sap., expliqua-t-il. Il fallait que j’y apporte quelques modifications… Tu as dit que tu préférais ignorer certains faits et, outre, je souhaitais donner à la chose un tour personnel, un peu comme une lettre que je t’adresserais, pas comme le texte un peu ennuyeux d’un manuel…
— Mais alors… on peut modifier ces enregistrements d’une simple… ?
— Oui, ça demande un tout petit peu d’entraînement et de concentration, mais… oui. Bon… Allons-y ! (Quand il vit que Charlie regardait le casque avec hésitation, Philos se moqua de lui.) Allez ! Ça ne te fera aucun mal et c’est une étape importante sur le chemin qui te ramène chez toi.
Abandonnant toute hésitation, Charlie alla s’allonger. Philos l’aida à mettre le casque sur la tête. Charlie sentit comme de petits doigts s’agiter à l’intérieur, pour la mise en place. Le casque remua. Puis s’immobilisa. Philos lui prit la main et la guida jusqu’au renflement.
— Presse-le toi-même quand tu seras prêt. Il ne se produira rien jusque-là. (Il recula d’un pas.) Détends-toi.
Charlie leva les yeux vers lui. On ne discernait ni ruse ni dédain dans les étranges yeux sombres. Rien qu’un chaleureux encouragement.
Il pressa le bouton.
Herb traversa son jardin en se demandant comment interroger Smith à propos de la plaque — la plaque ? — qui a mis Jeanette dans une telle fureur, sans lui faire savoir que Jeanette est furieuse.
Smith est occupé à nettoyer une plate-bande de soucis et, quand il aperçoit Herb, il se lève, frotte les genoux de son pantalon et résout le problème :
— Salut. Amène-toi ; j’aimerais te montrer quelque chose. Je crois que ça t’amusera, et pas qu’un peu !
Herb saute le mur bas et suit Smith jusque chez lui. C’est joli chez Smith. Le radiateur ressemble à une chaîne stéréo et la chaîne stéréo ressemble à un radiateur. La machine à laver ressemble à une télévision et la télévision est déguisée en table basse pour prendre le café. Le bar ressemble à un bar, et tout ça est en bois de pin vernis.
Au-dessus du bar, dans une position vraiment centrale bien faite pour attirer l’attention, encadrée et soigneusement mise sous verre, on peut lire une citation écrite en caractères gothiques compliqués et attribuée, par une ligne de caractères plus fins, à un « philosophe du moyen âge » :
BONNE FEMME EST (SI FAIT OBSERVER TRÈS ANCIEN SAGE) COME ANGUISLE EN SAC PARMY QUINZE-VINGTS SERPENS ET QU’HOMME AICT BONNE FORTUNE DITE ANGUISLE SAISIR À LA QUEUD ET NON SERPENS, TANT BIEN N’AURA AU MIEUX QUE VISQUIEUSE ANGUISLE PAR LA QUEUD.
Herb s’était préparé à partager l’indignation de Jeanette en confiance, les yeux fermés, mais l’inscription le prend délicieusement par surprise et il rugit de rire, tandis que Smitty glousse en arrière-plan. Puis Herb demande si cela plaît à Tillie.
— Les femmes, pontifie Smitty, n’ont aucun sens de l’humour.
C’était bien comme l’avait dit Philos, une espèce de lettre. Mais sa « lecture » ne ressemblait à rien de ce que Charlie avait, à ce jour, consciemment expérimenté. Il avait pressé le bouton qui avait émis un petit « clic ! » et aussitôt, son sens du temps s’était trouvé aboli. Cela ne dut pas durer très longtemps, cependant, et il n’y eut pas à proprement parler de perte de conscience car, lorsque le bouton refit « clic ! » Philos se tenait souriant, toujours devant lui. À ce moment précis, Charlie se trouva exactement dans la situation de quelqu’un qui vient de reposer, après en avoir pris connaissance, la longue et instructive lettre d’un ami.
Ébahi, il dit (en anglais) : — Pour l’amour de Dieu !
Charlie Johns (c’est ainsi que la « lettre » commençait) tu ne peux être objectif dans une telle discussion, c’est impossible. Mais fais de ton mieux. Je t’en prie, fais de ton mieux.
Tu ne saurais te montrer objectif parce que depuis ta première layette bleue, on t’a endoctriné, sermonné, convaincu, seriné et policé. Tu viens d’un point du temps et de l’espace où la virilité de l’homme et la féminité de la femme — et l’importance de cette différence — faisaient pratiquement l’objet d’une attention continue, constituaient une préoccupation permanente.
Commence donc par la constatation suivante — que tu peux considérer, si cela te chante, comme une simple hypothèse de travail. Il s’agit en fait d’une vérité et si, pour finir, elle parvient à passer l’épreuve de ta propre compréhension, tu verras qu’il s’agit d’une vérité. Si tu n’y parviens pas, ce ne sera pas ta faute, mais celle de ton orientation :
IL Y A PLUS DE SIMILITUDES QUE DE DIFFÉRENCES FONDAMENTALES ENTRE L’HOMME ET LA FEMME.
Consulte un manuel d’anatomie. Un poumon est un poumon, un rein un rein, chez l’homme comme chez la femme. Le squelette féminin peut être statistiquement plus léger que celui de l’homme, la tête plus petite, et ainsi de suite — mais il n’est même pas impossible que cela résulte d’une sélection pratiquée par l’humanité depuis des millénaires. Sans même faire appel à de telles notions, les variations permises à l’intérieur même de la « norme », nous fournissent en nombres incalculables des exemples de femmes plus grandes, plus fortes et dotées de squelettes plus lourds que la plupart des hommes, et des exemples d’hommes plus petits, plus faibles et plus légers que la plupart des femmes. Bien des hommes ont un bassin plus large et une plus large ouverture pelvienne que bien des femmes.
Si nous abordons la question des caractères sexuels secondaires, il faut encore faire appel aux statistiques pour noter des différences marquées ; car bien des femmes ont un système pileux plus développé que bien des hommes ; bien des hommes ont des voix plus aiguës que bien des femmes… J’en appelle de nouveau à ton objectivité. Suspend pour un temps ta conviction selon laquelle la majorité statistique constitue la norme, et examine les cas, si nombreux, qui n’entrent pas dans cette prétendue norme. Et poursuivons :
Car en ce qui concerne les organes sexuels, génitaux, eux-mêmes, des variations de développement — et nous entrons ici dans le domaine prétendu de la pathologie — ont produit des exemples innombrables de phallus atrophiés, de clitoris hypertrophiés, de scrotum perforés, de lèvres soudées… toutes choses qui, considérées objectivement, ne constituent pas des variations bien énormes et pourraient servir à former, sur un corps mâle ou femelle, à l’origine, des triangles urogénitaux pratiquement semblables. Je n’ai pas l’intention de prétendre qu’une telle situation est ou devrait être normale — du moins pas après le quatrième mois d’existence fœtale, encore que, jusqu’à ce moment, elle ne soit pas seulement normale, mais universelle — mais seulement d’attirer ton attention sur le fait qu’une telle possibilité est bien comprise dans les limites du développement naturel, depuis la préhistoire.
L’endocrinologie apporte un certain nombre de constatations intéressantes. Homme et femme sont capables de produire des hormones mâles et des hormones femelles (et ils le font au demeurant), la question de savoir lesquelles l’emportent relevant d’un dosage extrêmement subtil et d’un équilibre plus que fragile. En détruisant ce dernier, on entraîne des modifications assez radicales. En quelques mois, on peut produire une femme à barbe dépourvue de seins ou un homme dont les seins, cessant d’être le symbole atrophié de l’argumentation que je développe ici, sont capables de lactation.