Выбрать главу

— Les archives du cérébrostyle en regorgent, au cas où cela revêtirait une importance soudaine. Entre-temps, cela attendra…

— Quoi ?

— Que le monde redevienne vivable ?

— Combien de temps cela prendra-t-il ?

Philos haussa les épaules.

— Personne ne peut encore le dire pour le moment. Osséon est d’avis d’expédier un satellite tous les cent ans environ pour s’en assurer.

— Tout les cent ans ! Mais bon sang, Philos, combien de temps comptez-vous rester enfermés ici !

— Aussi longtemps qu’il faudra. Écoute, Charlie, l’humanité a passé plusieurs milliers d’années à regarder vers l’extérieur. Nos archives contiennent plus de renseignements — et de loin — sur la composition des nébuleuses que sur la structure du sol que nous foulons au pied. Ce n’est pas une mauvaise analogie ; il ne serait pas mauvais que nous équilibrions un peu les choses en passant quelque temps à regarder vers l’intérieur. Comme l’un de vos écrivains — je crois que c’était Wylie — le disait, il est temps de cesser d’examiner l’objet pour tenter de connaître un peu le sujet.

— Et, en attendant, vous restez au point mort ! cria Charlie qui, d’un geste large, montra un Ledom, à quelque distance, dans les champs, traditionnellement courbé vers la terre. Qu’est-ce que vous comptez faire ? Rester au point mort pendant dix mille ans ?

— Qu’est-ce que dix mille ans, demanda Philos sans se départir de son calme, dans l’histoire d’une race ?

Ils marchèrent un moment en silence, à travers les ondulations du paysage, jusqu’à ce que Charlie, un peu gêné, finisse par émettre un petit rire et dire :

— Je suppose que je ne suis pas habitué à raisonner dans des termes aussi grandioses… Écoute, je suis encore un peu dans le brouillard en ce qui concerne les origines de Ledom.

— Je sais, dit Philos, songeur. Eh bien, à l’apparition des deux premiers d’entre nous, la nouvelle fut communiquée à un très petit nombre de gens très intelligents et qui voyaient loin. Comme je te l’ai dit dans le cérébrostyle, ils s’appliquèrent à nous cacher leur identité et tu peux être assuré qu’ils se sont montrés dix fois plus prudents encore vis-à-vis du reste du monde. L’homo sap. risquerait de prendre en assez mauvaise part l’idée d’être supplanté ; qu’en penses-tu ?

— Je te crois !

— Quand bien même la nouvelle espèce ne serait pas un compétiteur direct, ajouta Philos. Bon, encore que nous ignorions qui ils furent, il est évident qu’ils devaient être rudement calés dans une bonne douzaine de domaines différents. Ils avaient mis au point le premier cérébrostyle, par exemple, et achevé la plupart des recherches préliminaires à la découverte du champ-A — mais je crois que le premier champ-A fut effectivement produit une fois que nous avons été livrés à nous-mêmes. Est-ce qu’ils se sont occupés de nous jusqu’à leur mort, ou bien est-ce qu’ils ont coupé les ponts à un moment donné, pour retourner je ne sais où, je ne serais pas en mesure de le dire. Je tiens seulement pour certain qu’il a d’abord existé une petite colonie de jeunes Ledom vivant dans une vaste grotte de montagne, ouvrant sur une haute vallée totalement inaccessible. Les Ledom ne s’aventurèrent jamais dans cette vallée jusqu’à la production du premier champ-A qui permit de la recouvrir d’un toit.

— Et l’air n’était pas encore radioactif ni rien de ce genre ?

— Exactement.

— Mais alors les Ledom ont effectivement coexisté avec homo sap pendant un bout de temps !

— Oui. On aurait pu les découvrir par la voie des airs, mais même celle-ci se trouva définitivement barrée avec l’apparition du champ-A.

— À quoi cela ressemble-t-il, vu d’en haut ?

— On m’a dit que ça a l’aspect des montagnes environnantes.

— Dis-moi, vous vous ressemblez tous beaucoup, est-ce que vous êtes tous les membres d’une unique famille ?

— Oui et non. Si j’ai bien compris, tout a commencé avec deux Ledom qui n’étaient pas parents. Nous descendons tous de ces deux-là.

Charlie réfléchit un moment puis renonça à poser la question qui lui tournait dans la tête. À la place, il demande :

— Est-ce qu’on pourrait sortir d’ici ?

— Personne ne le voudrait, tu ne crois pas ?

— Est-ce que ce serait possible ?

— Je le suppose, admit Philos, une légère irritation dans la voix.

Charlie se demanda s’il s’agissait d’une forme de conditionnement. Ce serait logique.

— Depuis combien de temps les Ledom sont-ils ici ?

— Je te répondrai, dit Philos, mais pas maintenant.

Un peu froissé, Charlie garda un moment le silence.

Puis il demanda :

— Existe-t-il d’autres colonies ledom, semblables à celle-ci ?

— Aucune. Philos se faisait d’instant en instant plus laconique.

— Et, dehors, il ne reste plus personne ?

— Nous le présumons.

— Quoi ? Vous n’en êtes pas certains ?

Voyant que Philos n’était pas disposé à répondre, Charlie lui demanda tout à trac :

— Homo sap. est-il réellement éteint ?

— Inévitablement, fut la réponse dont il lui fallut se contenter.

Ils avaient atteint la limite de la vallée et commençaient à grimper. La progression devenait plus difficile, mais Philos semblait désireux d’accélérer, comme poussé par une force mystérieuse. Charlie remarqua qu’il examinait soigneusement chaque rocher et jetait sans cesse des regards en arrière, vers la silhouette de Ceux de la Science et de la Médecine qui se profilait à l’horizon.

— Tu cherches quelque chose ?

— Rien qu’un endroit où nous pourrons nous asseoir, dit Philos.

Ils entreprirent de circuler entre d’énormes blocs erratiques, jusqu’à ce qu’ils arrivent au pied d’une pente très raide, composée de rochers massifs noyés dans des couches de terre meuble. Philos jeta de nouveau les yeux en arrière, mais Ceux de la Science et de la Médecine étaient maintenant masqués à la vue et d’une voix étrange, tendue, il invita Charlie à s’asseoir.

Charlie comprenant que, depuis quelques minutes, quelque chose d’important et d’inattendu se préparait, dénicha une roche plate et s’assit dessus.

— C’est ici que j’ai perdu… mon compagnon… Froure…, dit Philos.

Charlie se souvint de la promesse qu’il avait faite à Nassiv et n’eut aucun mal à ne rien dire tout en arborant une expression de sympathie, d’ailleurs très réelle.

— Il y a de cela bien longtemps, dit Philos. On venait de me confier le poste d’historien. L’idée générale était de chercher à voir ce qui se produirait si l’un d’entre nous s’y plongeait tout entier, si c’était, en somme, aussi dangereux, aussi venimeux que le craignaient certains. Et par « certains » j’entends les gens qui avaient travaillé avec nous dans la grotte. Ils étaient fermement convaincus que nous devions trancher tout lien avec homo sap. qui s’en était si mal tiré, pour éviter de l’imiter en quoi que ce soit, serait-ce inconsciemment. Au prix de son art, de sa littérature et de tout ce que ses jugements avaient eu de sain. En même temps, ils ne voulaient pas que nous fussions privés de ses sciences exactes — c’est toi qui as parlé d’astronomie ? — et d’un certain nombre d’informations portant sur le développement et l’évolution. Ce peut être utile, vois-tu de posséder parfois une certaine connaissance des erreurs à ne pas commettre. Cela ne fait pas qu’éviter des ennuis : d’un point de vue moral, cela confère une certaine utilité aux pires erreurs. Je fus donc… le cobaye…, conclut-il avec un petit sourire amer.