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Tout le monde applaudit.

* * *

Philos appliqua son épaule contre la table rocheuse et elle tourna sur elle-même pour se refermer. L’obscurité fut totale pendant quelques instants. Puis Philos déterra un morceau de matière luminescente et le fixa dans une fente de la paroi.

— Il te reste à apprendre quelque chose de très important sur Ledom. Et tu vas l’apprendre d’une manière assez terrible. Mais on ne pourrait rêver manière plus appropriée. Mielwiss lui-même n’a pas la moindre idée de la façon dont tu vas être éclairé.

De quelque niche secrète, dans le roc, il sortit une espèce de cape, faite d’un tissu comparable à une toile d’araignée très épaisse. Il en prit une seconde dont il s’enveloppa, tendant la première à Charlie qui imita son exemple, incapable de prononcer une parole. Philos reprit en martelant ses mots, comme en proie à une colère sourde.

— Froure fut englouti et je plongeai à sa suite. Et quand Froure me dégagea — Froure qui avait le pied et quatre côtes brisées — nous nous retrouvâmes ici. C’est ce que les géologues appellent une cheminée. Ce n’était pas aussi confortable, à l’époque. Il était inutile d’essayer d’en sortir, à travers l’éboulement. Nous nous y sommes donc enfoncés.

Il passa devant Charlie qui eut l’impression qu’il allait s’accroupir dans l’ombre, dans un coin. Puis il disparut. Charlie le suivit et découvrit que la tache d’ombre était en fait l’entrée d’un tunnel. Dans l’obscurité, Philos le prit par la main. Charlie trébucha sur le revers de sa cape et poussa un juron.

— C’est trop chaud !

— Garde-la sur toi, se contenta d’ordonner Philos.

Il partit de l’avant, tirant presque Charlie qui traînait les pieds et faisait de son mieux pour suivre le rythme. Pendant tout ce temps, Philos parlait. Il parlait en petites phrases courtes, dures, hachées. Ce qu’il avait à dire lui faisait mal ; cela se sentait.

— Mon premier souvenir est d’une espèce de grotte aveugle. Froure s’était débrouillé pour donner un peu de lumière et je me sentais littéralement tout retourné. Comme un gant. Je fis une fausse couche. Double. Mes deux bébés. Cela prit trois heures. La lumière tint jusque-là, je le regrette encore aujourd’hui. Attention à ta tête, le tunnel s’abaisse, ici… C’était des fœtus de six mois et demi. Bien formés…

« Des fœtus de ton espèce, reprit la voix de Philos dans les ténèbres après une longue interruption : des petits homo sap.

— QUOI ?

Philos s’arrêta dans le noir et Charlie l’entendit fourrager. D’un éboulis, il retira de nouveau un morceau de matière luminescente qu’il mit en place. Une caverne aux parois lisses et arrondies apparut. Probablement quelque énorme bulle crevant dans la roche en fusion, quand la montagne était un volcan…

— Ça s’est passé ici. (Philos montrait l’endroit d’un coup de menton.) Froure a essayé de me les cacher… Je n’aime pas que l’on cherche à me cacher des choses.

« Nous avons un peu exploré. Nous découvrîmes que toute la colline était criblée de cheminées. Elle ne l’est plus, à propos… Nous découvrîmes aussi un moyen de regagner Ledom, un trou vertical à une centaine de mètres de l’éboulement. Mais ce n’est pas tout. Nous avons également découvert une sortie. Un tunnel qui débouche de l’autre côté du « ciel ».

« J’étais blessé, j’avais du chagrin et j’étais en proie à la colère. Froure aussi. Il nous vint une idée folle. Les fractures de Froure étaient douloureuses mais pas dangereuses. Nous autres, Ledom, savons fort bien faire face à la douleur. Mais j’avais, moi, des blessures internes qui devaient être soignées. Nous décidâmes que je retournerais en arrière mais que Froure disparaîtrait quelque temps.

— Pourquoi ?

— Je voulais découvrir la vérité. J’avais perdu deux bébés, deux homo sap. Était-ce seulement moi ? Et si jamais je découvrais ce que j’avais peur de découvrir, je voulais que Froure et moi soyons loin de Ledom, suffisamment loin pour prendre au moins le temps de réfléchir…

« Bref, je devais rentrer et Froure rester en arrière. Je me ferais soigner et je reviendrais le plus vite possible. Je remontai par l’autre cheminée et nous provoquâmes un autre éboulement. Les équipes de secours me découvrirent et creusèrent tout naturellement à l’endroit que je leur indiquai. Froure resta donc introuvable, et pour cause. Mais ce second éboulement avait si bien été imité que je m’y étais blessé une seconde fois. Les soins durèrent beaucoup plus longtemps que je n’avais prévu. Je me hâtai de revenir — ils se montraient si compréhensifs, ils étaient prêts à me laisser prendre le deuil comme je l’entendais… Contre toute attente, j’espérais encore arriver à temps. J’arrivai trop tard. Froure avait accouché tout seul de ses deux enfants et l’un était mort… C’étaient deux homo sap.

— Philos !

— Oui, homo sap. Alors nous abordâmes au rivage des certitudes. Pour naître Ledom, il fallait naître dans Celui de la Médecine. Est-ce que cela évoque le moins du monde pour toi une mutation ?

— Bien sûr que non !

— Il n’y a pas eu de mutation, Charlie, voilà ce que Mielwiss voulait que tu saches. Et Froure est vivant, caché ici, comme notre petit homo sap. et c’est ce que, moi, je voulais te faire savoir.

C’était trop. Beaucoup trop. Charlie ne pouvait tout comprendre d’un coup et il procéda par petits morceaux.

— Mielwiss ignore que cela vous est arrivé ?

— Oui.

— Ton… Froure est vivant, il est ici ? (mais Nassiv avait dit que l’éboulement s’était produit il y a des années !) Depuis combien de temps, Philos ?

— Des années… Soutine, l’enfant, est presque aussi grand que toi, maintenant.

— Mais pourquoi ? Pourquoi ? Vous couper de toute…

— Charlie, dès que j’en suis redevenu capable, je me suis mis en quête de tout ce que je pouvais trouver sur Ledom. Des questions que je n’aurais jamais songé à poser auparavant. Les Ledom sont des gens ouverts et honnêtes, mais ils sont humains et ont besoin d’une certaine intimité. Et je crois que le moyen qu’ils ont trouvé pour la sauvegarder, c’est… de répondre quand on leur pose des questions, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, mais de se taire tant qu’on ne leur demande rien. Disons le mensonge par omission, sous sa forme la plus atténuée. Il y a des secrets, dans Celui de la Science et dans Celui de la Médecine… Oh ! rien d’aussi ridicule que vos secrets militaires, « diffusion restreinte », « top secret », et autres absurdités. Mais des choses, bien des choses, à propos desquelles il ne viendrait à l’esprit de personne de poser des questions. Personne ne s’était jamais avisé, par exemple, de demander pourquoi notre check-up mensuel a lieu sous anesthésie totale et, ce, toute notre vie durant ; personne n’avait jamais demandé pourquoi nos bébés passaient toujours un mois en couveuse avant de nous être montrés. Et qui songerait jamais à poser des questions sur un truc aussi improbable que des expériences sur le voyage dans le temps ? D’ailleurs, je suis tombé sur le Contrôle Naturel par accident — enfin, j’ai appris son existence, parce que, lui, je ne l’ai jamais vu en personne — et je n’y aurais rien compris, sans la naissance de Soutine.