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— Le Contrôle Naturel ?

— C’est un enfant, un homo sap. caché quelque part dans Celui de la Médecine. L’esprit maintenu en état de léthargie, pour leur fournir une espèce d’étalon, pour vérifier leur travail. Tu vois donc que nos trois mort-nés et Soutine ne sont pas les seuls homo sap. à être nés ici. C’est quand j’ai découvert l’existence de Contrôle Naturel que j’ai décidé que Soutine resterait caché ici — et donc Froure aussi, bien sûr. Quand Soutine est né, c’était une drôle de petite chose — tu me pardonneras, Charlie, mais pour nous, il était bizarre — mais nous l’aimions. Tout ce qui a pu se passer nous l’a fait chérir d’autant plus. Mielwiss ne l’aura pas.

— Mais alors… que va-t-il se passer ? Que comptes-tu faire ?

— Cela dépend de toi, Charlie.

— MOI ?

— Le ramèneras-tu avec toi, Charlie ?

Dans la pénombre argentée, Charlie chercha à apercevoir la silhouette enveloppée d’une cape, le fin visage sensible. Il songea à la dureté, à la souffrance, aux soins, à la douloureuse solitude de ces deux êtres aimants contraints de se séparer si souvent, tout cela à cause de l’amour qu’ils vouaient à leur enfant. Puis il songea à l’enfant, condamné s’il restait ici, à une vie de taupe, d’ermite et s’il rentrait à Ledom, à une existence de monstre, de souris de laboratoire… Mais s’il le transportait à sa propre époque, que se passerait-il ? Il ne connaissait ni la langue, ni les mœurs… cela risquait d’être pire que tout ce que Mielwiss pourrait faire.

Il fut sur le point de secouer la tête en signe de refus, mais l’angoisse déchirante qu’il lut sur les traits de Philos l’en empêcha. De toute façon… Osséon ne le permettrait pas ; Mielwiss s’y opposerait. (Mais souviens-toi — souviens-toi ? Tu connais la position à donner aux manettes, souviens-toi !)

— Est-ce que tu pourrais nous amener jusqu’à la machine temporelle, dans Celui de la Science, sans nous faire voir de personne ?

— S’il le fallait, oui…

— Il le faut. Je vais l’emmener.

Philos ne dit alors rien de spécial, mais il le dit d’une telle façon que Charlie Johns en fut récompensé au-delà de tout ce qu’il avait pu imaginer. Ses yeux sombres emplis de lumière, Philos murmura simplement :

— Allons prévenir Froure et Soutine !

Philos s’enveloppa complètement dans la cape épaisse, invitant d’un geste Charlie à en faire autant, puis il plaça ses deux mains, l’une au-dessus de l’autre, à plat sur la paroi rocheuse. Elles y trouvèrent probablement quelque mécanisme secret, toujours est-il qu’un pan de la roche lisse pivota, démasquant une ouverture de la taille d’un homme. Un souffle d’air glacé pénétra dans la caverne.

— C’est une espèce de sas, expliqua Philos, Le « Ciel » se termine là. Si le tunnel restait ouvert en permanence, il en résulterait à la longue une perte de pression qui finirait par éveiller des curiosités à la station de contrôle.

Charlie comprit alors que l’air tiède et vif de Ledom n’était pas seulement conditionné mais aussi pressurisé.

— C’est l’hiver, en ce moment, à l’extérieur ?

— Non, mais l’altitude… Je passe le premier pour te guider.

Il pénétra dans le trou d’homme, le pan de roc pivota derrière lui. Charlie vint se placer devant et posa les mains comme il avait vu faire Philos. La roche pivota de nouveau. Il fit un pas en avant et sentit le sas se refermer sur ses talons. Il se retrouva à flanc de montagne, sous les étoiles. Fut-ce le froid coupant qui lui serra la poitrine ? Fut-ce la vue des étoiles… ?

Dans la clarté des étoiles ils dévalèrent la pente, se laissèrent tomber, haletants, dans une espèce de crevasse peu profonde et, là, Philos trouva une porte. Il l’ouvrit d’une poussée et ils reçurent un souffle chaud au visage. Ils entrèrent, le vent referma la porte dans leur dos. Ils avancèrent et ouvrirent une seconde porte. Et là, courant à leur rencontre à travers une longue pièce au plafond bas, où crépitait un vrai feu de bois dans une vraie cheminée de pierres, courant à leur rencontre avec un sourire de bonheur, ils virent venir Froure et, dans son dos, courant aussi, Soutine.

Charlie Johns eut le temps de murmurer un mot unique avant de s’effondrer, évanoui. Et ce mot, ce mot était LAURA !

* * *

— Il y a des moments où ça te flanque la trouille de regarder autour de toi, dit Herb.

Jeanette est occupée à tremper du pop-corn dans des petits bols de colorants alimentaires pour que Davy puisse se confectionner un collier indien. Davy n’a que cinq ans mais il est très habile avec du fil et une aiguille.

— Eh bien, regarde ailleurs ! Qu’est-ce que tu regardes ?

— Écoute la radio ! Écoute-moi ça !

Une voix est en train de vagir une chanson. Les paroles ont quelque chose à voir avec les sortilèges de l’acné juvénile et l’accompagnement au piano serait susceptible d’en donner — de l’acné juvénile — à un vieillard, pour peu qu’il soit mélomane.

— Qui est-ce qui chante ?

— Alors là, vraiment, je n’en sais rien, dit Jeanette que la conversation ennuie. Qu’est-ce que tu m’offres ? Un porte-clés, si je devine ? Comment veux-tu que je perde mon temps à reconnaître les Frères Quelque Chose du Trio Charivary, ils chantent tous de la même façon.

— D’accord, d’accord, mais qui ? Qui est-ce ?

Elle dépose à contrecœur le pop-corn et le pot d’écarlate pour mieux écouter.

— C’est le chanteur borgne monté sur un cheval aveugle qui montrait toutes ses caries avant-hier à la télé ?

Herb triomphe.

— Et voilà ! Tu penses à ce minet de gouttière qu’ils appellent Debsie. Autrement dit, un type, un mec, un garçon. Or, c’est une femme, une nana, une nénette, parfaitement !

— Sans blague ! (Elle écoute la voix qu’une série de glissandi amène à la fin de la chanson pendant que le piano entrechoque ses dents de chameau.) Tu sais que tu as raison !

— Je sais que j’ai raison et il y a de quoi te flanquer la trouille. (Il fait claquer le magazine qu’il était en train de lire.) Je suis justement en train de lire Al Capp, tu sais, la bande dessinée, Al Capp, qui dit qu’on peut enfin de nouveau reconnaître les filles des garçons dans les illustrations des magazines. Les plus jolis sont les garçons. Bon, je suis en train de lire ça et qu’est-ce que j’entends à la radio ? Une chanteuse qui s’arrange pour avoir précisément la qualité de voix qui fait qu’on la prend pour un garçon avec une voix de fille.

— Et ça te flanque la trouille ?

— Ça pourrait finir par devenir gênant, annonce-t-il d’un ton enjoué. Si l’on permet à ces gadgets de se reproduire, on va bientôt se retrouver avec une mutation sur les bras, on pourra vraiment plus discerner…

— Idiot ! Les mutations ne se produisent pas comme ça !

— Je le sais, figure-toi. Ce que je voulais dire c’est qu’à ce train-là, si une vraie mutation s’amenait, on ne s’en apercevrait même plus !

— Tu ne crois pas que tu vas un peu loin à partir de pas grand-chose ?

— Peut-être bien. Seulement, et je parle très sérieusement, est-ce que tu n’as jamais l’impression qu’une espèce de force obscure s’est mise à l’œuvre qui tend à transformer les femmes en hommes évitchéversa ? Regarde la Russie. On n’avait jamais vu une expérience sociale de cette dimension transformer tant de millions de femmes en chevaux vapeur ! Et les Chinois ! Les bonnes femmes ne sont pas sitôt sorties de leurs pantoufles de bébé où les maintenait la domination sadique des féodaux, qu’elles ont enfilé des bleus de travail pour aller pelleter du charbon quatorze heures par jour au coude à coude avec leurs frères. Ce n’est jamais que l’autre face du disque qu’on vient d’entendre !