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— Tu me comprends, Charlie, oui, tu me comprends, tu me comprends.

Il ouvrit les yeux et toute brume s’évanouit. Quelqu’un se penchait sur lui, très près, pas Manman, pas Laura, pas la rouquine, pas Rachel, personne, mais cette chose en peignoir rouge, qui répéta :

— Tu me comprends, maintenant, Charlie.

Bon, ce n’était pas de l’anglais, mais il comprenait aussi bien que si ç’avait été de l’anglais. Il était même capable de ressentir la différence. Les structures du langage n’étaient pas les mêmes. Une analyse grammaticale aurait donné à peu près ceci :

— Tu (deuxième personne du singulier, mais choisie parmi d’autres possibles, celle-ci n’exprimant ni l’intimité ni un formalisme excessif mais plutôt l’amitié et le respect, comme pour s’adresser à un oncle chéri) comprends (sans aucune connotation émotive ou psychologique, purement objectif) moi (un moi amical et secourable, désignant un conseiller ou un guide, mais pas un supérieur dans une quelconque hiérarchie) Charlie.

Il avait pleine et entière connaissance de tous les autres mots et tournures qui auraient pu être employés et de leur charge sémantique, mais nullement du système culturel qui les avait produits. Et il savait aussi que s’il avait voulu répondre en anglais, la chose lui aurait été possible. On lui avait ajouté des connaissances, mais rien retranché…

Il se sentait… fort bien. Il se sentait comme quelqu’un qui manque un tout petit peu de sommeil et il se sentait aussi un peu idiot, parce qu’il savait, désormais, du plus profond de lui-même, que son accès d’indignation avait été sans objet, tout comme sa frayeur : ces gens n’avaient nullement voulu le ridiculiser et rien n’indiquait qu’ils eussent la moindre intention de lui faire du mal.

— Je m’appelle Osséon, annonça celui qui portait une robe rouge. Me comprends-tu ?

— Et comment !

— S’il te plaît — parle ledom.

Charlie reconnut ce mot. Il désignait le langage, le pays et ses habitants. Utilisant cette langue nouvelle, il dit avec un grand étonnement :

— Je le parle !

Il se rendait compte que son accent était étrange. Comme toutes les langues, celle-ci avait ses particularités sonores, comme les « clic » africains, les nasales françaises, les gutturales allemandes ou arabes. C’était en tout cas un langage fort plaisant à l’oreille — il se souvint tout à coup du sentiment délicieux, étant enfant, que lui avait procuré la vision d’une page tapée avec une machine équipée de caractères « script », chaque lettre jointe à la suivante par une petite queue bouclée — pour l’oreille, chaque syllabe ledom se joignait de la sorte à la suivante. C’était une langue qui remplissait la bouche, plus que ne le fait l’anglais moderne, un peu comme l’anglais de Shakespeare qui est un instrument plus sonore. Il aurait été parfaitement impossible de parler ledom les lèvres ouvertes et les mâchoires serrées, comme tant d’Anglo-Saxons ont tendance à le faire de nos jours.

— Je parle ledom ! cria Charlie Johns, et tous de roucouler des félicitations.

C’était la première fois qu’il ressentait une telle joie depuis le jour où, à sept ans, il avait fait ses premières brasses sans ceinture, sous les acclamations des petits copains de la colo.

Osséon le prit par le bras et l’aida à s’asseoir. Ils lui avaient fait enfiler une chemise blanche du genre de celle que portent les patients dans tous les hôpitaux du monde. Il regarda Osséon (il se souvenait, maintenant, que cette phrase « je m’appelle Osséon » avait été prononcée un certain nombre de fois depuis son « arrivée » mais, jusqu’alors, son oreille avait été incapable d’en séparer les phonèmes) et il lui adressa un sourire, un vrai sourire, le premier depuis qu’il s’était retrouvé dans ce monde étrange. Cela suscita un nouveau murmure enjoué.

Osséon présenta l’indigène vêtu d’orange.

— Voici Mielwiss, dit-il.

Mielwiss fit un pas en avant et déclara :

— Nous sommes tous très heureux de t’avoir parmi nous.

— Et voici Philos.

L’homme au maillot de bain 1900 hocha la tête et sourit. Ses traits aigus semblaient pleins d’humour et ses yeux noirs avaient un éclat bref et ironique qui masquait probablement des profondeurs insoupçonnées.

— Et enfin Nassiv et Grocid, dit Osséon terminant les présentations.

Les deux paniers verts lui adressèrent un sourire de bienvenue et Grocid déclara :

— Tu es au milieu d’amis. Avant tout, nous voulons que tu en sois bien persuadé.

Mielwiss, le plus grand, que nimbait imperceptiblement le respect dont les autres semblaient l’entourer, prit alors la parole.

— Oui, fais-nous, je te prie, la grâce de le croire. Fais-nous confiance et… s’il est quoi que ce soit que tu désires savoir, tu n’as qu’à demander.

Tous les autres exprimèrent ensemble un accord harmonieux.

Charlie, qui commençait à les trouver sympathiques, se passa la langue sur les lèvres et rit nerveusement.

— Ma foi… c’est surtout de… quelques renseignements, que j’aurais besoin.

— Tout ce que tu voudras, reprit Osséon, tu n’as qu’à demander.

— Bon, avant tout, alors, où suis-je ?

Considérant que la question s’adressait d’abord à lui, Mielwiss répondit :

— Tu te trouves dans Celui de la Médecine.

— On appelle ce bâtiment Celui de la Médecine, expliqua Osséon. Celui d’où nous venons s’appelle Celui de la Science.

Et Grocid annonça, plein de déférence : — Mielwiss dirige (le mot signifiait à la fois « organise », « commande » et quelque chose de plus subtil comme « inspiré ») Celui de la Médecine.

Mielwiss sourit comme si l’on venait de lui adresser un compliment et poursuivit :

— Osséon dirige celui de la Science.

Osséon fit mine de juger exagéré ce qui semblait également un compliment et dit : — Grocid et Nassiv dirigent Celui des Enfants, il faudra que tu visites ça.

Les deux pagnes verts baissèrent les yeux avec modestie et Grocid roucoula : — J’espère que tu viendras bientôt.

Charlie regardait de l’un à l’autre, éberlué.

— Tu vois donc, dit Osséon (et ce « voir » signifiait « saisir, embrasser, comprendre », quelque chose comme tu « sais tout, maintenant ») nous voici tous avec toi.

La signification exacte de cette dernière phrase échappa à Charlie. Mais il avait l’impression qu’il s’agissait de quelque chose de vaste — comme si on lui avait présenté, d’un même geste, la reine d’Angleterre, le président des États-Unis et le pape. Il bredouilla donc la seule chose qui lui vint à l’esprit, « heu… merci beaucoup » et les autres semblèrent s’en réjouir. Puis il se tourna vers la dernière personne dont il ignorait encore les fonctions, Philos, l’homme au maillot de bain qui, du diable s’il s’y était attendu, lui adressa un clin d’œil. Mielwiss dit alors, comme si cela allait de soi :