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Il secoue légèrement la tête et crache sur le côté. De la bile, du sang.

— Le lendemain, c’était repos. Il m’a laissé seul, il m’a dit qu’il allait revenir dans deux jours, et qu’il y aurait encore du travail. J’avais un lit, un réchaud et des conserves pour me faire de la bouffe. Même une petite radio. Je sais pas lire, mais pour les billets et les zéros, c’est pas pareil. Alors, j’ai passé mon temps à compter, et recompter les dix mille euros. J’avais froid mais j’étais bien, vous comprenez ? Qu’est-ce que je faisais de mal ? J’aidais un type un peu barge à amener des objets sous terre, on était au milieu de nulle part. Il y avait rien de bizarre là-dedans.

Michel n’arrive plus à se contenir. Il brandit soudain la pierre tranchante, prêt à l’abattre sur le visage de Farid.

— Rien de bizarre ?

Farid détourne la tête et ferme les yeux. Le coup ne part pas.

— T’as pu voir le masque de fer ? demande Michel. T’as remarqué des explosifs ou des trucs dans le genre au chalet ?

— Non, non. Le masque, les chaînes, j’étais pas au courant. J’ai commencé à me poser des questions au quatrième jour. Quand… quand il a ouvert le coffre de sa fourgonnette et que, dedans, il y avait une espèce de gros colis empaqueté dans un drap, et scotché de tous les côtés. Ce qui est sous la couverture de la photo… Ce colis, on l’a porté à deux et…

Il se tait et chiale à nouveau.

— C’était un corps, c’est ça ?

— Je crois pas. Il avait la forme d’un corps, mais il était plutôt léger, et dans une position curieuse, comme… comme recroquevillé. Non, non, ce ne pouvait pas être un corps, mais c’était vraiment malsain. J’ai pas cherché à en savoir davantage, d’accord ? Ce que je vivais, ça n’avait aucun sens. Je marchais avec un inconnu dans les montagnes, on descendait dans un trou, on déposait des choses et moi, j’allais me retrouver plein aux as. C’était tout.

— C’était quelle date ?

— Le 19 février.

Je réfléchis, quelque chose cloche.

— Le 19… J’ai été enlevé le 25. Et toi, Michel ?

— Pareil.

— C’est que…

— Non, non, réplique Farid. Je sais à quoi vous pensez. Au cadavre de la galerie ? C’est pas lui que j’ai descendu le 19, d’accord ? Parce que d’une part, il aurait été bien plus lourd, et d’autre part, notre cadavre, il était vraiment tout frais quand Michel l’a découvert, il venait d’être tué, peut-être la veille. Non, ce machin recroquevillé et empaqueté sous la couverture, c’était autre chose…

Il grelotta.

— Laissez-moi finir mon histoire, faut aller au bout maintenant. On a descendu le « colis », et là, au fond, je… je sais pas, j’ai commencé à paniquer, à penser à plein de trucs bizarres, alors il m’a montré un sac-poubelle rempli de pognon. Mon pognon. Quatre-vingt-dix mille euros. Vous savez ce que ça fait, quatre-vingt-dix mille euros entre les mains ?

— Un feu de cinq minutes. Continue.

— Il a abandonné le sac-poubelle là et m’a dit que, dans quelques jours, ce fric, il serait à moi. On a aussi laissé le colis empaqueté tel quel, on est remontés, je me suis retourné vers le sac-poubelle et je me suis mis à rêver… Cent mille euros…

Il fixe les cendres incandescentes.

— L’homme m’a laissé à nouveau cinq jours seul au chalet. J’ai franchement hésité à me tirer. Courir dans les bois avec mes dix mille euros, vers nulle part, et disparaître.

— Mais tu ne l’as pas fait.

Il pleure. Michel se penche vers lui, lui attrape les cheveux :

— On s’en fiche de tes regrets et de tes larmes. C’est trop tard. La suite.

— C’est… le fameux 25 que tout s’est passé. Il m’a dit que c’était le dernier jour, que le pognon, ce soir, il serait à moi. Vers les 5 heures du mat’, on a pris la fourgonnette, on est remontés dans la forêt. On s’est garés comme d’habitude et là, il a ouvert le coffre. Cette fois, il y avait trois gros paquets, alignés comme des sardines et saucissonnés dans des couvertures… Le temps était ignoble, le vent glacial, il faisait noir. J’avais l’impression de geler sur place. Le dernier jour, il avait dit. La dernière mission… Alors, je me suis emparé de la première momie et l’ai tirée à moi. Lui, il m’a regardé et il a souri. « Vite, je lui ai dit. Qu’on en finisse. » Je savais ce qu’il y avait là-dedans. Des corps… Des corps dont il voulait se débarrasser, j’en avais la certitude. J’étais persuadé qu’ils étaient morts, que… pour une raison quelconque, il voulait les enterrer dans ce trou, là où personne ne viendrait jamais les chercher. On a marché, et on est descendus, comme les autres fois. Lui, il portait carrément un corps sur ses épaules, et en plus, il m’aidait. Il n’y a que… que pour toi, Michel, qu’on s’y est mis à deux. T’étais trop lourd pour un seul homme. C’est sûrement pour ça qu’il m’a embauché, au final, pour te descendre, toi. À un moment, j’ai cogné ce qui ressemblait à la tête d’un corps contre la roche, et il m’a dit de faire gaffe. J’ai cru qu’il allait me tuer. Pourquoi faire gaffe à des morts ? Je me suis vite dit qu’il voulait les garder intacts. Que ce type, il avait une case en moins et que plus vite je serais parti, mieux ce serait.

Sa gorge lâche un long sifflement, ses dents claquent désormais sans discontinuer.

— Dans le lot, il y avait ton chien, Jonathan, il était pas trop lourd et il avait la forme d’un chien. Il m’a laissé le descendre tout seul.

Sous la chaîne, je ne peux même pas serrer les poings. Mes ongles s’enfoncent dans le tissu de mon pantalon. Je regarde Michel, il va et vient dangereusement, la pierre dans la main. J’ai peur pour Farid.

— C’était affreux, j’ai cru que… que j’allais mourir de fatigue, j’en pouvais plus. Quand on a fini, dans le gouffre, l’homme… il a allumé une lumière, et c’est là que j’ai vu la tente. Une vraie tente, montée sous terre. Alors, en une fraction de seconde, j’ai compris. J’ai compris que ces corps, ils devaient être vivants et que ce type, c’était… un malade. Un malade de la pire espèce. Il m’a souri une dernière fois, puis… puis il a ôté les couvertures. Vous étiez vivants. Endormis, mais vivants. T’avais déjà le masque de fer, Michel… Alors, le type m’a jeté le sac-poubelle à la figure. Et là, il m’a braqué avec le flingue et il m’a dit : « Il est vraiment à toi, ce pognon. Chose promise, chose due. Mais je doute fort qu’ici tu puisses t’en servir. Tu ne croyais quand même pas que j’allais te laisser repartir comme ça ? » Ensuite, il a tout balancé dans le puits. Les outils, la plupart du matériel. Vous connaissez la suite. Il m’a drogué. Comme vous, je me suis réveillé sur ma corniche, en hauteur, avec le sac d’argent et cette lettre bizarre de Jonathan à mes côtés. J’ai jamais pu la lire, cette lettre, je sais pas pourquoi il me l’a laissée, mais c’est bien celle-là que ton chien a trouvée. Quand… quand j’ai compris que vous risquiez tôt ou tard de monter sur ma petite corniche, je me suis décidé à tout jeter dans le puits, en me disant qu’au pire je pourrais tout récupérer plus tard. J’ai dû la laisser tomber derrière un rocher.