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Le blockhaus, bon sang. Pourquoi il me parle de ça ? Je ne saisis pas où il veut en venir. Qu’est-ce que je fiche à Metz ?

— C’était il y a quatre ans, oui. J’ai arraché mon chien à sa mort. Je suis resté au premier niveau de ce blockhaus, je ne suis jamais descendu plus bas.

— Il y a quatre ans, vous dites. Et bien sûr, vous n’y êtes pas revenu depuis ?

— Non.

Je sens une immense frustration sur ses lèvres.

— Que penseriez-vous si nous allions y jeter un petit coup d’œil ? Peut-être que ça vous rafraîchira la mémoire ? Peut-être pourrez-vous nous expliquer, de manière beaucoup moins irréaliste, comment vous avez pu charcuter un corps et votre chien de cette façon ?

— Irréaliste ? Vous… Vous êtes en train de me dire que vous ne me croyez pas ?

— Vous croire ? Croire, par exemple, qu’une personne morte il y a dix-neuf ans est revenue de l’au-delà pour se venger ? Croire à… (Il jette un œil vers son collègue.) À un mannequin en latex de votre fille figé dans un glacier ? Ou encore à ces cent mille euros, brûlés devant un type dont vous ne connaissez même pas le nom ? Un appareil photo, un tourne-disque avec… avec deux quarante-cinq tours ? Des circuits imprimés dans une entrave ? Ou encore un code derrière une boucle d’oreille, inaccessible à cause d’un… masque de fer ? Vous avez une sacrée imagination, on voit que vous avez lu beaucoup de récits d’aventures ou de science-fiction. Mais vous rendez-vous seulement compte de la stupidité de votre histoire ?

Le souffle me manque. J’avale ma salive bruyamment. J’ai compris. Un fou, on me prend pour un fou.

— Vous devez à tout prix parler à Michel, il… il vous expliquera !

Le psychiatre est debout. Il se penche vers moi.

— Michel est l’homme à la tête explosée ? Celui avec un tatouage d’aigle sur la jambe ? C’est lui que vous appelez Michel ?

— Non, non ! Lui, c’était notre tortionnaire, ce n’était pas Michel !

— Il n’y a pas de Michel, monsieur Touvier. Il n’y en a jamais eu ailleurs que dans votre esprit. Là où nous vous avons trouvé, il n’y avait que vous, ce cadavre avec le tatouage d’aigle et celui de votre chien. Pas de chaînes, pas de masque de fer, pas de carte à puce dans un système quelconque de fermeture. Tout cela est de la science-fiction. Tout cela n’existe pas.

— Qu’est-ce que vous me racontez ?

— La vérité.

Je refuse de l’écouter, il essaie de m’embrouiller. Je dois rester le plus calme possible, faire preuve de maîtrise.

— Michel Marquis… Cherchez dans un annuaire. Il habite Albertville, il travaille dans un abattoir. Il n’a pas pu disparaître comme ça ! Il…

C’est, soudain, comme une vague géante qui fouette une digue et la pulvérise.

La fin du monde.

J’ai compris.

Je tente de me lever, la bouche grande ouverte, les yeux exorbités. Je chute soudainement sur le côté, m’agrippe au pied du lit.

Je parviens à articuler :

— Max. Michel, Max…

On m’aide à me redresser, mon corps se tend tandis que tout s’effondre en moi.

La vengeance la plus ultime. Se trouver au plus près du piège. Être dans le piège.

Max était dans le piège, pareil à un cheval de Troie. Il était Michel.

Mon regard vide se perd sur le linoléum. C’était donc ça… Max a souffert avec moi pour accéder à chacune de mes pensées, creuser mon intimité, ma vie. Pour me pousser aux limites de la survie, là où toutes les barrières mentales et physiques se rompent, dans un seul et unique but : faire jaillir la vérité enfouie au plus profond de mon être.

Savoir si je l’avais vraiment tué. Si cette toute dernière image, emportée dans sa chute, était LA vérité.

La vérité, jaillie de ma gorge devant le tranchant de la hache. Il m’a eu. J’ai avoué ce que, pour rien au monde, je n’aurais avoué.

Je serre les draps de toutes mes forces et finis par me lever, les larmes aux yeux.

— On y va. Je veux aller là-bas. Tout de suite. Mais… Je vous en prie…

Je me dresse face au policier moustachu.

— Max n’est pas mort. Mettez ma fille en sécurité.

47

« Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière. Ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux. Entre le feu et les prisonniers passe une route élevée. Imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. »

Début de « L’Allégorie de la caverne », La République, ive s. av. J.-C., Platon

Au fur et à mesure que la voiture s’enfonce dans la forêt, je me rends compte de la puissance du piège. Il suffit de regarder ma situation. Je suis menotté à l’arrière d’un véhicule de police, pour ma sécurité, m’a-t-on affirmé. Les deux officiers présents à mon chevet depuis le début ne me lâchent pas d’une semelle. Le psychiatre suit, accompagné de personnes vêtues de costumes-cravates. À chacun de mes gestes, à chacune de mes questions, de mes affirmations, on me regarde comme si j’étais fou, ou pire encore, un assassin fou. J’ignore comment je vais me sortir de là, mais je vais m’en sortir. Démonter cette ignoble mascarade. Leur prouver que Max Beck existe, qu’il m’a séquestré dans un gouffre, avec des conditions de vie effroyables, et qu’il a tout mis en place pour que je passe pour un malade mental.

Tandis que la neige tombe toujours autant, nous rentrons dans la propriété boisée de Patrick Busnelle. Je n’ai plus mis les pieds ici depuis quatre ans, j’en ai la certitude absolue. Depuis si longtemps, rien n’a changé, hormis le lierre devenu plus envahissant sur le toit du chalet. La grande barrière est ouverte, les voitures s’y engagent. Le premier choc arrive au moment où j’aperçois mon pick-up garé entre le bunker et le chalet. Immatriculation 74.

— Vous reconnaissez ce véhicule, monsieur Touvier ?

Je serre les mâchoires.

— C’est le mien. Max Beck l’a amené ici.

Ma meilleure défense est de rester calme, et de dire toute la vérité. Je n’ai pas à mentir. S’ils me sentent posé, clair dans mes explications, ils verront que j’ai tous mes esprits et n’ai rien à dissimuler. Des policiers frigorifiés, des fourgonnettes sont sur place. Des bandes jaunes traversent la porte d’entrée du blockhaus. Déjà, le pire scénario se dessine dans ma tête. Michel-Max m’a probablement assommé ou drogué, m’a remonté du gouffre par la galerie, puis m’a amené ici avec les cadavres de mon chien et de ce type au tatouage d’aigle. Tout ce mal qu’il s’est donné, cette route avec des morts dans le coffre de sa camionnette. Et ces cent mille euros qu’il a brûlés lui-même ? De faux billets ? Les économies d’une vie ? Sa vengeance ne s’est pas terminée au fond du trou. Au contraire, elle débute. Il ne s’est pas contenté de me prendre ma Françoise, de me détruire psychologiquement. Il veut qu’on m’enferme. En prison, en hôpital psychiatrique. Dans un endroit où je ne pourrai plus voir le soleil et respirer l’herbe. Un gouffre perpétuel.

Je ne me laisserai pas faire. Je rassemble toutes mes forces, tout mon courage, et descends du véhicule. Nous avançons dans la neige croûteuse. Avec le vent, il fait horriblement froid, peut-être moins un ou moins deux degrés.

— Alors, ça vous revient en mémoire, maintenant ?

Je regarde le policier à la moustache d’un air décidé, certain.