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— Non. Pas du tout.

Il s’approche de mon oreille.

— Tu ne vas pas te foutre de ma gueule longtemps, crois-moi.

Il allume une torche, appelle l’un de ses collègues puis se tourne vers les autres.

— On y va ! Pas la peine d’être cinquante là-dedans. Seul le docteur Parmentier nous accompagne pour l’instant.

Il soulève les bandes de police, pousse la lourde porte métallique et frotte son manteau. Un couloir en béton de trois ou quatre mètres s’ouvre devant nous. Nous entrons. J’éprouve un curieux sentiment à me retrouver ici. Les sons, les images reviennent… Mon combat avec Pok pour le ramener à la vie. Ces moments inoubliables, vécus ensemble. Nous ne prenons pas à gauche, vers la salle où je me suis enfermé avec mon chien voilà quatre ans, mais nous nous engageons vers l’escalier en torsade. Je prends peur, mes jambes se refusent alors d’avancer. Je bascule sur le côté et cherche à faire demi-tour. Le psychiatre me barre le chemin.

— Ça va aller, monsieur Touvier. Vous ne craignez plus rien, d’accord ?

J’acquiesce, les mains devant la bouche. Il faut absolument que je me contrôle. Sa voix revient à mes oreilles.

— Qu’est-ce qui vous effraie à ce point ? L’obscurité ?

Je réfléchis, je dois réfléchir vite et ne pas me tromper.

— Non. On peut descendre.

Peu à peu, la lumière du jour s’efface. La torche du policier accroche des parois grises, rugueuses. De l’air circule, l’eau coule doucement par de petites infiltrations. Nous devons nous baisser avant d’atteindre une autre porte. Elle grince quand il l’ouvre. Un long couloir se répand, il y a un virage. Nous basculons dans une énorme salle souterraine au plafond très haut. Le policier se penche et appuie sur un bouton. Un ronflement, puis d’un coup, la lumière jaillit d’halogènes à batterie.

Les deux poings sur la bouche, je gémis.

La tente se dresse en plein milieu de la salle. Ma pyramide sanglante, avec ses sardines fichées dans le sol. Je m’approche en titubant. Une ligne rouge fait le tour de la pièce.

— Il s’agissait d’une salle de commandement pendant la Seconde Guerre mondiale, dit le psychiatre. Les gradés traitaient leurs dossiers confidentiels le long de ces murs. Quiconque voulait s’adresser à eux ne pouvait franchir cette ligne rouge sans leur accord.

Il me soutient par le bras, tandis que nous franchissons la ligne. Un trou d’aération, dans le plafond, remonte vers l’étage supérieur. J’avance entre quelques excréments, évite le puits, sur ma gauche. Je crois que je vais vomir, ou m’évanouir, ou les deux. Je longe la toile extérieure de la tente. Mêmes sardines plantées dans le béton, mêmes cordes tendues. Je distingue aussi la flaque d’eau, devant la tente, utilisée pour piéger mon chien.

Max a tout reproduit à l’identique.

Le cœur au bord des lèvres, je pénètre dans la tente.

Cette fois, je tombe à genoux et me traîne à quatre pattes. Mes doigts parcourent les huit bâtons verticaux sur le tapis en mousse, je ne puis retenir mes larmes. Je les frôle lentement… Au fond, tous mes habits sont restés en l’état, entassés. Mon blouson, mon pull à la manche arrachée, mes gants, mes chaussures fourrées. La casserole, le gobelet, le réchaud, le casque avec la bouteille d’acétylène. Je secoue la bouteille, elle est bien vide. Vide, parce que le gaz s’est échappé devant le glacier. Parce que rien, ici, n’est la réalité.

Je me tourne vers les deux autres. Ma poitrine tressaute, je pleure et ris en même temps.

— C’est une arnaque ! Il nous mène en bateau, tous !

Je désigne les parois de la tente.

— Il a enlevé la toile intérieure parce qu’elle était tachée de sang ! Vous croyez que moi, j’aurais monté une tente sans la toile intérieure ? Il n’a ramené que ce qui l’arrangeait, pour… pour me piéger ! Un seul duvet, un seul tapis, une seule paire de gants ! L’inscription « Qui est le menteur ? » a été ôtée de mon blouson. Où sont le coffre et la hache ? Et Farid ? Son cadavre est au fond du vrai gouffre, tout comme les chaînes. Max a démonté la tente, puis l’a remontée ici. Il a même embarqué des excréments. C’est inimaginable.

Je remarque le mange-disque. Le disque des chants d’oiseaux.

— Il avait tout prévu, depuis le début. C’est pour ça qu’il a ramené ces objets étranges. Le mange-disque, les quarante-cinq tours. Me faire passer pour un fou.

Je cherche l’appareil photo, je ne le trouve pas. L’attrape-rêves a disparu. Je repense à la photo de l’homme et la femme, devant la bijouterie. Probablement des anonymes, que Max a photographiés… Et ce tatouage, cette boucle d’oreille représentant un C ? Non pas le C de Cédric, mais de Claire.

Je désigne la pierre tranchante.

— Ce n’était pas cette pierre-là.

Je me relève et plaque, de mes mains menottées, mes cheveux vers l’arrière.

— Tout cela n’est qu’une gigantesque mascarade, vous ne comprenez donc pas ?

Le policier explose de colère. Il me tire par le bras hors de la tente, sort des photos de sa poche et me les écrase sur la figure.

— Regarde ce que mes gars ont pris comme photos. Regarde bien.

Les clichés tombent au sol, je les ramasse et les oriente vers la lumière. Cette fois, mon estomac se contracte mais rien ne sort. Ils ont dû me donner un antiémétique. Les premières photos montrent des gros plans de mon chien, entièrement dépiauté. Il n’est plus qu’une masse sanguinolente, mais ce n’est pas ce qui me choque le plus. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Son cadavre est presque intact. Où se trouve sa blessure par balle ? Était-elle seulement superficielle ? Et surtout, où sont les morceaux de chair qui ont servi à nous nourrir ? Des yeux, je cherche le psychiatre. Il est juste derrière moi. Je serre les lèvres et, retenant mon souffle, je plonge sur les autres clichés. Ils m’échappent des mains. Mes deux paumes ouvertes restent tournées vers mon regard figé.

— Oui, dit le policier. Je vois que ça te revient. Tu ne t’es pas contenté de lui ôter la chair et la peau des bras. Tu l’as aussi dévoré, cet homme. Avec cette pierre, tu as découpé des morceaux dans ses jambes, son torse, son dos, tu les as fait cuire dans cette casserole, et tu les as mangés.

Il s’éloigne, se penche et jette des jerricanes dans ma direction. La plupart sont vides, d’autres contiennent encore de l’eau.

— C’est ça, ton glacier ?

J’essaie de rester debout, droit sur mes jambes. Je dois résister, je marche au bord d’un précipice mental.

— Max… Il nous a donné à manger de l’humain. Il… nous a fait croire qu’il s’agissait de… mon chien. Parce qu’on était enchaînés, et qu’on ne pouvait pas atteindre la galerie.

Le flic pointe le couloir par lequel nous sommes arrivés.

— La galerie là-bas, c’est ça ?

— Non, pas celle de ce blockhaus. Celle du gouffre où Farid, Michel et moi étions enfermés.

Le policier va, vient. Ses poings se serrent le long de son corps.

— On va arrêter de jouer, maintenant. Nous avons trouvé dans ce couloir un Manurhin MR73, utilisé pour exploser la tête de la victime. Et devine quelles empreintes nous avons relevées ?

Je cherche, partout. Une faille, une erreur, un oubli. Mais Max n’a rien laissé au hasard. Je dois persister. Ne surtout pas douter.

— Les miennes, je présume. Mais ce n’est pas moi. C’est un coup monté par Max Beck.

— Bien sûr. Et ce cadavre, abattu à bout portant, je suppose que tu ne connais pas son identité ?

— Non.

Les lourdes mâchoires du flic craquent.

— À combien s’élève l’assurance sur la vie de ta femme ?

J’écarquille les yeux. Le psychiatre reste en arrière-plan, mais je suis rassuré qu’il se tienne là, en témoin. Qui sait ce que ce flic est capable de me faire.

— Quoi ?

— Tu le sais parfaitement. Quatre cent mille euros. Tu vas te fourrer quatre cent mille euros dans les poches. Avoue que ça tombe bien. Tu ne gagnes plus beaucoup d’argent, tu t’es pris une belle dépression quand tu as appris la maladie de ta femme… Une fille avec des études qui coûtent cher. Elle est pas belle, la vie ?