La sincérité de Timbal semblait impressionner Rione. « Et… quand le capitaine Geary a ramené la flotte ? Vous ne nourrissiez pas les mêmes doutes en votre for intérieur ?
— Sur le moment ? On la croyait perdue, les Syndics ravageaient ce système stellaire, nos rares défenseurs tenaient à peine le choc, et voilà que les vaisseaux de la flotte surgissent du néant et fondent sur eux comme autant d’anges de la vengeance, tandis que nous apprenons par les transmissions que Black Jack est de retour, qu’il a sauvé la flotte et s’apprête à nous sauver aussi. » Timbal eut un rire bon enfant. « Sur le moment, Black Jack était comme un dieu.
— Ce n’est pas… voulut protester Geary.
— C’est pourtant ce qu’on voyait en vous, le coupa Rione. Je vous avais prévenu qu’il en serait ainsi.
— Exactement, renchérit Timbal. Black Jack n’avait nullement besoin de moi. Peu importait ce que je faisais. Si je me mettais en travers de son chemin, j’étais broyé et voilà tout. J’admets m’être inquiété, tant pour moi-même que pour l’Alliance, de sorte que j’ai gardé mes distances et regardé œuvrer le capitaine Geary, mais je ne suis pas assez bête pour m’imaginer qu’il avait besoin de mon soutien ou serait entravé par mon opposition. » Il tourna vers Geary un regard toujours aussi intrigué. « Quand vous m’avez affirmé dans la soute des navettes que vous étiez là pour vous plier aux ordres, j’ai douté un instant de ma santé mentale. Comment pouviez-vous dire une chose pareille ? Mais vous avez laissé tous vos fusiliers derrière vous, de sorte que vous ne pouviez qu’être sincère ou complètement fou. J’ai préféré opter pour la sincérité, parce que, si vous aviez été complètement fou, nous étions de toute façon tous fichus. »
Timbal consulta son unité de communication qui venait de biper de façon pressante. « Le Grand Conseil est prêt à nous recevoir. »
Rione se redressa, roula légèrement des épaules, fléchit les mains comme pour se préparer au corps à corps puis prit la tête pour entrer dans la salle où les sénateurs du Grand Conseil les attendaient en silence.
Navarro prit le premier la parole dès que Geary fit halte devant la table. « Capitaine Geary, pouvez-vous nous promettre la victoire dans ce conflit ? »
Geary hésita puis secoua la tête : « Non, monsieur. Mais je fais raisonnablement confiance aux forces qui seront sous mon commandement pour submerger toute défense des Syndics.
— Ce ne serait pas une victoire à vos yeux ? s’étonna Costa.
— Je peux obtenir une victoire militaire, déclara Geary. Mais vous me demandez si je peux vous promettre une victoire dans ce conflit. J’ignore ce que vous entendez par là.
— Mais la sénatrice Rione a suggéré une paix interdisant à l’Alliance de retirer tout bénéfice de cette guerre !
— En effet, madame la sénatrice. Tout comme elle interdirait aux Syndics d’y gagner quelque chose. »
Rione s’approcha de la table, se pencha par-dessus et la tapota du doigt pour ponctuer ses paroles : « La survie est déjà une victoire en soi. Ni les Syndics ni nous ne pourrons prévaloir si nous persistons à tenter de nous anéantir mutuellement. Mais les Mondes syndiqués et l’Alliance peuvent s’effondrer de l’intérieur. J’ai vu des rapports sur des manifestations et des émeutes qui se sont déroulées sur des planètes de l’Alliance à l’époque où l’on croyait encore la flotte réellement perdue. Si le capitaine Geary ne l’avait pas ramenée, quel dénouement appelleriez-vous dans vos prières ? Vous seriez contraints d’accepter les conditions dictées par les Syndics.
— Mais il l’a ramenée, insista un sénateur.
— Oui. Les vivantes étoiles nous ont fait ce cadeau. Allons-nous l’accepter humblement ou bien exiger davantage ? Qui parmi nous consentirait à aller trouver ses ancêtres pour leur transmettre un message d’ingratitude et de rapacité ? »
Geary se rendit compte que le dernier trait de Rione avait porté, mais le sénateur Navarro dut de nouveau mettre un terme aux éclats de plus d’un membre du Grand Conseil. « Voilà le fond de l’affaire, déclara-t-il. En dépit des succès remportés par le capitaine Geary contre les Syndics, la puissance de l’Alliance reste trompeuse. Nous ne pourrons pas supporter indéfiniment les bains de sang, les destructions et les frais d’une guerre que nous n’avons pas déclenchée. »
Il pointa de l’index l’hologramme des étoiles qui flottait à nouveau au-dessus de la table. « Les enregistrements rapportés de l’espace syndic par la flotte montrent à quel point l’ennemi est lui aussi au bout du rouleau. La sénatrice Rione a raison. On nous donne une chance de proposer à la direction syndic un accord dont non seulement elle ne pourra pas prétendre qu’il l’affaiblit mais qui, de surcroît, ne lui apportera aucun avantage qu’elle pourrait se targuer d’avoir retiré d’une guerre qu’elle a elle-même déclenchée. Nous aurons défendu l’Alliance avec succès, impitoyablement châtié leur agression en infligeant aux Syndics de terribles pertes et nous pourrons enfin mettre un terme au gaspillage humain et économique que nous coûte ce conflit. C’est ainsi que je définirais aujourd’hui la victoire, et c’est aussi le sentiment de la majorité des membres du Grand Conseil. Bon, nous avons déjà voté et je ne vois aucune raison de pousser plus loin la discussion, même si nous tenions tous à entendre la réponse du capitaine Geary sur la question de la victoire. Capitaine Geary, ce Conseil s’est précédemment montré assez désespéré pour approuver le plan de l’amiral Bloch et, comme vous en êtes certainement conscient, l’amiral Bloch ne vous arrivait pas à la cheville. Les conditions ont changé, nous avons désormais à la tête de la flotte un homme auquel nous faisons confiance, et le Grand Conseil vous donne donc son approbation quant au plan de campagne que vous avez suggéré. Inutile de vous dire que vous resterez aux commandes de la flotte pour le mener à bien. »
Geary se sentit soudain plus léger. « Merci, monsieur.
— Que deviennent les extraterrestres ? demanda Rione.
— Difficile à dire, marmotta Navarro. Il nous faudrait en savoir plus. » Il croisa le regard de Geary. « Sans le consentement préalable des Syndics, il serait un peu trop risqué de tenter d’atteindre cette zone, mais nous vous laissons le loisir d’en décider en fonction des conditions qui prévaudront sur le moment. Si vous parvenez à mettre fin à la guerre et à obtenir des Syndics la permission d’envoyer des vaisseaux de l’Alliance dans cette région frontalière, alors l’approbation du Grand Conseil vous sera d’ores et déjà acquise. Nous comptons sur vous pour esquiver l’affrontement à moins qu’il ne soit inéluctable, pour découvrir tout ce que vous pourrez sur ces êtres sans pour autant provoquer de leur part des réactions hostiles et, si vous devez absolument les combattre, pour maintenir les hostilités au plus bas niveau requis afin d’endiguer de futures agressions contre l’humanité. »