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La sénatrice Costa leva ironiquement les yeux au ciel.

Geary comprit le sens de sa mimique, car ces ordres lui imposaient trop d’exigences contradictoires. Mais peut-être pourrait-il plus tard arguer de ces mêmes contradictions pour bénéficier d’une plus grande souplesse quand elle lui deviendrait nécessaire. « Oui, monsieur. Vous approuvez donc mes plans d’action ?

— Notre influence sur cet homme est aussi floue qu’inexistante », marmotta le sénateur Gizelle assez fort pour que tous pussent entendre, Costa riboula de nouveau des yeux.

« Ils ont été votés après débat, répondit Navarro. Je m’abstiendrai de laisser pieds et poings liés un émissaire de confiance en lui imposant des instructions détaillées quand nous en savons si peu sur ce que nous devrons affronter, et le capitaine Geary a bel et bien mérité notre confiance. Néanmoins, capitaine, en raison de l’importance des négociations, tant avec les dirigeants syndics qu’avec cette espèce extraterrestre, nous insistons pour que d’autres représentants politiques de l’Alliance accompagnent cette fois-ci la flotte. » Il fixa Rione. « La présence de la coprésidente Rione n’a pas été trop perturbante, apparemment. »

La flotte aurait sans doute exprimé un avis différent à cet égard, mais Geary se borna à opiner. « Nous avons su nous y adapter, monsieur. »

Rione prit la parole sur un ton inhabituellement hésitant : « Considérant les relations de travail que j’ai établies au sein de la flotte et la présence constante en son sein de bâtiments de la République de Callas et de la Fédération du Rift, je demande l’autorisation de faire encore partie de ceux qui l’accompagneront. »

Gizelle ouvrit la bouche pour parler mais la referma dès que Navarro lui eut décoché un regard comminatoire. « Merci, madame la coprésidente, déclara celui-ci. On peut probablement satisfaire à cette requête. Je suis persuadé que vos relations de travail sont extrêmement précieuses. Nous déciderons des autres représentants politiques qui vous accompagneront et nous vous ferons part de leur identité, capitaine Geary. Quand la flotte compte-t-elle quitter Varandal ?

— Je tiens à frapper de nouveau les Syndics le plus tôt possible, mais il nous faut d’abord réparer une terrifiante quantité d’avaries consécutives aux combats et réapprovisionner tous les vaisseaux, dont les réserves sont pratiquement épuisées. J’aurai besoin d’au moins une semaine, monsieur le président, pour colmater les pires dommages infligés à mes bâtiments et remplir leurs soutes.

— Qu’en disent vos spatiaux ? s’enquit un autre sénateur. Ils n’auront passé que quelques semaines chez eux. Le moral ne va-t-il pas s’en ressentir ? Ne risque-t-on pas des mutineries ? »

Le rire de Rione fit vibrer les murs : « Navrée, mes chers collègues. C’est seulement que… je suggère que vous vous entreteniez avec nos spatiaux.

— Vous ne pensez donc pas que leur moral posera problème ? demanda Costa.

— Tant que Black Jack sera aux commandes ? Ils sauteraient dans un trou noir s’il le leur ordonnait, et ils continueraient de l’acclamer jusqu’à l’horizon des événements. »

Navarro hocha la tête. « Nos rapports le laissent aussi entendre. Capitaine Geary, nous devons maintenant aborder une tout autre question. Veuillez patienter dehors, je vous prie, pendant que le Grand Conseil s’entretient avec la sénatrice Rione et l’amiral Timbal. »

Quoi encore ? Geary attendit dans la coursive, tout seul cette fois-ci et conscient avec acuité que, sans la présence toute proche des brouilleurs de Rione, il serait sans doute scruté de pied en cap par le matériel de surveillance dernier cri de l’Alliance. Bien qu’il n’eût rien sur la conscience quant à ses devoirs envers elle, il restait étonnamment difficile de jouer l’innocence alors que tant de moyens de surveillance étaient braqués sur lui.

Le sénateur Navarro, la coprésidente Rione et l’amiral Timbal ressortirent de la salle de conférence et Geary se mit au garde-à-vous. « Détendez-vous, je vous prie, fit Navarro.

Le Grand Conseil devait prendre une autre décision et nous nous y sommes résolus, même si cela a suscité quelques querelles. » Il jeta un regard vers Rione. « Vous inspirez une surprenante loyauté, capitaine Geary, mais, plus capital encore, vos actes confirment ce que nous souhaitions savoir. » Il baissa les yeux sur un objet qu’il tenait dans la main droite. « Il saute aux yeux que nous ne pouvons pas laisser un capitaine de vaisseau négocier ni agir au nom du gouvernement de l’Alliance. Pas dans une affaire aussi importante. Et la flotte exige un haut gradé à sa tête. Nous sommes aussi conscients qu’il vous faudra sans doute prendre des décisions cruciales et que vous n’aurez pas le loisir de consulter vos supérieurs hiérarchiques. Il vous faut donc jouir vous-même de toute l’autorité nécessaire à négocier et, si besoin, engager l’Alliance dans des accords. »

Geary regardait Navarro en éprouvant un malaise croissant. « Monsieur, j’avais cru comprendre que la coprésidente Rione et d’autres sénateurs accompagneraient la flotte en qualité de représentants du gouvernement.

— En effet. Mais votre grade devra refléter votre position et vos responsabilités. C’est la formule qu’a employée l’amiral Timbal. Veuillez donc accepter ceci au nom du Grand Conseil de l’Alliance », ajouta-t-il en tendant la main droite.

Geary jeta un regard sur les supernovæ d’or stylisées qu’il tenait dans sa paume. Il mit quelques secondes à comprendre de quoi il retournait. « Il doit y avoir une erreur, monsieur. »

Le sénateur fixa sa propre paume en fronçant les sourcils. « Il s’agit bien des insignes d’amiral de la flotte de l’Alliance, n’est-ce pas ? »

Amiral de la flotte. Pas seulement amiral, amiral de la flotte. La gêne de Geary avait viré à l’incrédulité, assortie de déni. « Oui, monsieur, mais…

— Alors erreur il n’y a pas. Le Grand Conseil sait que vous avez besoin de cette autorité, et c’est à la quasi-unanimité qu’il a estimé que vous méritiez de vous voir décerner ce grade. Nous savons l’un comme l’autre que vous disposez déjà d’un pouvoir supérieur à celui qu’il vous confère.

— Monsieur, personne n’a jamais été élevé au rang d’amiral de la flotte, protesta Geary.

— Jusqu’à ce jour, admit Rione avec un demi-sourire.

— Mais, monsieur, je… »

Navarro éclata d’un rire visiblement soulagé et se tourna vers Rione. « Vous aviez raison ! Vous refusez réellement cette promotion, n’est-ce pas ? demanda-t-il à Geary. Savez-vous combien d’amiraux ont supplié qu’on leur accordât ce grade depuis le début de la guerre ? Mais vous, vous le repoussez.

— Je n’ai pas les qualifications requises, tenta de nouveau Geary.

— Pas les qualifications ? Relisez donc vos états de service, mon vieux. Vous avez commandé à la flotte en indépendant dans les conditions les plus difficiles et vous avez réussi là où nul autre ne l’aurait pu. » Cette fois, Navarro regarda l’amiral Timbal, qui donna son approbation d’un signe de tête. « Vous vous êtes abstenu de faire ce que vous auriez pu faire, capitaine Geary, mais nous présumons qu’il y aura des tentatives pour parvenir à ce dénouement par la force. Vous concéder ce grade devrait satisfaire ceux qui aimeraient vous voir officiellement investi d’une plus grande autorité et, de ce fait, contribuer à enrayer cette menace pour le gouvernement. »