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La coprésidente Rione pénétra dans la cabine, apparemment inconsciente de la fureur de Desjani. « Oh, parfait, vous êtes là tous les deux. Je voulais informer le commandant qu’il y avait un changement de dernière minute, hautement prioritaire, relativement à un prisonnier. Toutes mes excuses pour ne vous avoir pas transmis plus tôt cette information.

— Madame la coprésidente, on est censé m’informer et obtenir mon autorisation avant de transférer un prisonnier à bord de ce vaisseau ou de ce vaisseau vers un autre, déclara Desjani en forçant ostensiblement sa voix au calme.

— Comme je viens de le dire, il s’agit d’un changement de dernière minute. J’ai dû prendre une décision ultrarapide pour empêcher ce Syndic d’être envoyé avec d’autres sur le vaisseau prison qui les conduit au camp de Tartarus.

— Qu’avait-il donc de si particulier, ce Syndic ? intervint Geary avant que Desjani n’explosât à nouveau.

— Il veut vous parler. »

Geary fusilla Rione du regard. « Un bon milliard d’anonymes aimeraient s’entretenir avec moi. En quoi est-il si différent ? »

Rione soutint son regard avec équanimité. « C’est le commandant en second de la flottille de réserve syndic, que nous avons capturé après la destruction de son bâtiment lors de la bataille de Varandal.

— Vraiment ? » La colère de Geary se dissipa aussitôt. « Et pourquoi veut-il me parler ? »

Rione s’adossa à la plus proche cloison et croisa les bras. « Il aimerait passer un accord.

— Un accord ? » Son expérience relativement limitée des négociations avec les haut gradés syndics avait laissé à Geary un goût amer dans la bouche, mais, d’un autre côté, deux d’entre eux au moins s’étaient comportés honorablement.

Desjani, dont l’opinion sur les Syndics et la confiance qu’on pouvait leur accorder ne dépassait que très rarement le degré zéro de la bienveillance, continuait de fulminer. « Quelle sorte d’accord ?

— Est-ce que ça ne saute pas aux yeux ? demanda Rione. En sa qualité de commandant en second de la flottille de réserve, il en sait probablement au moins autant sur les extraterrestres que tout autre Syndic n’appartenant pas à leur Conseil exécutif. Il voudrait troquer ce savoir contre un avantage. »

Geary lui décocha un regard sceptique. « À quoi ressemble-t-il ?

— Je n’en sais pas assez sur lui pour vous le dépeindre.

— Mais vous estimez pourtant que je dois lui parler. »

Rione leva les yeux au ciel. « Oui, Black Jack. Parlez-lui.

— Amiral Geary, je vous recommanderais la plus grande prudence dans une tractation avec un ennemi qui n’a plus rien à perdre », lâcha Desjani d’une voix pincée.

Rione opina vigoureusement à l’intention de Desjani, sans même attendre la réponse de Geary. « Entièrement d’accord. Consentez-vous à nous accompagner pour cet interrogatoire, capitaine ? »

En entendant ces paroles courtoises, Desjani jeta à Rione un regard soupçonneux mais se contenta de hocher la tête. « Allons-y. »

Le Syndic avait été conduit dans une des salles d’interrogatoire de la section du Renseignement, salles dont les systèmes pouvaient surveiller à distance toutes les réactions, tant internes qu’externes, de ceux qu’on y cuisinait. Geary consacra quelques instants à passer en revue ce qu’on savait de ce commandant en chef syndic. Nom : Jason Boyens. Grade : commandant en chef de troisième échelon. Dernière affectation connue : commandant en second d’une flottille. Hormis son nom, ça ne lui apprenait rien de neuf. « Très bien. Finissons-en. » Il jeta un regard vers Desjani et constata que ses traits affichaient encore une colère à peine maîtrisée. « Quoi ?

— Je viens de me remémorer le dernier faux jeton syndic qui nous avait proposé un accord, amiral, répondit-elle d’une voix âpre. Il détenait une clef de leur hypernet censée nous permettre d’atteindre leur système mère.

— Oh ! » L’exclamation lui parut aussi inepte que déplacée. « Et… ne l’avait-on pas cuisiné dans une salle d’interrogatoire ? » Geary n’avait jamais vraiment éprouvé le besoin d’en apprendre davantage sur les événements qui avaient conduit à la quasi-destruction de la flotte.

Ce fut Rione qui lui répondit, sans pour autant quitter les relevés des yeux. « Effectivement. Soit il était incroyablement doué pour nous leurrer par ses réponses fallacieuses, si subtiles que nous ne pouvions pas dire s’il mentait ou disait la vérité, soit il avait été lui-même abusé par ses propres compatriotes et ne se rendait même pas compte qu’il jouait leur jeu.

— Qu’est-il devenu ? J’ai plus ou moins présumé que le vaisseau sur lequel il se trouvait avait été détruit dans l’embuscade tendue par les Syndics. »

Rione ne répondit pas, mais son regard éloquent se reporta vivement vers Desjani.

Celle-ci garda un visage de marbre. « Il était à bord de l’Indomptable, amiral.

— Alors que… ? » Geary ravala sa question ; il connaissait déjà la réponse. La flotte dont il avait pris le commandement n’avait aucun scrupule à éliminer les prisonniers de guerre. Il n’était guère difficile de deviner ce qu’il était advenu d’un Syndic qui l’avait doublée dès qu’on s’était rendu compte que sa proposition n’était en réalité qu’un traquenard.

Mais Desjani répondit malgré tout : « Il a été exécuté sur place sur ordre de l’amiral Bloch, déclara-t-elle d’une voix sans timbre. Par “sur place”, j’entends sur la passerelle, à trois mètres derrière le fauteuil du commandant de la flotte et cinquante centimètres sur sa gauche. »

Geary mit quelques secondes à comprendre. « Il était donc assis dans le fauteuil de l’observateur ? » Il ne put s’interdire de regarder Rione, qui s’était fréquemment assise sur ce même siège depuis qu’il avait pris le commandement, mais la nouvelle ne semblait ni la surprendre ni beaucoup l’émouvoir.

« Nous avons brûlé les coussins depuis, ajouta Desjani. Les taches de sang seraient sûrement parties mais plus personne n’aurait voulu s’asseoir dessus. » Elle s’interrompit en lisant quelque chose dans le regard de Geary. « Non, amiral. Je m’employais à tenter d’arracher mon vaisseau au traquenard des Syndics. Le fusilier qui gardait le traître s’est chargé de son exécution. »

Geary détourna un instant les yeux. « C’était un ordre légitime. Je n’aurais pu vous reprocher de vous y être conformé. » Difficile de ne pas se rappeler la sidération des spatiaux après l’embuscade syndic, et le traumatisme que leur avait infligé la perte subite de tant de vaisseaux amis. Aucun, sans doute, n’aurait hésité une seconde à se venger d’un individu qui en était en grande partie responsable. « Nous ne laisserons pas celui-ci recommencer.

— Nous ne pouvons pas lui faire confiance, répéta Desjani.

— Je n’en ai aucunement l’intention. »

Les paroles de Geary parurent légèrement la radoucir, aussi tourna-t-il les talons pour se diriger vers la salle d’interrogatoire pendant que les deux femmes restaient en compagnie du personnel du Renseignement, pour observer les écrans.

Le commandant en second Boyens se leva à l’entrée de Geary. Il avait l’air nerveux, ce qui était compréhensible. Une de ses jambes était enfermée dans un plâtre léger flexible, laissant entendre que ses blessures n’étaient pas encore tout à fait guéries. Il hésita une seconde en voyant l’insigne de son interlocuteur. « Amiral Geary ?

— Oui. » La voix de Geary restait dure. « Quel accord voulez-vous passer ? »

Le Syndic inspira profondément avant de reprendre la parole. « Je détiens les informations dont vous avez besoin. En échange, je veux votre promesse que vous défendrez l’espace humain contre les extraterrestres. »