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Il fallut à Geary un petit moment pour digérer cette dernière phrase. « Vous êtes le premier Syndic à reconnaître ouvertement leur existence et vous voulez nous contraindre à protéger les Mondes syndiqués contre leur menace ?

— Oui. »

Jusque-là, il dit la vérité, chuchota la voix du lieutenant Iger dans son unité de com.

Celle de Rione lui parvint aussitôt après : Que sait-il exactement ?

Bonne question. Geary fixa l’officier syndic en fronçant les sourcils. « Comment me convaincre que vous en savez autant ? »

Boyens eut un sourire en coin. « J’ai occupé durant dix ans les fonctions de commandant en second de la flottille de réserve. Je sais au moins ce que notre Conseil exécutif a raconté à tout le monde et ce que j’ai pu observer de mes propres yeux. »

Dix ans ? demanda Desjani.

Geary comprit le sens de sa question. « C’est une bien longue affectation. Pourquoi êtes-vous resté là-bas si longtemps ? »

Cette fois, Boyens haussa les épaules. « On m’y avait “exilé”, faute d’un meilleur terme. Je suis ingénieur de formation et j’avais fondé une start-up prometteuse. Une société beaucoup plus importante voulait s’en emparer et son P. D.-G. avait l’oreille de nos dirigeants. On m’a confisqué ma boîte. Au lieu de faire le gros dos et de grimper les échelons de la hiérarchie jusqu’au moment où, quelques décennies plus tard, j’aurais pu prendre ma revanche, j’ai fait sottement tout un scandale et je me suis revendiqué de lois qui avaient été foulées au pied. Avant même de m’en rendre compte, j’étais autoritairement affecté à la flottille de réserve. » Le Syndic haussa de nouveau les épaules. « Une affectation sur une lointaine frontière, sans aucune possibilité d’avancement. Je ne pouvais même pas révéler le motif de ma présence là-bas puisque, officiellement, la seule raison d’être de cette flottille de réserve était de servir de renfort contre l’Alliance. Ni non plus me faire transférer ailleurs, par la faute de ces gens que j’avais agacés. »

Tous les relevés suggèrent qu’il dit la vérité, prévint Iger.

Geary s’assit et se rejeta légèrement en arrière pour observer Boyens. « Et, aujourd’hui, vous voulez que la flotte de l’Alliance vous aide à vous venger d’eux ? »

L’officier secoua la tête. « Non. Il ne s’agit pas de cela. Ces gens appartiennent à un groupe de dirigeants qui ont poussé les Mondes syndiqués dans cette guerre et saboté à maintes reprises la victoire. Je ne m’attends pas à ce que vous me croyiez quand je vous l’affirme, mais le désir de protéger ma patrie de la corruption et de l’ineptie de nos dirigeants est une autre de mes motivations.

— Vous regardez-vous comme un patriote, en ce cas ? » s’enquit Geary.

Boyens tiqua. « Je n’en sais rien. Je sais seulement qu’à cause des décisions prises par nos dirigeants et des victoires que vous avez remportées, nous prêtons désormais ouvertement le flanc à une agression, tant de la part de l’Alliance que de celle des extraterrestres. Je sais aussi bien que tout humain comment ils se comportent. Autant dire que j’en sais bien peu sur eux, et nul ne comprend vraiment comment ils cogitent, mais je suis très inquiet.

— Qu’entendez-vous par ce “ils” ? demanda Geary. Faites-vous allusion aux extraterrestres ou à vos dirigeants ? »

L’officier syndic eut un bref sourire teinté d’anxiété. « Aux deux. Je parierais ma propre vie qu’en ce moment même les patrons du Conseil exécutif rassemblent dans notre système mère tous les vaisseaux rescapés de nos forces spatiales. »

Geary grogna. « Votre vie, dites-vous ?

— C’est bien ce que j’ai dit. »

Pour un officier supérieur syndic, il semblait tout à la fois candide et rusé. Pendant que Geary s’accordait quelques secondes de réflexion, la voix de Rione résonna à nouveau dans son oreille : Les relevés signalent qu’il est sincère. Il est aussi très inquiet, mais peut-être cette inquiétude découle-t-elle des craintes qu’il nourrit pour sa sécurité personnelle plutôt que pour celle de la population des Mondes syndiqués.

Il nous faudrait d’autres relevés, amiral, le pressa Iger. Interrogez-le sur les extraterrestres.

« Je dois en savoir plus sur votre proposition, déclara Geary. Parlez-moi de ces extraterrestres. »

Boyens hésita. « Ce que j’en sais, ce sont mes seuls atouts dans cette tractation. Si je vous divulgue ces informations, vous n’aurez plus besoin de passer un accord avec moi.

— Officier Boyens, quels que soient les renseignements que vous pourriez me fournir, je ne passerai aucun accord avec vous tant que je ne saurai pas si ce que vous me proposez va bien dans le sens du plus grand intérêt de l’Alliance et de l’humanité en général, répondit froidement Geary. Je vous suggère donc de chercher à m’en persuader sans délai. »

L’officier syndic dévisagea Geary pendant plusieurs secondes puis hocha la tête. « Ça correspond à ce que nous avons pu voir de votre comportement jusque-là. Que voulez-vous savoir ?

— À quoi ressemblent ces extraterrestres ? » Ce n’était sans doute pas la question la plus pressante, mais Geary se la posait depuis un bon moment.

« Je l’ignore. À ma connaissance, nul n’en sait rien. » Boyens eut un autre sourire torve au vu de la réaction de Geary. « C’est la vérité. Si un homme a eu l’occasion d’en rencontrer personnellement, il ne l’a jamais révélé. Certains de nos vaisseaux ont disparu dans cette région frontalière, et d’autres, bien avant, lors d’expéditions d’exploration menées au-delà de la frontière. Leurs spatiaux sont peut-être prisonniers ou morts. Mais aucun n’en est jamais revenu.

— Les Syndics ont-ils jamais parlementé avec eux ?

— Par les ondes. Les négociations sont assez rares, mais j’ai assisté à deux d’entre elles. » Boyens écarta les bras pour signifier son dépit. « Je ne parle pas de rencontres virtuelles, mais d’aperçus réels sur ce qui se passait de l’autre côté de l’écran. Ce qu’ils daignent nous montrer d’eux-mêmes, ce sont manifestement des avatars d’êtres humains, de fausses images sur un arrière-plan trafiqué. »

Comment sait-il qu’elles sont fausses ? demanda Iger. Les signaux numériques ne transmettent aucun moyen de déceler l’authenticité ou la falsification de leur contenu.

« Fausses ? répercuta Geary. Qu’est-ce qui peut bien vous en persuader ?

— Elles sont assez réalistes pour vous abuser à première vue, mais, au bout d’un petit moment, vous commencez à percevoir d’infimes contradictions et des comportements qui sonnent faux. Un peu comme si… Supposez que vous tentiez de vous faire passer pour un chat. Vous pourriez sans doute y parvenir assez bien pour tromper d’autres hommes. Mais de vrais chats s’en rendraient compte aussitôt. »

Il est persuadé que c’est la vérité, affirma Iger.

Geary, pour sa part, regarda fixement Boyens : « Les hommes peuvent être très différents les uns des autres. Comment pouvez-vous être certain qu’ils ne sont pas réellement humains ? »

Cette fois, le rire de Boyens fit tressaillir Geary, mais ce rire, au lieu de bonne humeur, charriait une aigreur perceptible. « Si vous pouviez les voir, vous comprendriez. J’ai parlé à des gens de cultures très différentes. Je sais combien les points de vue peuvent varier. Mais il y a chez ces extraterrestres quelque chose qui va bien au-delà, si âprement qu’ils s’efforcent de le dissimuler. Faites… » Il éclata de nouveau de rire, mais entre ses dents serrées. « J’allais dire “Faites-moi confiance”. Mais c’est tout à fait exclu, n’est-ce pas ?