— Oui. Dites-moi ce qu’ils veulent. Vous devez bien en avoir une idée. »
L’officier syndic se rembrunit. « Seulement une idée générale. D’après les enregistrements auxquels j’ai pu avoir accès, et ce n’est pas grand-chose puisque tout ce qui les concerne est classé secret-défense et compartimenté au maximum, il semble qu’après le premier contact ils auraient simplement exigé de l’humanité qu’elle n’empiète pas sur leur territoire. Mais, au bout de quelques décennies, ce sont eux qui ont commencé, encore que très prudemment, à empiéter sur le nôtre. Ils ont cessé de le faire voilà quelque soixante-dix ans et, hormis de rares tentatives pour éprouver nos défenses, ils se sont tenus tranquilles. Nul ne sait pourquoi, parce que tous ceux qui leur ont parlé ont la très nette impression qu’ils guignent certains systèmes stellaires des Mondes syndiqués. Mais, au cours des quatre ou cinq mois qui ont précédé l’ordre de quitter la région frontalière pour attaquer l’Alliance, il n’y a même pas eu l’ombre d’une escarmouche. »
Ça n’en apprenait guère plus à Geary que ce qu’il avait déjà pressenti. « Comment sont leurs vaisseaux ?
— Nous ne le savons pas. Ils disposent d’une espèce de mode furtif des millions de fois supérieur au nôtre. On ne voit strictement rien sur les senseurs à part une grosse tache floue où nos meilleurs équipements ne peuvent distinguer aucun détail. » Boyens reluqua Geary d’un œil chargé de défi, s’attendant visiblement à ce qu’on mît en doute cette dernière affirmation. « Nous avons employé toutes les méthodes qui nous venaient à l’esprit pour tenter d’obtenir une vue correcte d’un de leurs vaisseaux. Il y a plusieurs décennies, des volontaires vêtus de combinaisons furtives ont été dirigés vers des bâtiments extraterrestres entrés dans un système stellaire syndic pour y tenir des négociations. Nous espérions qu’ils s’en rapprocheraient suffisamment pour pénétrer dans leur bulle d’invisibilité – s’il s’agit bien de cela – et obtenir un véritable aperçu, mais ils sont tous morts avant d’avoir vu quoi que ce soit.
— Les Syndics n’ont jamais détruit un vaisseau extraterrestre ni examiné son épave ? demanda Geary.
— Non. » L’officier syndic fixait le pont.
Il cache quelque chose, prévint le lieutenant Iger.
« Les avez-vous combattus ?
— Non. »
La réponse de Boyens surprit Geary et il attendit donc qu’Iger lui confirmât qu’il avait menti, mais rien ne vint. Il réfléchissait encore à la question suivante quand Rione se fit entendre : Demandez-lui si les Syndics ont combattu les extraterrestres. Pas lui personnellement. Les Syndics en général.
Une fois soulignée par Rione, la mystification sautait aux yeux. Geary fixa le prisonnier en serrant rageusement les dents. « Les Syndics les ont-ils combattus ? »
Au tour de l’officier ennemi de crisper les mâchoires. « Il y a plusieurs décennies, finit-il par répondre.
— Que s’est-il passé ?
— Je n’étais pas là. »
Il élude, déclara Iger.
« Savez-vous ce qui s’est passé ? » Le Syndic resta coi et Geary se leva. « Vous nous demandez de vous faire confiance alors que vous nous cachez manifestement des informations cruciales. Pourquoi ne devrais-je pas laisser la frontière syndic livrée à ses seules ressources ? »
Le Syndic rougit, en proie à un sentiment mitigé, mi-fureur, mi-embarras. « Ils donnent toujours l’impression d’avoir une tête d’avance sur nous. On m’a briefé sur un projet qui aurait dû fonctionner. Nous devions sauter avec nos bâtiments jusqu’à des systèmes stellaires éloignés d’une seule année-lumière de ceux occupés par les extraterrestres, puis larguer vers ces systèmes des astéroïdes creux contenant des senseurs. Même en tenant compte de la vitesse à laquelle ils avaient été lancés, ces astéroïdes auraient sans doute mis des dizaines d’années à atteindre leur objectif, mais ils seraient passés pour des rochers à haute vélocité puisque tous leurs senseurs étaient passifs et leur centrale d’énergie massivement blindée. Ça n’a pas marché. Les senseurs qui suivaient leur trajectoire ont enregistré leur destruction juste avant qu’ils n’atteignent les systèmes extraterrestres. »
Intéressant, remarqua nonchalamment la voix de Rione. Mais c’est encore une diversion. Il évite toujours de parler de ce qui s’est passé quand les Syndics ont affronté ces extraterrestres.
Geary se massa le menton en réfléchissant au moyen d’obtenir de l’homme qu’il se répande plus longuement sur les senseurs et les capacités de combat des extraterrestres. « Les Mondes syndiqués ont sans doute envoyé aussi des missions humaines dans les systèmes stellaires occupés par les extraterrestres ?
— En effet. Aucune n’est revenue. Nous n’en avons plus jamais entendu parler.
— Et… s’agissant des systèmes que vous leur avez abandonnés ? Avez-vous jamais tenté d’y laisser des dispositifs susceptibles de vous renseigner ? »
Boyens le dévisagea. « Comment avez-vous… ? Oui, nous avons en effet abandonné certains systèmes pour préserver la paix à la frontière, et, oui, nous y avions laissé des senseurs. Nous avions aussi dissimulé dans ces systèmes des vaisseaux estafettes chargés de recueillir les données transmises par les senseurs et de sauter ensuite hors du système pour nous les apporter. Aucun de ces vaisseaux ne s’est présenté. Comme si ces foutus extraterrestres savaient déjà tout ce que nous faisions au moment où nous le faisions. Voire avant.
— Est-ce ce qui s’est passé quand les Syndics les ont combattus ? » s’enquit Geary.
L’officier syndic donna l’impression de longuement réfléchir à ce qu’il allait répondre puis il chercha les yeux de Geary : « Oui. Et, aux rares occasions où nos vaisseaux ont pu acquérir une cible et tirer sur elle, ça n’a eu strictement aucun effet. Les lances de l’enfer étaient absorbées sans dommage apparent, la mitraille s’évaporait tout bonnement en heurtant leurs boucliers et tous nos missiles étaient détruits juste avant de toucher leur cible. »
Geary eut un mince sourire. « Pourquoi tentiez-vous de nous le cacher ?
— Parce que je tenais à ce que vous les combattiez. Je craignais que, si je vous en faisais part, vous décidiez de ne pas les affronter et de laisser les Mondes syndiqués combattre seuls cette menace.
— Vous croyez nos vaisseaux capables de réussir là où les vôtres ont échoué ? »
Boyens s’empourpra. « Ne jouez pas avec moi. Vous avez anéanti des flottilles syndics à de multiples reprises, alors même que leur supériorité numérique était parfois écrasante. Vous avez manifestement sur nous un très gros avantage. »
La voix de Rione se fit de nouveau entendre, un tantinet amusée cette fois : « Je me demande s’il se rend compte que cet avantage se trouve sous ses yeux en ce moment même. »
Impuissant à lui décocher un regard agacé, Geary se concentra sur le Syndic. « Que pouvez-vous nous apprendre d’autre ? »
L’homme hésita puis reprit d’une voix rude : « Pas grand-chose. Le plus clair de ce que j’ai à vous offrir, c’est mon expérience. Tant de mes dirigeants que des extraterrestres. Je peux vous épauler. Je veux seulement que vous nous aidiez à repousser les extraterrestres.
— Pourquoi ? »
Boyens soupira puis ouvrit les bras en signe d’impuissance. « J’ai participé pendant dix ans à la défense des Mondes syndiqués. J’ai appris à les connaître… Je… Je me sens responsable d’eux.