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— Vous avez l’air de vous en excuser », avança narquoisement Geary.

Boyens ne répondit pas ; il détourna d’abord les yeux puis affronta de nouveau Geary. « On dissuade les galonnés des forces spatiales tout comme leurs officiers et leurs spatiaux de nouer des liens personnels avec les populations locales… car cela risquerait de les faire hésiter au moment de prendre des mesures nécessaires à la préservation de la sécurité intérieure.

— Préserver la sécurité intérieure ? En bombardant vos propres planètes, par exemple ?

— Oui.

— Comment un homme pourrait-il consentir à faire une chose pareille ? » demanda Geary.

L’officier syndic garda de nouveau le silence pendant quelques instants. « Pour la sécurité de tous. Je sais à quel point ça peut sembler absurde… Menacer de tuer ses propres concitoyens pour assurer leur sécurité. Mais ça permet de maintenir l’ordre. De renforcer notre cohésion face aux menaces extérieures. Il s’agit de garantir le bien-être de la majorité. Nous ne pouvons pas permettre à de petits groupes de mettre en péril la sécurité de tous. »

Les extraterrestres n’étaient visiblement pas les seuls à nourrir une logique incompréhensible. Geary se demandait encore quelles questions il allait poser ensuite et s’il devait ordonner qu’on débarquât de nouveau Boyens de l’Indomptable quand Rione reprit la parole : Interrogez-le sur le sénateur Navarro et sur le fait qu’Abassas n’est jamais attaqué.

Pourquoi donc voulait-elle savoir cela ? Mais la réponse risquait d’apporter d’importants éclaircissements. « Une dernière chose, officier Boyens. Et je puis vous promettre en toute franchise que, si votre réponse ne me plaît pas, vous serez débarqué incontinent de ce vaisseau. Pourquoi le système d’Abassas n’a-t-il subi aucune attaque depuis un bon moment ? »

Boyens semblait perplexe. « Abassas ? Ce système est-il proche de l’espace syndic ?

— Oui. C’est le système stellaire natal de l’actuel président du Grand Conseil de l’Alliance. »

Le commandant en chef syndic afficha encore un instant une mine intriguée puis éclata soudain de rire : « Vous marchez dans cette combine ? Sérieusement ? C’est la plus vieille ruse du manuel.

— Laquelle ?

— Éviter soigneusement de s’en prendre aux biens d’un dirigeant ennemi. Ça pousse l’adversaire à se demander quel pacte il a bien pu passer. Je ne sais rien personnellement d’Abassas, mais semer la zizanie dans les rangs ennemis est une tactique habituelle. » Boyens cessa de rire et ouvrit les bras. « Je ne sais pas si cette réponse vous plaît ou non, mais c’est la seule qui me vienne à l’esprit. »

Geary opina sèchement du bonnet. « Merci. On va vous reconduire en cellule à bord du vaisseau pendant que nous évaluerons votre proposition. » Il tourna les talons et sortit en tentant de résister à une envie pressante d’incendier le Syndic.

Il fit halte dans la salle d’observation pour consulter les écrans. « Qu’en pensez-vous ? » demanda-t-il à la cantonade.

Rione répondit la première sans quitter les relevés des yeux. « Sa demande d’aide est sincère si l’on en juge par les relevés, mais, à d’autres moments, il a manifestement occulté la vérité en prenant soin de formuler très prudemment ses allégations. »

Le lieutenant Iger hocha la tête. « Ça correspond à mon propre sentiment, amiral. Son appel au secours semble effectivement sincère. Il ne nous a pas dit un seul mensonge. Mais ça ne signifie pas pour autant qu’il n’a pas gardé des informations par-devers lui. Des renseignements qui pourraient être essentiels. »

Les yeux plissés par la réflexion, Desjani ne regardait ni le Syndic ni les écrans ; elle fixait le lointain. « Ils ne se comportent pas comme s’ils étaient plus forts que nous. »

Il fallut quelques secondes à Geary pour comprendre à qui elle faisait allusion. « Les extraterrestres, voulez-vous dire ?

— Oui. » Elle tourna la tête pour lui faire face. « Dissimuler sa force réelle, ses capacités et ses intentions est sans doute bel et bon durant le combat, mais il est parfois de bonne guerre de laisser savoir à l’adversaire que vous jouissez d’une supériorité écrasante. Au lieu de cela, ils s’efforcent de masquer leurs capacités. »

Rione, qui observait Desjani, acquiesça d’un signe de tête. « Effectivement. Surtout pour des négociations.

— Mais il n’est pas mauvais non plus, à certaines occasions, de lui faire croire que vous êtes plus fort qu’il ne se l’imagine, poursuivit Desjani. Histoire de l’obliger à réfléchir. C’est une tactique assez fructueuse si l’on est en fait plus faible que lui. »

Tous gardèrent le silence quelques instants, en méditant ces paroles. « Comment saurions-nous s’ils réfléchissent comme nous ? demanda finalement Geary. Peut-être qu’à leurs yeux tous ces mystères sont parfaitement normaux.

— Jusqu’à dissimuler la forme de leurs vaisseaux ? » Desjani secoua la tête. « Si ce Syndic dit vrai, ces extraterrestres ont fait de très gros efforts pour interdire aux humains de se renseigner sur eux. Peut-être sont-ils des fanatiques de la vie privée qui se cachent derrière tous les déguisements et couvertures disponibles, mais, s’il s’agissait d’un ennemi humain, je me poserais des questions sur cet entêtement à ne strictement rien montrer d’eux-mêmes.

— C’est là un point de vue anthropomorphique, commandant, fit respectueusement remarquer Iger. Sur Terre comme sur beaucoup d’autres planètes, les formes de vie dominantes usent de subterfuges matériels pour terrifier leurs adversaires naturels et tenter de se faire passer pour plus gros qu’ils ne sont. Les hommes aussi, jusqu’à un certain point. Mais certaines autres formes de vie recourent à des stratagèmes différents, comme le camouflage, en se dissimulant jusqu’à ce que leur proie s’approche suffisamment puis en la frappant avant qu’elle n’ait pu réagir. »

Rione émit un grognement écœuré. « On pourrait se dire qu’en un siècle les Syndics en auraient appris plus long sur eux. Ce commandant en chef dissimule manifestement des informations. » Une illumination parut la frapper. « Quand donc l’Alliance et les Mondes syndiqués ont-ils “découvert” la technologie de l’hypernet et commencé à créer leurs propres réseaux ? »

Desjani consulta sa banque de données et lut la réponse. « Les premiers segments des deux hypernets ont été activés il y a soixante-neuf ans. »

De fureur, la lèvre de Rione se retroussa. « Le Syndic a prétendu que les extraterrestres avaient déployé une grande activité jusqu’à voilà soixante-dix ans environ et qu’ils se tenaient tranquilles depuis. Ces vermines ont consacré plusieurs décennies à mieux se renseigner sur l’humanité puis lui ont livré la technologie de l’hypernet. Et maintenant ils se tournent les pouces en attendant que nous nous détruisions mutuellement.

— Alors pourquoi ces quelques coups de sonde durant cette période ? s’étonna Geary.

— Pour s’assurer que nos senseurs et nos armes n’avaient pas évolué de façon drastique entre-temps ? suggéra Desjani.

— C’est plausible », lâcha Iger.

Trop de questions se posaient encore, pour lesquelles le commandant syndic ne semblait avoir que trop peu de réponses. « Vaut-il la peine qu’on le garde à bord ? demanda Geary.

— C’est ce que je recommanderais, affirma Rione. Je crois à la sincérité de son explication quant à l’absence d’attaques sur Abassas. Les relevés le confirment et cette tactique me semble très efficace. J’aurai peut-être à y recourir un jour moi-même.

— C’est aussi mon avis, amiral, renchérit Iger. Il pourrait encore détenir des informations, et il nous a dit qu’il connaissait les gens des systèmes stellaires frontaliers qui mènent la danse là-bas. Nous pourrions avoir l’usage de ces contacts. »