Sur ces entrefaites la flotte entreprit de réduire sa vélocité, les propulseurs des vaisseaux s’employant à les faire pivoter à cent quatre-vingts degrés de manière à présenter leur poupe vers l’avant, puis à les ralentir autant que le leur permettaient leur élan, la puissance de leurs unités de propulsion et leurs tampons d’inertie. Au terme de ces deux manœuvres de freinage et juste avant le contact avec les VAR, ils pivoteraient de nouveau sur eux-mêmes pour présenter leur proue vers l’avant, accélérer et affronter l’attaque syndic avec leurs plus épais boucliers et leur plus massive puissance de feu.
« Elles arrivent toujours droit sur nous », annonça Desjani.
Quelque chose dans son ton nonchalant et décontracté alerta Geary. Il enfonça de nouveau la touche des communications. « À toute la flotte de l’Alliance : ces VAR n’ont droit qu’à un seul coup, mais il peut être très puissant. Ne les sous-estimez pas tant qu’elles ne sont pas détruites. Toutes les unités doivent procéder sur place à des manœuvres évasives juste avant le contact avec elles. » Sur place, c’est-à-dire en évitant d’obliquer trop loin de la position assignée à chaque vaisseau, mais en leur permettant toutefois de procéder à d’infimes changements de vecteur destinés à déjouer les tentatives des systèmes de visées ennemis de prévoir leur position suivante avec assez de précision pour faire mouche durant une enveloppe d’engagement d’une fraction de seconde.
D’autres sirènes retentirent au moment où les premières VAR se mirent à tirer leur missile. Un seul par vedette, et sans doute la moitié d’entre elles n’en étaient-elles même pas dotées, mais elles étaient si nombreuses à fondre sur la flotte qu’ils semblèrent très vite se multiplier. « À tous les vaisseaux, feu à volonté ! Abattez d’abord les missiles puis les vedettes. »
À si brève distance, alors que les forces adverses se rapprochaient rapidement, les missiles ennemis n’avaient plus le temps de procéder à leurs propres manœuvres d’esquive. Des lances de l’enfer jaillirent des vaisseaux de l’Alliance, sillonnant l’espace de faisceaux dirigés de particules à haute énergie qui, à courte portée, transperçaient les blindages comme du papier. Des missiles syndics explosèrent prématurément ou se désintégrèrent sous ce déluge de feu, puis les quelques survivants se heurtèrent à une grêle de mitraille. Les denses nuées de billes métalliques les déchiquetèrent : chaque bille qui frappait sa cible la vaporisait instantanément par la seule puissance de l’impact. Déjà décimés par ces rafales de mitraille, les derniers missiles ennemis furent anéantis au moment où la flotte entrait en contact avec les vedettes rapides.
Par leur seul nombre, les VAR auraient peut-être réussi à compenser leurs fragiles défenses et leur armement limité en concentrant toute leur faible puissance de feu individuelle sur des vaisseaux plus volumineux et en les frappant à coups redoublés, mais certainement pas dans ces conditions, quand elles affrontaient une flotte de bâtiments beaucoup plus gros, à qui leur formation permettait de démultiplier une puissance de feu déjà supérieure et de se renforcer les uns les autres. Les VAR étaient conçues pour s’attaquer à un petit nombre de vaisseaux isolés ; un ou deux dans l’idéal. Dans les meilleures conditions, à proximité d’une planète ou d’une base spatiale où ces petites vedettes pouvaient attendre en mode furtif et silencieux l’approche de l’ennemi, un nombre suffisant pouvait même réussir à abattre un cuirassé opérant en solo, mais sans doute au prix de très grosses pertes.
Ces conditions n’étaient pas réunies.
Contre de tels adversaires, les destroyers de l’Alliance étaient dans leur élément. Ils fondaient sur l’essaim des VAR, plus faibles et plus petites, comme des faucons sur une nuée de moineaux, en déchaînant à loisir leurs lances de l’enfer sur leur mince protection. Les croiseurs légers se déplaçaient presque aussi agilement au milieu des destroyers et anéantissaient plusieurs vedettes rapides à chaque rafale de leur armement plus lourd. Sans doute moins rapides et maniables, mais mieux protégés et armés que les VAR, les croiseurs lourds arrivaient juste derrière les escorteurs légers. Les vedettes s’efforcèrent bien de concentrer leurs tirs sur quelques vaisseaux, suffisamment pour percer leurs boucliers et leur blindage, mais, devant tant de cibles arrivant sur elles à une vitesse vertigineuse, elles ne firent pas assez souvent mouche pour modifier le rapport de forces.
La formation de l’Alliance et l’essaim des VAR se fondirent l’une dans l’autre à une vélocité combinée proche de 0,05 c, et la nuée de vedettes donna l’impression de s’évaporer comme un vol de moucherons s’écrasant sur le pare-brise d’un 4x4. Elles explosaient ou s’éloignaient en tournoyant sur elles-mêmes, incontrôlées, tous leurs systèmes détruits et leur équipage décimé. En raison de leur seul nombre, quelques-unes réussirent à percer les défenses des escorteurs de l’Alliance, mais pour être aussitôt réduites en pièces par le feu des cuirassés et des croiseurs de combat.
L’instant du contact avec la horde de VAR et de son anéantissement fut trop bref pour que les sens humains l’enregistrent ; la flotte de l’Alliance se retrouva brusquement privée d’ennemi et, sur l’ordre de Geary, entreprit d’exécuter un virage serré vers le haut (le « haut » correspondant, selon les conventions humaines, à ce qui se trouve au-dessus du plan du système, tandis que le « bas » correspond à ce qui se trouve au-dessous). Geary étudia anxieusement l’hologramme affichant l’état de la flotte, conscient que des collisions avec les VAR ou un tir de barrage heureux auraient pu causer des dommages importants à l’un de ses escorteurs, voire le détruire. Les données continuaient de se remettre à jour, signalant des boucliers affaiblis ou des frappes occasionnelles sur certains destroyers et croiseurs légers, quand un autre événement retint son attention. « Donjon, rejoignez immédiatement la formation ! Déviez de votre trajectoire pour éviter ces cargos ! »
Contrairement au reste de la flotte, le croiseur lourd isolé avait poursuivi sur sa lancée au lieu d’altérer sa trajectoire vers le haut, et, à présent, il fonçait droit sur l’amas de vaisseaux marchands syndics muets qui stationnaient le long du vecteur qu’aurait dû emprunter la flotte. Geary laissa passer quelques secondes, hanté par les images de la perte stupide, à Sutrah, d’un croiseur et de trois destroyers détruits par un champ de mines.
La réponse du Donjon lui parvint enfin. « Allons-nous laisser ces Syndics s’en tirer ? » s’étonna son commandant. Elle semblait estomaquée.
« C’est un piège ! répondit aussitôt Geary. Servez-vous de votre tête ! Ces cargos ne cherchent pas à s’enfuir et il ne s’en échappe aucun module de survie ! Il n’y avait aucun équipage à leur bord à part les pilotes de ces VAR, et ils sont probablement truffés de bombes à retardement. Dégagez tout de suite ! »
Quelques secondes plus tard, le Donjon consentait enfin à remonter en altérant – oh, si lentement ! – sa trajectoire vers le reste de la flotte, tandis que son élan continuait de le rapprocher des cargos.
Le visage de marbre, Desjani observait sans mot dire la progression du croiseur lourd ; sans doute se souvenait-elle aussi de Sutrah.
« Dix secondes avant que le Donjon ne s’approche au plus près du premier cargo, annonça la vigie des opérations.
— Ils activent leurs systèmes de propulsion ! » s’exclama Desjani un instant plus tard. Les propulseurs des cargos s’étaient allumés et entreprenaient de redresser les lourds bâtiments pour tenter de les placer sur une trajectoire d’interception avec la flotte de l’Alliance, qui n’allait plus tarder à les survoler. « Tous en même temps ! Il doit s’agir d’un contrôle automatisé reliant tous ces cargos. Aucun ramassis de civils n’aurait pu mener une action aussi coordonnée.