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Le capitaine Kattnig de l’Adroit se leva. « J’aimerais me porter volontaire pour former avec la cinquième division de croiseurs de combat l’avant-garde de toute future action contre les Syndics. »

Les autres officiers échangèrent des regards tantôt approbateurs tantôt désapprobateurs, mais, dans la plupart des cas, chargés tout simplement de compréhension. « Capitaine, la formation de la flotte au combat dépendra avant tout de la situation qu’elle rencontrera. Je peux vous garantir que chacun des vaisseaux jouera un rôle important dans tout engagement. »

Kattnig hocha respectueusement la tête. « C’est entendu, amiral, mais mes croiseurs de combat n’ont jamais eu l’occasion de prouver leur valeur sous votre commandement, et ils en meurent d’envie.

— Je tâcherai de m’en souvenir, capitaine. » La requête de Kattnig concordait avec l’état d’esprit agressif de la flotte en général, de sorte qu’il eût été vain de vouloir en prendre le contre-pied. Kattnig se rassit et Geary observa attentivement les autres officiers. « Il ne reste donc plus qu’une dernière question. » Il avait longuement réfléchi à la façon de la formuler et espérait que son discours sonnerait juste. Desjani attendait en affichant une mine confiante. Il avait essayé son laïus sur elle et elle ne lui avait suggéré que d’infimes modifications.

« Quand j’ai reçu le commandement de cette flotte, commença-t-il, notre situation était désespérée. Nous nous battions avec l’énergie du désespoir, comme des gens qui n’ont plus rien à perdre. Plus nous nous rapprochions de chez nous en combattant, plus ce sentiment s’accentuait et plus nous étions déterminés à risquer le tout pour le tout pour regagner nos foyers et retrouver ceux que nous chérissons. Aujourd’hui c’est différent. Nous ne sommes plus désespérés. Mais nous devons à présent nous battre pour nous soustraire à la complaisance, à l’impression que les plus durs combats sont derrière nous et qu’une victoire sans douleur est à portée de nos mains. Nous avons certes aisément vaincu au point de saut d’Atalia. Mais, si nous y avions cédé à la négligence, si nous n’y avions pas fait montre d’une prudence de vétérans, notre flotte aurait foncé tout droit dans cet amas de cargos et nombre de nos vaisseaux n’en seraient pas ressortis après que ces bâtiments syndics auraient déclenché leur chausse-trape. »

Il s’interrompit le temps qu’ils s’imprègnent tous de cette vérité. « J’ignore comment se présentera le prochain piège, mais nous devons rester sur le qui-vive. Il nous faut nous battre tout aussi désespérément, tout aussi durement que pour rentrer chez nous, car toute l’Alliance est désormais persuadée que nous pouvons mettre fin à la guerre. Nous ne pouvons pas la laisser tomber, aussi devons-nous nous montrer vaillants, forts et avisés. Exactement comme avant. »

Nouvelle pause ; tous l’écoutaient, la plupart en hochant la tête. Rione mima le geste de frapper dans ses mains pour applaudir. « Merci à tous, termina Geary. Nous allons gagner le système mère syndic et mettre un terme à ce conflit. C’est tout. »

Ils l’acclamèrent et se levèrent pour saluer. Les images virtuelles des participants disparurent rapidement, ne laissant que celles des sénateurs Costa et Sakaï, de la coprésidente Rione, et la présence physique de Tanya Desjani. Costa dévisageait Geary d’un œil aussi surpris que circonspect, tout en s’efforçant de dissimuler ses sentiments. « Joli discours, déclara Sakaï à voix basse, en adressant à Geary un signe de tête courtois. Est-ce réellement votre vrai plan que vous nous avez exposé ?

— Oui. Je ne me risquerais pas à fourvoyer mes subordonnés. Si je perdais leur confiance, eh bien… Bon, je suis sûr que vous êtes au courant de ce qui a failli arriver au croiseur lourd Donjon après notre émergence dans ce système. Ils doivent savoir qu’ils peuvent compter sur moi.

— Quand les défenseurs du système mère syndic auront été éliminés, poursuivit Sakaï, nous mènerons les négociations, la sénatrice Costa, la coprésidente Rione et moi-même. »

Rione agita fugacement l’index pour faire comprendre à Geary que le moment n’était pas venu d’en débattre. « Certainement, sénateur. »

Les images de Costa et Sakaï disparues, elle éclata de rire. « Vous avez vu Costa ?

— Ouais. Qu’est-ce qui la turlupinait ?

— Elle venait tout juste de comprendre qu’elle avait peut-être sous-estimé la concurrence. Vous en l’occurrence.

Elle se croyait capable de manipuler n’importe quel militaire, mais elle a maintenant ses doutes. » Rione s’esclaffa derechef.

« Et l’autre ? s’enquit Geary.

— Sakaï ? » Rione recouvra son sérieux. « Il réfléchit et garde les yeux ouverts. Il représente la faction du Grand Conseil qui se méfie le plus de Black Jack Geary. Ne l’oubliez jamais. Vous étiez occupé à observer les réactions de vos officiers, je l’ai bien vu, de sorte que vous ne vous êtes pas aperçu qu’il étudiait attentivement votre capitaine. Il sait que, si le pire se produit, il lui faudra passer par son entremise pour vous atteindre, et il vient seulement de comprendre à quel point la tâche risquait d’être ardue. »

Desjani se leva en affichant un masque rigide et tout professionnel. « Je ferais peut-être mieux de me retirer. »

Mais Rione l’arrêta d’un geste. « Inutile de vous presser pour moi. J’allais prendre congé. » Et son image disparut à son tour.

« Ne pourrions-nous pas la laisser à Kalixa ? demanda Desjani.

— Non. Le sénateur Sakaï vous a-t-il parlé ?

— Une visite de politesse et quelques passages à l’occasion pour me tenir la jambe, répondit-elle sèchement. Des conversations à bâtons rompus. La politique, la guerre, vos ambitions. Vous voyez le genre.

— J’espère que vous l’avez rassuré, répondit Geary en souriant.

— Il ne m’a pas crue, j’en suis certaine. » Elle poussa un grand soupir. « Je sais que le capitaine Duellos vous a parlé, amiral.

— Et moi qu’il vous a répété ma réponse. »

Desjani le regarda en hochant la tête. « Si j’avais fait part de vos ambitions à Sakaï, il vous aurait cru fou.

— Et vous aussi.

— Et me voilà d’accord avec un politicien. Vous accomplissez réellement des miracles, amiral. »

Geary attendit le départ de Desjani pour appeler Tulev. « Pardon de vous rappeler si vite, mais j’ai une question à vous poser. »

Tulev inclina légèrement la tête, aussi stoïque et impavide qu’à l’ordinaire. « Rien de vraiment grave, j’espère, amiral ?

— Je n’en sais rien. J’ai cru comprendre que vous aviez servi avec le capitaine Kattnig.

— Avec Kattnig ? » L’embarras de Tulev transparut fugacement. « Il y a très longtemps, à l’époque où nous venions de nous engager.

— Il m’a appris que vous aviez reçu votre affectation ensemble à deux reprises.

— Oui, c’est exact. La flotte avait cruellement besoin de nouveaux officiers après les combats autour d’Hattera. Mais je ne l’ai que très rarement rencontré depuis. » Tulev fixa Geary. « Vous poserait-il quelque souci ?

— Je n’en sais rien. » Geary tapota doucement la table du poing. « Il a de bons états de service.

— Nous avons conversé plusieurs fois depuis que l’Adroit a rejoint la flotte. Il souhaitait en apprendre davantage sur notre retour dans l’espace de l’Alliance sous votre commandement. »

Geary opina, non sans remarquer que Tulev lui-même préférait toujours le terme de « retour » au mot « retraite ». Nul dans la flotte ne s’y résolvait, et, plus d’une fois, Geary s’était repris à la dernière seconde avant de dire « retraite » par inadvertance. Mais, s’il devait parfois prendre sur lui pour éviter d’y recourir, il était lentement parvenu à la conclusion que la flotte, sincèrement, ne considérait pas ce retour comme une retraite. Elle n’avait pas battu en retraite mais s’était « repliée », « réorganisée », « repositionnée », elle était « partie » ou avait « modifié son angle d’attaque ». Dès lors, son retour ne pouvait pas être une retraite. « Veuillez excuser ma franchise, mais Kattnig donne l’impression d’avoir quelque chose à prouver, sans doute parce qu’il n’accompagnait pas la flotte durant ce retour. Il m’a dit que les nouveaux croiseurs de combat étaient avides de prouver leur valeur, mais, à mon avis, c’est plutôt lui qui ressent le besoin de s’affirmer, et j’ignore pour quelle raison. »