Выбрать главу

Il faillit répliquer puis se ravisa en se remémorant la situation dans laquelle lui-même se trouvait un an plus tôt : toujours congelé en sommeil d’hibernation dans son module de survie perdu parmi les débris jonchant le système stellaire de Grendel, il ne pouvait même pas se douter que les dernières réserves d’énergie de sa capsule étaient en train de lentement s’épuiser et que les systèmes qui le maintenaient en vie flancheraient si on ne le découvrait pas dans quelques mois.

« Qu’est-ce qui vous arrive ? » Desjani l’observait avec inquiétude.

« Rien. J’ai juste eu froid pendant quelques secondes », marmotta-t-il, non sans se demander si le souvenir de la glace qui avait saturé toutes les cellules de son corps s’effacerait complètement un jour.

Elle le fixa encore longuement puis se pencha de nouveau dans sa bulle d’intimité. « Quoi que j’aie pu dire ou faire au cours des dernières semaines, ne doutez jamais que je suis reconnaissante aux vivantes étoiles de votre survie, de ce que mon vaisseau vous ait recueilli et que j’aie pu vous rencontrer. »

Il hocha la tête, sans trop avoir besoin de se forcer pour lui rendre son sourire. « Merci. »

Puis Desjani se redressa, à nouveau tout à son affaire : « Encore un jour et nous verrons si cette clé fonctionne encore. » Elle eut un sourire de louve. « J’ai hâte de retourner dans le système mère syndic. La flotte y a une belle revanche à prendre. »

Deux heures avant d’atteindre le portail de l’hypernet, Geary feignait encore de se reposer. La tension était déjà suffisamment forte sur la passerelle de l’Indomptable pour qu’il s’abstînt d’y déambuler. Il n’y remonterait que dans une heure pour assister à l’approche finale du portail de Parnosa et, pour la deuxième fois dans son existence, faire l’expérience de l’hypernet. C’était tout juste si, encore submergé tant physiquement que moralement par le stress post-traumatique, il avait eu conscience de la première.

Un appel entrant lui fit l’effet d’une diversion bienvenue. « Ici Geary.

— Vous venez de recevoir une requête pour une visioconférence, amiral, lui annonça l’officier des transmissions de l’Indomptable. De la part de l’Intrépide. »

Geary se leva précipitamment et rectifia sa tenue. « Acceptez. »

Un instant plus tard, l’image du capitaine Jane Geary apparut dans sa cabine, debout devant lui comme si elle était physiquement présente. Son visage ne révélait rien et sa voix était assurée. « Le capitaine Geary demande à l’amiral Geary la permission de s’entretenir en tête-à-tête avec lui.

— Accordée. » Pas moyen de deviner ce qu’elle ressentait ni ce qu’elle avait l’intention de lui dire. « Asseyez-vous, je vous prie. »

Jane Geary s’assit avec raideur dans un fauteuil de sa cabine de l’Intrépide tandis que son image effectuait le même mouvement devant Geary. Elle le fixa droit dans les yeux et il soutint son regard, à nouveau sidéré par les signes de vieillissement qui marquaient son visage et le fait que son arrière-petite-nièce fût âgée de quelques années de plus que lui. Il avait étudié sa photo, mais ce n’est qu’en la voyant de plain-pied qu’il parvint enfin à distinguer une certaine ressemblance avec son frère.

« Puis-je connaître les raisons de cette demande d’entretien ? s’enquit-il enfin.

— Oui, amiral. Tout d’abord, j’aimerais savoir pourquoi vous avez affecté l’Intrépide et le Fiable à la troisième division de cuirassés et pourquoi vous m’avez confié son commandement ? »

Répondre à cette question n’était guère difficile. « La troisième division de cuirassés connaissait de nombreux problèmes. De moral, d’efficacité et de gouvernance. Ses bâtiments survivants avaient besoin de modèles exemplaires et d’un chef valeureux. En m’appuyant sur ce que j’ai vu durant la bataille de Varandal, je crois que le Fiable et l’Intrépide remplissaient la première de ces exigences et vous-même la seconde. »

Jane Geary s’accorda un instant de réflexion avant de continuer. « J’ai cru comprendre que vous aviez un message à me transmettre de la part de mon frère le capitaine Michael Geary. » Ces dernières paroles semblaient exemptes de toute émotion.

« Oui. Je me proposais de vous envoyer une copie de la transmission contenant ce message.

— Ne pourriez-vous pas tout bonnement m’en faire part oralement ?

— Certainement. » Geary avait espéré et redouté tout à la fois cette rencontre, et il était toujours dans le même état d’esprit. « Il m’a prié de vous dire qu’il ne me haïssait plus. »

Jane Geary le fixa longuement puis détourna les yeux et inspira profondément. « C’est tout ?

— Nous n’avions guère de temps. Que savez-vous exactement de ce qui s’est passé ?

— J’ai lu les rapports officiels et parlé à un certain nombre d’officiers de la flotte, amiral. »

Geary s’adossa à son fauteuil et poussa un soupir d’exaspération. « Que suis-je censé faire, Jane ? Êtes-vous venue me consulter en tant que mon arrière-petite-nièce ou en votre qualité de commandant de vaisseau de la flotte que je commande ? Bon sang, vous êtes la seule famille qui me reste !

— Nombre des nôtres sont morts durant cette guerre. » Elle lui fit face. « Parlez-moi franchement. Michael s’est-il porté volontaire pour cet acte désespéré ? Vous ne le lui aviez pas suggéré ?

— Il était volontaire. J’étais encore en train de prendre mes marques de commandant de la flotte et d’essayer de m’adapter aux événements. Je n’étais pas prêt à ordonner… à donner un tel ordre à quelqu’un. »

Jane Geary donna l’impression de s’affaisser légèrement et elle ferma les yeux. « Je n’avais plus que lui. Vous l’avez abandonné dans le système mère syndic.

— En effet. » Geary n’allait certainement pas arguer des pressions du commandement ni de ses obligations envers le reste de la flotte. Rien de tout cela ne changerait quoi que ce fût à ce simple fait. « J’espère qu’il a survécu et que nous l’en ramènerons.

— Vous savez pertinemment que toutes les probabilités s’y opposent.

— Ouais. » Il avait un goût amer dans la bouche. « Beaucoup de gens ne sont jamais rentrés chez eux. Je suis désolé. »

Elle se pencha en avant, les yeux écarquillés, brusquement de nouveau véhémente. « Nous vous haïssions tous les deux. Notre vie ne nous a jamais appartenu. Enfants, nous jouions parfois à ce jeu : l’un de nous deux était Black Jack, le croquemitaine qui traquait l’autre et tentait de l’attraper pour l’emmener faire la guerre. En fin de compte, vous nous avez attrapés tous les deux, n’est-ce pas ? D’abord Michael puis moi.

— Je ne suis pas Black Jack. Je regrette sincèrement ce que vous avez vécu, Michael et vous, comme ce qui est arrivé à tous les Geary contraints de suivre mon exemple et mes prétendus hauts faits. Mais, sur l’honneur de mes ancêtres, je jure que je n’y aurais jamais consenti… ni à ce qui s’est passé par la suite, ni à l’invention de cette légende disproportionnée sur mes exploits. Je n’y suis strictement pour rien, mais je n’en suis pas moins navré des conséquences qu’elle aura eues pour des gens comme Michael et vous. »

Jane Geary se tint de nouveau coite un instant. « Avez-vous répété le message de Michael à d’autres que moi ? » finit-elle par demander.

Il s’apprêta à répondre par la négative puis se rendit compte que ça lui était interdit. « À une seule personne.