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Jane Geary sourit. « Sans doute aurait-ce été en rapport avec la construction. L’architecture. Les gens ont dessiné pendant des millénaires en s’inspirant de modèles vivants, mais j’ai l’impression que nous pourrions en apprendre davantage pour concevoir des objets. » Son sourire s’évanouit. « Michael a une fille et deux fils. Dans six mois, sa fille sera apte à suivre la formation d’officier de la flotte. »

Geary le savait, mais, inquiet de ce que ces enfants risquaient de penser de Black Jack, de ce Black Jack qui avait abandonné leur père dans le système mère syndic, il n’avait pas osé aborder le sujet. « C’est ce à quoi elle aspire ?

— Vous aurez peut-être l’occasion de le lui demander.

— Du moment qu’on lui laisse vraiment le choix. »

Jane Geary hocha la tête. « Peut-être le lui offrirez-vous vous-même, le cas échéant. Pardonnez-moi encore de ne pas vous avoir parlé plus tôt, je vous en prie. Il vaudrait mieux maintenant que je vous laisse vous préparer aux futures opérations. »

Il consulta l’heure du regard et acquiesça à contrecœur. « Merci. Les mots me manquent pour vous dire à quel point cet entretien comptait pour moi.

— Peut-être pourrons-nous parler un jour à Michael. » Jane Geary se leva puis salua d’une façon laissant entendre qu’elle était encore novice en la matière. « Avec votre permission, amiral.

— Accordée. » Il lui rendit son salut puis se leva à son tour et, avant de se rendre sur la passerelle, fixa longuement la place que son image avait paru occuper.

Le portail se dressait sur l’hologramme de Geary, assis sur la passerelle. En réalité, ce n’était qu’une matrice d’énergie invisible à l’œil humain, mais les centaines de dispositifs appelés des torons qui la maintenaient stable et en place étaient perceptibles, eux, et formaient un immense anneau que l’Indomptable semblait sur le point d’enfiler. Geary ne s’était plus approché d’un portail depuis celui de Sancerre, et la destruction de ses torons par des vaisseaux syndics résolus à en interdire l’accès à la flotte de l’Alliance avait provoqué son effondrement. L’espace lui-même avait sur le moment donné l’impression de fluctuer et, à ce souvenir, Geary inspira profondément pour se calmer.

« Aucun problème, lui annonça Desjani avec un sourire rassurant.

— Capitaine Desjani, je me souviens simplement de m’être approché d’un portail de l’hypernet à une certaine occasion et, vous-même, vous rappelez sans doute que ce n’était pas une expérience très agréable.

— Nous y avons survécu. »

Geary dut reconnaître qu’au bout d’un siècle de guerre c’était assurément un critère de réussite assez raisonnable.

Desjani lui jeta un regard inquisiteur. « C’est maintenant que nous allons découvrir si ça fonctionne correctement. »

Il hocha la tête, conscient qu’elle faisait allusion à des questions dont ils ne pouvaient pas discuter sur la passerelle. Les systèmes des vaisseaux de la flotte (hypernet, manœuvres et communications) avaient été expurgés de tous les virus fondés sur les probabilités quantiques qu’on avait pu repérer. Il fallait espérer, autrement dit, que les extraterrestres ne pourraient pas, comme ils l’avaient fait pour la flottille de réserve syndic, détourner la flotte de son objectif pendant qu’elle serait dans l’hypernet. Mais on n’en aurait la certitude qu’après avoir essayé. « Comment le portail et cette clé fonctionnent-ils ensemble, déjà ?

— Quand nous entrerons dans le champ du portail, la clé de l’hypernet syndic s’activera. Nous réglerons les paramètres de ce champ afin qu’il puisse contenir et transporter la flotte tout entière, nous nous assurerons que la destination affichée sur la clé correspond bien à notre objectif, puis nous ordonnerons à la clef de transmettre au portail l’ordre d’exécuter la manœuvre. Relativement simple. »

Geary hocha la tête. « Un peu trop à mon goût. Quel ingénieur humain a jamais conçu un appareil aussi facile à manœuvrer ?

— Vous avez raison. Nous aurions dû nous douter dès le début que des intelligences non humaines étaient impliquées, puisque le processus d’activation ne dépendait pas d’une foule de commandes ésotériques à exécuter dans le bon ordre, et que la destination s’affichait sous la forme d’un nom plutôt que sous celle d’un code contre-intuitif. Aucun logiciel humain ne saurait produire un dispositif d’un emploi aussi simple. » Desjani montra la flotte en souriant. « Vous êtes satisfait de la formation ?

— Ouais. Elle serait en mesure d’affronter tout ce que les Syndics pourraient nous opposer s’ils nous attendaient au portail de Zevos. Mais ça reste très improbable. »

Desjani coula un regard vers un autre secteur de l’hologramme. « La clé s’est activée. Vous voulez entrer les données ?

— Non. Allez-y, je vous en prie. »

Les mains de Desjani dansèrent sur les touches puis elle fixa l’hologramme en plissant le front. « Vigie des opérations, veuillez me confirmer que les dimensions du champ ont été correctement paramétrées. »

L’officier hocha affirmativement la tête quelques instants plus tard. « Confirmé, commandant. Le champ comprendra la totalité de la flotte.

— Vérifiez que la destination est bien Zevos.

— Confirmé. Destination Zevos. »

Desjani regarda Geary. « Demande permission d’activer la clé de l’hypernet pour Zevos.

— Accordée. »

Elle tapa encore sur deux touches et les étoiles s’évanouirent.

Geary se souvenait à peine de l’aspect qu’offrait l’intérieur d’un tunnel de l’hypernet. « Il n’y a strictement rien à voir.

— Non. » Desjani écarta les bras. « Les scientifiques affirment que nous sommes dans une sorte de bulle où la lumière telle que nous la connaissons ne peut pas pénétrer. De sorte qu’il fait noir, tout simplement. »

Noir tout simplement. Aucune impression de vitesse ni de mouvement. « Combien de temps, déjà ?

— Huit jours, quatorze heures et six minutes pour ce trajet. Plus on va loin, plus la vitesse augmente par rapport à l’univers extérieur. C’est assez bizarre, certes, mais c’est un long trajet, si bien que nous allons plus vite que s’il avait été court.

— Un court trajet peut demander aussi longtemps qu’un long, c’est ça ?

— Oui, voire davantage. » Desjani montra les ténèbres emplissant l’écran qui affichait les conditions extérieures.

« Comme je viens de le dire, c’est assez bizarre. Il faudrait demander à un scientifique de vous l’expliquer, mais je ne suis pas persuadée qu’ils comprennent réellement. Ils se contentent de mots impressionnants pour désigner ce qui se passe. »

Un voyage d’une seule traite eût-il été possible que couvrir cette distance par saut aurait tout de même exigé au moins deux mois. Pourtant, sur le moment, quand une bataille risquant de mettre fin au conflit se profilait à l’horizon, ces huit jours, quatorze heures et six minutes semblaient encore une éternité. « J’ai hâte que ça se termine.

— Oui, amiral. Moi aussi. Mais rappelez-vous à quel point le conflit a duré pour nous autres. »

La guerre avait débuté cent ans plus tôt. Desjani et tous les officiers de l’Indomptable et de la flotte, à part Geary, avaient attendu cet instant toute leur vie.

Vu sous cet angle, il pouvait bien encore patienter huit jours.