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Badaya la fixa en plissant les yeux puis hocha de nouveau la tête. « Ils pourront alors affirmer que c’est nous qui l’avons provoqué, comme ils tentent de le faire accroire à propos de Kalixa. »

Le capitaine de frégate Landis se fendit lui aussi d’un hochement de tête, mais il semblait encore perplexe. « Et s’ils comprenaient nos intentions bien avant ? S’ils choisissaient de sacrifier leur flottille et de faire sauter le portail avant que nous soyons à l’abri derrière l’étoile ? »

Geary s’était déjà contraint à envisager cette éventualité. Il enfonça une autre touche et une formation apparut sur l’hologramme. « S’il nous en reste le temps, nous adopterons cette formation dès que nous aurons constaté que le portail est en voie de s’effondrer. Les cuirassés formeront un mur aussi dense et épais que possible, en orientant leur poupe vers le portail. Le reste de la flotte se disposera derrière eux pour former d’autres remparts parallèles au premier. C’est notre seule chance de voir survivre au moins quelques vaisseaux. »

Tous, même les commandants des cuirassés, approuvèrent sombrement. Le blindage et les boucliers de ces bâtiments massifs avaient sans doute un emploi offensif, mais on n’en faisait pas moins appel à eux pour servir d’ultime rempart défensif quand la situation de la flotte l’exigeait. Comme l’avait dit à Lakota le capitaine Mosko, ça faisait partie de leur boulot. Mosko était resté à Lakota avec les trois cuirassés de sa division pour retenir l’ennemi. Tous, dans la flotte, étaient habitués à affronter la mort, et mourir pour ses camarades n’est pas le sort le moins enviable.

Cela dit, nul ne s’attendait cette fois-ci à une telle embellie. Tous avaient été témoins des ravages que pouvait exercer l’effondrement d’un portail sur un système stellaire. Si jamais une décharge d’énergie plus violente que celle de Kalixa les frappait, les cuirassés seraient probablement réduits en miettes avec tout ce qu’ils abritaient. Mais il fallait bien tenter quelque chose.

Armus haussa les épaules. « Très bien, en ce cas. Si nos ancêtres nous sourient, nous triompherons aussi de cette ruse des Syndics. »

Tulev opina. « Et, sinon, ils sauront que nous serons morts en affrontant l’ennemi. »

Jane Geary prit la parole : « Que ferons-nous quand nous serons à l’abri derrière l’étoile, amiral ?

— Tout dépend des circonstances, répondit Geary. Nous ne nous tournerons certainement pas les pouces. Nous larguerons dans le sillage de la flotte des balises équipées de senseurs pour surveiller le portail, même quand tous les vaisseaux seront abrités. Si les dirigeants syndics ne l’ont pas fait sauter et sont sortis du système entre-temps, nous prendrons un certain nombre de mesures pour leur pourrir la vie. Nous pourrons aussi, si besoin, liquider les Syndics d’ici, depuis notre abri derrière l’étoile. D’autres questions ?

— Amiral, puis-je suggérer une opération qui les gênerait énormément ? intervint en hâte le capitaine Kattnig. Ils aimeraient détruire cette flotte, mais, si elle s’abrite tout entière derrière l’étoile, nous perdons notre principal moyen de pression sur eux. En revanche, si nous dépêchions un petit groupe de vaisseaux rapides directement au point de saut pour Mandalon, leurs dirigeants seraient contraints de choisir entre détruire leur système stellaire, tout en sachant qu’ils n’anéantiraient pas la majorité de la flotte à ce prix, fuir vers le point de saut ou nous combattre. »

Nombre d’officiers approuvèrent Kattnig de la tête. Geary réfléchit à la proposition, conscient, en dépit de sa réticence à envoyer des vaisseaux au loin pour une mission potentiellement suicidaire, qu’elle avait de bonnes chances de tenir la route.

« Il devrait s’agir de croiseurs de combat, déclara Desjani.

— Oui, convint Kattnig. Je me porte volontaire avec la cinquième division. » Quelques-uns des autres officiers de cette division affichèrent sans doute une mine interloquée, mais aucun n’éleva d’objection. Nul ne pouvait se le permettre, la notion d’honneur prévalant dans la flotte.

Mais Duellos, lui, prit la parole sur un ton soigneusement neutre : « Cette proposition s’inscrit sans doute dans la meilleure tradition de la flotte, mais j’ai passé récemment en revue les capacités des croiseurs de combat de la classe Adroit. En raison des limitations imposées à leurs senseurs par la conception même de ces vaisseaux, ils devraient se faire escorter d’autres bâtiments plus gros.

— Effectivement, reconnut Kattnig. La première division de croiseurs de combat ? s’enquit-il en citant l’unité de Duellos. Nous serions fiers de l’avoir avec nous. »

Geary baissa un instant les yeux pour réfléchir et il remarqua que Desjani fixait la table d’un œil noir. Elle aurait aimé se porter volontaire avec l’Indomptable, il le savait. Mais elle restait aussi consciente que, si l’ennemi s’apercevait de la présence dans ce détachement du vaisseau amiral de la flotte avec l’amiral Geary à son bord, cela suffirait à en faire une cible privilégiée.

Il hésitait également à envoyer Duellos. Mais l’empressement de Kattnig à affronter l’ennemi, même s’il n’avait rien d’exceptionnel dans la flotte, ne manquait pas de l’inquiéter. S’il fallait absolument refréner ses ardeurs, Duellos aurait l’ancienneté, l’autorité et la sagesse nécessaires pour le retenir. Tulev en serait également capable. Mais Duellos était pour l’instant sur la sellette et il attendait visiblement que Geary intervienne de tout son poids pour répondre.

Récuser Duellos et ordonner plutôt à la division de Tulev de s’en charger ? Ou bien annoncer publiquement que je préfère réfléchir à la composition de ce détachement avant de décider des vaisseaux qui le formeront ? Non, on est en train de me forcer la main, là. À moins de déclarer tout de suite que je veux envoyer la première division, j’aurai l’air de vouloir la retenir, et, si le règlement de la flotte spécifie que je ne suis absolument pas tenu d’expliquer ma décision, il me faudrait malgré tout la justifier sur le plan pratique. Comment le faire sans que les officiers et spatiaux de la première division se sentent spoliés ?

Me voilà coincé. Duellos n’est sans doute pas un mauvais postulant, mais je ne suis pas certain que je l’aurais choisi. Et, maintenant, je dois m’en accommoder ou alors donner l’impression que je me méfie de lui ou de ses vaisseaux.

Geary adressa donc un signe de tête à Duellos. « La première division de croiseurs de combat souhaite-t-elle participer à ce détachement ? »

Duellos saisit parfaitement le sous-entendu de ce signe de tête. « Certainement, amiral. Mes vaisseaux sont prêts. »

C’était donc réglé. Kattnig semblait très satisfait. Duellos, quant à lui, irradiait le calme et l’assurance. Tulev restait indéchiffrable, Badaya avait l’air content et Desjani s’efforçait visiblement de ne pas marteler des poings la table par dépit.

Geary réussit à s’exprimer d’une voix égale malgré le mécontentement que lui inspirait l’impression qu’on lui avait forcé la main. « Il me faut préciser la mission et la composition définitive de ce détachement. Les croiseurs de combat seront accompagnés d’un assez grand nombre d’escorteurs rapides pour leur permettre de repousser toute menace des Syndics. Je vous tiendrai informé des projets suivants dès que nous serons à l’abri derrière l’étoile. »

L’image de la plupart des officiers disparut. Duellos s’attarda assez longtemps pour jeter à Geary un regard résigné. « Nous avons marché comme un seul homme.

— Ouais, effectivement. Je vous en reparlerai plus tard en tête-à-tête. »