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L’image de Duellos s’effaçant à son tour, Badaya, qui lui aussi était resté, hocha de nouveau la tête, d’abord à l’intention de Rione puis à celle de Geary : « Bien utile d’avoir avec nous quelqu’un qui comprend comment raisonnent les dirigeants syndics.

— Oui », se contenta de répondre Geary, conscient que, pour Badaya, Rione ne comprenait les dirigeants syndics que parce qu’elle suivait la même logique qu’eux.

« Les autres vous créent-ils des problèmes ? »

Dans le dos de Badaya, Rione leva les yeux au ciel avec lassitude.

Geary réussit à maîtriser sa voix et choisit soigneusement ses mots : « Les sénateurs ne me posent aucun problème.

— Parfait. Tant qu’ils savent qui commande… » Il sourit, salua et disparut.

Rione lança à Geary un regard inquisiteur. « Que comptez-vous faire s’il s’aperçoit que vous ne donnez pas réellement d’ordres au gouvernement ?

— Que je sois pendu si je le sais. »

Badaya sorti, Desjani se leva. « Navrée.

— Je sais que vous auriez aimé vous porter volontaire avec l’Indomptable pour ce détachement », avança Geary.

Desjani haussa les épaules. « Commander au vaisseau amiral a parfois ses avantages. Je serais stupide de ne pas m’en rendre compte en l’occurrence… Envoyer l’Indomptable avec ce détachement reviendrait à offrir aux Syndics une cible par trop tentante. »

Elle n’était pas très douée pour feindre la résignation. « J’en ai peur, convint Geary.

— Il faudra surveiller Kattnig », ajouta-t-elle.

Geary la dévisagea. « En quoi vous inquiète-t-il ?

— De la même façon qu’il vous inquiète. Je l’ai bien vu. Il est trop impatient. Ce n’est pas un crétin hyperagressif comme le capitaine Midéa, mais il est trop empressé.

— En effet. » Geary secoua la tête. « Duellos devrait le tenir en laisse.

— Tulev aurait été plus efficace, mais vous ne pouviez pas récuser publiquement Duellos. Il faut bien préserver les apparences. Et, à propos d’apparence, amiral, si jamais nous voyions s’effondrer ce portail et que la flotte recevait l’ordre d’adopter une formation défensive, où donc se placerait l’Indomptable ? »

Geary détourna un instant les yeux. « Si cela devait se produire, Tanya…

— Si cela devait se produire, les chances de survie de tout vaisseau de la flotte seraient voisines de zéro. Je demande respectueusement, au cas où l’Indomptable et son équipage devraient périr, à ce qu’ils meurent honorablement, à la place que devrait occuper le vaisseau amiral au sein de la flotte. » La voix de Desjani était calme, ferme et posée.

Geary voyait mal quels arguments solides il aurait pu lui opposer. « Et, selon vous, quelle position devrait-il occuper ? En première ligne avec les cuirassés ?

— Non, amiral. Ce serait créer un point faible dans leur mur. Mais l’Indomptable devrait se trouver juste derrière. »

Refusant de la regarder directement pour prononcer ce qui risquait d’être pour elle une sentence de mort, Geary ferma les yeux. Pour lui aussi, au demeurant, mais, en un sens, il vivait en sursis depuis qu’il s’était réveillé de son sommeil de survie. « Très bien, capitaine. L’Indomptable occupera donc sa position légitime si la flotte doit affronter cette situation.

— Merci, amiral. »

Geary rouvrit les paupières et se rendit compte qu’elle le saluait en le regardant droit dans les yeux, pleine de gratitude. « Je vous dois au moins cela, à l’Indomptable et à vous, ajouta-t-il en lui retournant son salut. Mais j’espère qu’on n’en viendra pas là. Si jamais…

— Nil desperandum », lui rappela-t-elle avec un sourire en coin avant de sortir d’un pas vif mais détendu.

Rione la suivit un instant des yeux puis secoua la tête. « Méritons-nous que des gens comme elle se battent pour nous ?

— Je croyais que tu ne l’aimais pas.

— Je ne l’aime pas. Elle est presque aussi garce que moi. Mais je remercie les vivantes étoiles que ce soit elle qui commande à ce vaisseau plutôt qu’un Badaya. »

Geary se rassit sans quitter Rione des yeux. Les images virtuelles des sénateurs Costa et Sakaï avaient disparu un peu plus tôt sans qu’aucun des deux n’eût compris à temps que Rione allait rester pour s’entretenir en privé avec Geary. « Badaya est un officier assez compétent. Si nous parvenions à lui rendre sa confiance en l’Alliance, il serait un gros atout pour la flotte. »

Rione eut un sourire un tantinet contrit : « Il me semble que, tant qu’il ne surviendra rien de catastrophique, le capitaine Badaya se persuadera que tu tiens réellement les commandes mais que tu tires les ficelles en coulisse. Il ne sera d’ailleurs pas le seul. »

Tant qu’il n’aurait pas réussi à mettre fin au conflit, Geary ne tenait nullement à aborder le sujet de ce qu’il adviendrait après la guerre. « Madame la coprésidente, avez-vous réfléchi à ce que nous pourrions dire ou faire pour convaincre les Syndics que nous ne sommes pas informés du danger posé par le portail de l’hypernet ? Nous devons absolument continuer de les leurrer jusqu’à ce que nous soyons passés derrière l’étoile. »

Rione cogita en faisant la moue. « Je crois que nous devrions continuer de donner le change en affichant notre assurance dans nos actes et nos paroles. Tu pourrais leur renvoyer ton ultimatum en faisant preuve, cette fois, de davantage d’arrogance et en témoignant tout le mépris voulu au commandant en chef de cette flottille syndic. Peut-être en y ajoutant quelques piques relatives à sa faiblesse, comparativement à la dernière force syndic que nous avons affrontée.

— Un représentant de notre gouvernement saurait peut-être conférer à cet ultimatum et à ces banderilles l’arrogance et le mépris requis, suggéra Geary.

— Moi, veux-tu dire ? Je manie nettement mieux l’arrogance que toi, en effet. » Elle s’adossa à son fauteuil. « Mais Costa est encore plus douée. Je vais lui annoncer que tu comptes lui laisser le soin de transmettre le prochain ultimatum. Elle s’imaginera t’avoir beaucoup impressionné.

— Ne risque-t-elle pas de trahir nos soupçons concernant ce piège ?

— Costa ? Elle protège mieux ses secrets que le célibat la virginité. C’est bien la dernière chose dont tu dois t’inquiéter à son sujet. » Rione sourit. « Je me charge de lui faire comprendre qu’il s’agit avant tout de leurrer les Syndics. Elle va adorer, tout comme cette occasion qui lui sera offerte de faire un pied de nez à un commandant en chef ennemi. Combien de temps devrons-nous continuer à les duper, au fait ? »

Geary montra l’écran d’un geste. « Comme tu l’as vu, nous ne pouvons pas piquer directement vers la face cachée de l’étoile sans trahir nos intentions, aussi nous faut-il faire un crochet pour la contourner. Un peu plus deux jours avant de passer derrière en droite ligne.

— Les Syndics nous en laisseront-ils le temps ?

— Si leur flottille poursuit son propre transit circulaire, atteindre le point de saut pour Mandalon leur demandera encore trois jours.

— Nous aurions donc le temps. Aimerais-tu savoir ce que Sakaï a dit de toi ? »

Geary réfléchit un instant puis hocha la tête.

« “Il nous a écoutés.” »

Geary patienta, mais rien ne vint spontanément. « C’est tout ?

— C’est déjà beaucoup, amiral Geary. » Rione le scruta de nouveau en secouant la tête. « J’ignore quand c’est arrivé. Peut-être qu’il en a toujours été ainsi et que ça n’a fait qu’empirer. Mais, à un moment donné, les officiers supérieurs et les dirigeants politiques de l’Alliance ont cessé de s’écouter les uns les autres. Nous feignons tous de prêter l’oreille, mais nous n’entendons et nous ne voyons que ce que nous voulons voir et entendre.