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— Comme Badaya.

— Ou Costa. » Rione se leva pour se diriger vers le sas puis s’arrêta en chemin et se retourna vers Geary. « Peut-être ai-je accompagné cette flotte pour une tout autre raison quand l’amiral Bloch était à sa tête. Une raison que j’ignorais encore. Guérir l’Alliance exigera des officiers qui se fient aux politiques et des politiques qui se fient aux officiers. »

Geary eut un sourire torve. « Ne me fais pas le coup du mysticisme.

— Je n’y songe même pas, amiral. Si les vivantes étoiles dépendaient de gens comme moi pour accomplir leur mission, elles en seraient vraiment à gratter le fond du tonneau. »

Sept

La flottille syndic n’avait pas réagi dès le début au changement de cap de la flotte de l’Alliance, mais, au bout de dix heures, elle s’était détournée du point de saut pour Mandalon en même temps qu’elle décélérait. « Leur envie de nous voir les pourchasser ne pouvait guère être plus transparente », fit remarquer Geary.

Desjani fit la moue. « C’est plutôt une provocation. Vous n’en avez pas l’impression ?

— Trop flagrant.

— Peut-être à vos yeux. » Elle secoua la tête, comme plongée dans le passé. « Pour vous, une telle manœuvre correspond à une tactique logique de repositionnement. Mais nous avons l’habitude de charger droit sur l’ennemi dès que nous le voyons et vice-versa. Vous n’avez pas vraiment compris que vos manœuvres tendaient à rendre les Syndics cinglés, pas vrai ? Parce que la partie n’est pas censée se jouer ainsi. Et maintenant les Syndics nous renvoient la balle. “Nous voilà ! Essayez donc de nous rattraper et de nous dégommer !” Ils espèrent nous rendre aussi furieux qu’ils le seraient eux-mêmes et nous voir foncer sur eux pour les contraindre à nous livrer une bataille correcte. »

Geary n’avait jamais considéré jusque-là qu’il pouvait exister une manière correcte ou incorrecte de combattre ; pour lui, il n’y avait que des méthodes stupides ou futées. En temps de paix, la doctrine ou le commandant en chef du moment exigeaient parfois de pures inepties, mais toujours en sous-entendant, voire en déclarant ouvertement qu’on ne procéderait pas de cette façon en combat réel. Peut-être était-il plus facile, en temps de paix, de voir ce qui était intelligent et ce qui ne l’était pas, ou peut-être le distinguo semblait-il simplement plus aisé parce qu’il n’y avait ni combat réel ni vies humaines en jeu. « Il me reste encore beaucoup à apprendre, j’imagine. » Desjani réussit à afficher une mine sceptique mais empreinte de déférence pendant que Geary poursuivait : « Quoi qu’il en soit, que nous nous lancions ou non à leurs trousses, ça n’y changerait pas grand-chose. Nous sommes trop loin d’un point de saut pour les rejoindre avant qu’ils ne sautent pour Mandalon. »

Desjani se massa la nuque puis entra une série de manœuvres dans le système. « La flottille syndic se trouve tout juste à deux heures-lumière de nous. Théoriquement, il nous serait possible, à condition de démarrer sur-le-champ, de piquer sur le point de saut pour Tremandir comme des chauves-souris sorties de l’enfer et de sauter à temps, en tenant compte de tous les délais qui s’imposeraient aux dirigeants syndics stationnant près du point de saut de Mandalon avant qu’ils ne nous voient adopter cette trajectoire et n’envoient à leur flottille l’ordre d’accélérer au maximum vers le point de saut pour Mandalon afin de s’y rendre le plus vite possible, du temps que cette flottille mettrait à l’atteindre, de celui qu’exigerait leur signal pour arriver ensuite jusqu’au portail de l’hypernet puis de celui que mettrait l’onde de choc à nous rattraper. Je ne parierais pas ma vie là-dessus, mais les dirigeants syndics cherchent peut-être à avoir la certitude absolue qu’ils réussiront à faire sauter leur flottille hors de ce système lorsqu’ils provoqueront l’effondrement du portail, tout en nous interdisant toute chance d’en réchapper. »

Geary traça quelques trajectoires à travers le système stellaire et comprit ce que voulait dire Desjani. « En traquant cette flottille, nous retournerions vers les dirigeants syndics et nous réduirions ainsi le délai entre nos manœuvres et le moment où ils les verraient, tout en nous rapprochant sensiblement du portail et en diminuant aussi le parcours de l’onde de choc. D’où moins d’incertitudes pour eux, même si chaque minute ne rapprochait pas leur flottille de la sécurité. » Une autre idée lui vint. « Ce sont en majorité des politiciens mais, pour décider du moment précis de l’effondrement du portail, ils doivent apprendre à réfléchir en militaires. »

La réflexion arracha un sourire à Desjani. « Et ils vont probablement foirer. » Son sourire s’évanouit aussi vite qu’il lui était venu. « S’ils merdaient dans le mauvais sens, ça pourrait nous coûter très cher.

— Ouais. » Costa occupait pour le moment le fauteuil de l’observateur, mais elle donnait l’impression de somnoler. Plutôt que de déranger la sénatrice, Geary enfonça une touche des communications. « Madame la coprésidente, j’aimerais avoir le point de vue d’un politique sur une certaine question. »

Rione écouta son exposé puis haussa les épaules. « Ça pourrait se décider dans un sens comme dans l’autre, amiral. Un politique risquerait sans doute d’hésiter trop longtemps avant de déclencher ce piège, dans l’espoir que la situation prenne une tournure de plus en plus favorable au succès. J’aurais moi-même tendance à regarder cette option comme la plus vraisemblable parce qu’ils doivent se sentir en sécurité dans leur cuirassé et qu’il leur reste toujours la possibilité de sauter à tout moment vers un autre système stellaire. Mais ils peuvent aussi prendre peur et déclencher prématurément leur attaque. Ça dépendra en grande partie de ce que leur diront leurs conseillers militaires.

— Que pourraient-ils leur dire, selon vous ?

— Ce que leurs supérieurs aimeraient entendre et ce qu’ils croient qu’ils en attendent. » L’image de Rione embrassa la passerelle d’un geste large. « Voyez ce que ce commandant syndic que nous avons embarqué a tenté lui-même de vous servir. Il ne vous a dit que ce qui, selon lui, vous inciterait à réagir d’une certaine façon, tout en s’efforçant au mieux de vous cacher le reste. Je peux vous garantir que notre hôte agit autant par habitude que par calcul. »

Geary réfléchit en se frottant le menton. « Nous n’avons aucun moyen de savoir ce que le commandant du cuirassé qui héberge les dirigeants syndics attend d’eux. Auriez-vous une petite idée de ce qu’il peut leur raconter ? »

Au tour de Rione de ruminer, le front plissé et la bouche en cul de poule. « À mon avis, pour ce qu’il vaut, il la joue aussi abruptement que possible pour prouver sa loyauté indéfectible et se faire pardonner d’avoir laissé s’échapper cette flotte la dernière fois qu’il l’a affrontée.

— Croyez-vous qu’il soit informé de leur projet de faire s’effondrer le portail ? »

Rione eut un ricanement de dérision. « L’en informeriez-vous, vous ? À tout le moins, il pourrait toujours tenter de troquer ce renseignement avec vous ou un autre commandant en chef syndic pour vendre ses dirigeants actuels. Mais, même s’il faisait une chose pareille, nous ne pourrions pas nous fier à lui.

— Parce qu’il a fait assassiner l’amiral Bloch et les autres émissaires de l’Alliance ? »

Rione secoua la tête avec agacement. « Parce qu’il aspire désespérément à vous vaincre. À battre Black Jack Geary, l’homme qui lui a confisqué sa brillante victoire. Sans vous, il serait peut-être à l’heure actuelle l’un de ces dirigeants syndics. »