Sakaï hocha la tête. « Les petits jeux politiques syndics, voulez-vous dire, amiral ?
— En effet. » Sympa de constater que Sakaï pouvait avoir le sens de l’humour. Geary contrôla le système de manœuvre puis appela la flotte. « À toutes les unités de la principale formation de l’Alliance. Virez de treize degrés sur tribord et de deux degrés vers le haut, et accélérez à 0,1 c à T quarante et un. »
Autre canal. « Capitaine Duellos, le corps principal de la flotte se dirige vers une interception avec le cuirassé syndic venant du point de saut pour Mandalon. »
À T cinquante et un, Desjani ordonna à l’Indomptable d’altérer sa trajectoire et sa vélocité puis étouffa un bâillement. « Encore au moins un jour, voire un jour et demi avant que nous ne rencontrions ce cuirassé. Je crois que je vais aller me reposer.
— Excellente idée. » Maintenant que la décision avait été prise, la tension sur la passerelle était spectaculairement retombée. C’était absurde, puisqu’il venait d’ordonner à la flotte de l’Alliance de quitter son havre, pourtant il éprouvait la même sensation de soulagement. « Peut-être vais-je moi aussi pouvoir trouver le sommeil à présent.
— Faites vite, en ce cas, suggéra Desjani. Nous risquons d’avoir des nouvelles de la planète dans la demi-heure qui suit.
— Je peux m’en accommoder. »
De fait, il se produisit quelque chose dans les dix minutes suivantes. Geary n’avait pas atteint sa cabine qu’une notification urgente lui parvenait de l’officier des transmissions de l’Indomptable. « Amiral, nous recevons un message du cuirassé syndic. »
Cette fois, l’image n’était pas celle d’un commandant en chef mais d’un autre officier à la mine sévère, autrement indéchiffrable. « À la flotte de l’Alliance. Sachez que ce cuirassé et les croiseurs lourds qui l’escortent répondent aux ordres du nouveau Conseil exécutif des Mondes syndiqués. Nous sommes en train de reconduire sur Prime, la deuxième planète à partir de notre étoile, les membres de l’ancien Conseil exécutif. Ils n’ont accès à aucun dispositif de communications ou de transmission. Nous… » Le Syndic dut ostensiblement prendre sur lui pour continuer. « Nous vous prions d’éviter d’intervenir dans notre transit. »
Sans doute lui avait-il été pénible d’envoyer ce message, mais il avait probablement été émis avant que le cuirassé syndic rebelle n’ait vu la flottille faire demi-tour pour l’intercepter. Y aurait-il un suivi ? Le cuirassé allait-il supplier la flotte de l’Alliance de l’épauler contre la flottille syndic ? Ce second message risquait d’être encore plus douloureux.
Geary y réfléchissait encore, tout comme à la manière dont il lui faudrait formuler ses ordres, quand l’officier des transmissions annonça un nouveau message entrant, provenant celui-là de la principale planète habitée.
Geary vit un rassemblement de hauts dignitaires syndics, apparemment debout sur une pelouse à ciel ouvert (ciel au demeurant d’un superbe bleu azur) entre des bâtiments de plain-pied. Tous portaient le sempiternel uniforme impeccablement coupé, mais, pour une fois, ils avaient rengainé le sourire factice de rigueur et affichaient le plus grand sérieux. « À l’amiral Geary et aux représentants du Grand Conseil de l’Alliance. Nous sommes les membres du nouveau Conseil exécutif des Mondes syndiqués, les présenta l’un d’eux. Nous avons étudié vos propositions et nous souhaitons sérieusement entamer des négociations en vue de les adopter pour mettre un terme aux hostilités. Nous avons ordonné aux forces fixes et mobiles de ce système de cesser toute action offensive et nous vous prions de suspendre à votre tour toute agression à l’encontre des populations et unités des Mondes syndiqués qui ont reconnu notre autorité. »
L’homme s’appliqua à donner à ses paroles suivantes une plus grande sincérité. « Le programme chargé de détourner ce que vous appelez le dispositif de sauvegarde de son propos premier a été désactivé. Le portail de l’hypernet ne peut plus servir désormais à détruire ce système stellaire ni votre flotte. Nous pouvons comprendre vos raisons de douter de la sincérité des déclarations de dirigeants des Mondes syndiqués. Notre siège se trouve à la surface de notre planète. Nous y resterons en tant qu’otages volontaires en attendant votre réponse, afin de prouver notre bonne foi. Votre flotte est désormais à l’abri. »
Prometteur. L’ébranlement de la flotte avait bel et bien déclenché une réaction.
Une image de Rione apparut à l’écran. « J’ai visionné leur message. Nous n’avons aucune certitude quant à la localisation de leur siège en surface. Ils pourraient tout aussi bien se trouver dans une salle de simulation enfouie profondément sous terre. Mais l’analyse à laquelle je viens de procéder m’apprend qu’un site, même très profondément enterré, n’aurait aucune chance de survivre à la décharge d’énergie maximisée consécutive à l’effondrement du portail. Les Syndics sont peut-être enclins à la duplicité, mais leurs ingénieurs valent les nôtres. Ils le savent aussi.
— Vous essayez de me dire qu’on peut leur faire confiance ?
— Autant qu’on puisse se fier à un Syndic. Il n’y a aucune raison de croire qu’ils ont un sens moral plus développé ou sont moins nombrilistes que ceux qu’ils ont remplacés. En l’occurrence, pour ce qui nous concerne, leur survie personnelle coïncide merveilleusement avec leurs intérêts matériels. Ils devaient désactiver ce programme pour sauver leur propre peau. » Rione adopta une attitude plus officielle. « Amiral Geary, je demande l’autorisation, pour les représentants du Grand Conseil de l’Alliance, d’entamer des pourparlers avec les membres du nouveau Conseil exécutif des Mondes syndiqués.
— Accordée.
— Si je sais lire entre les lignes, la flottille syndic ne reconnaît toujours pas son autorité. Je m’attends à ce que le nouveau Conseil nous demande de défendre sa planète contre sa propre flottille. Comment dois-je répondre à cette requête, amiral ? »
La migraine de Geary menaçait à nouveau de poindre. « La flotte de l’Alliance engagera le combat avec toute force hostile de ce système stellaire. »
Rione se fendit d’un autre sourire. « Parfait. Suffisamment flou tout en restant ferme. Ça devrait pallier toutes les éventualités. Je vais rassembler Costa et Sakaï et établir une liaison avec les Syndics.
— Quant à moi, je compte garder le même cap de façon à opérer la jonction avec le détachement Un et à intercepter tant ce cuirassé que la flottille. Si tout le monde maintient la même trajectoire, vous aurez un peu moins de vingt-trois heures pour résoudre les problèmes. Si vous n’y êtes pas parvenus d’ici là, la flottille devra prendre le parti de fuir ou de se faire pilonner.
— Je tâcherai de m’en souvenir, amiral. Et vous, ne perdez pas de vue que nous n’avons plus besoin de l’ancien Conseil exécutif détenu sur ce cuirassé. Tant que ces gens-là resteront en vie, ils représenteront une menace pour les négociations.
— Je m’en souviendrai. » Geary se demanda si sa voix était aussi glaciale qu’il en avait l’impression. « Mais je ne les assassinerai pas.
— Je doute que vous puissiez en arriver là, amiral. Les membres de l’ancien Conseil exécutif me semblent sur le point d’être entraînés dans une bataille triangulaire. S’ils y survivent, les officiers de ce cuirassé se chargeront vraisemblablement de les exécuter sur place plutôt que de prendre le risque de les voir revenir au pouvoir, exactement comme ils ont eux-mêmes ordonné naguère à Shalin d’exécuter les officiers de l’Alliance conduits par l’amiral Bloch. » Le sourire de Rione n’était pas moins glacé que le ton de la voix de Geary. « Il arrive parfois aux vivantes étoiles de réagir lentement, mais elles tendent finalement à réserver aux humains un sort assorti à leurs agissements. »