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— Quoi donc ?

— Le vaisseau amiral de la flottille syndic. D’ordinaire, il est pratiquement impossible de l’identifier parce qu’il se dissimule dans le trafic local du réseau, mais les communications de la flottille partent dans tous les sens à l’occasion de luttes intestines, et nous avons pu repérer son vaisseau amiral. C’est ce cuirassé. » Sur l’écran de Geary, un vaisseau syndic passa en surbrillance.

« Fantastique. » Les lèvres de Geary se retroussèrent en un sourire féroce dévoilant ses dents. « Veillons à ne pas le perdre de vue. » Il vérifia de nouveau distances et délais. La bataille en cours, entre la flottille syndic et un cuirassé désormais réduit à l’état d’épave, n’avait pas cessé de se rapprocher de la flotte de l’Alliance, et les ennemis survivants continuaient de progresser sur la même trajectoire à mesure qu’ils choisissaient leur camp. La flotte de l’Alliance arrivant elle aussi à haute vélocité, il ne s’en faudrait plus que de quatre heures pour que les deux forces opèrent le contact.

Duellos était relativement plus proche, mais le détachement Un s’était lancé aux trousses de la flottille, qui fendait toujours le vide à une vitesse légèrement supérieure à 0,1 c. Une heure ou presque s’écoulerait encore avant qu’il ne pût engager une nouvelle passe de tir avec elle.

Devait-il vraiment s’y résoudre ? Geary observa de nouveau la flottille ennemie, au sein de laquelle la confusion continuait de s’étendre. Mais, même si cette formation se retrouvait plongée dans un chaos total, elle n’en resterait pas moins trop coriace pour Duellos. Et son attaque risquait de se solder par le résultat opposé. « Capitaine Duellos, ici l’amiral Geary. Réduisez votre vélocité. Les Syndics de la flottille sont engagés dans d’âpres discussions quant à leur allégeance, et, si vous les frappiez maintenant, votre agression pourrait mettre un terme à ces débats en les liguant contre un ennemi commun. Je veux que vous ralentissiez suffisamment pour être prêt à les prendre de flanc au moment où le corps principal de la flotte fondra sur eux de l’autre bord. Dois-je souligner que cet ordre ne remet nullement en cause la confiance que je porte à vos vaisseaux et à vous-même ? Surveillez attentivement la flottille syndic, et, si jamais une ouverture intéressante s’offre à vous, vous aurez évidemment toute latitude pour attaquer avant que le corps principal n’entre dans l’enveloppe d’engagement. Geary, terminé. »

De nouvelles données lui parvenaient des bâtiments de Duellos, qui n’avaient souffert pour la plupart que de dommages mineurs, ainsi que de l’Agile, lequel était considérablement plus amoché. Geary ravala un juron en lisant le compte rendu détaillé puis appela le Tanuki. « Capitaine Smyth, tenez-vous prêt à envoyer un de vos auxiliaires à l’Agile dès que nous aurons éliminé la menace de la flottille syndic. Je tiens à ce que l’Agile recouvre le plus tôt possible sa capacité de manœuvre. »

Quelques secondes plus tard, il recevait la réponse de Smyth : « J’ai bien compris que vous teniez à ce que l’Agile retrouve incessamment son agilité. Je lui enverrai le Sorcière, amiral, mais les données transmises par ce bâtiment sur ses dommages structurels ne me plaisent guère. Peut-être sont-ils si graves qu’aucun de mes auxiliaires ne sera en mesure de les réparer.

— Compris. » Geary se rejeta en arrière dans son fauteuil et fixa l’hologramme d’un œil noir. « On devrait envoyer au casse-pipe, à bord d’un de ces bâtiments conçus en dépit du bon sens, les gens qui donnent leur approbation à leur fabrication. »

Desjani fit la moue. « Si l’Agile a été si grièvement touché, c’est à cause du comportement d’un de nos commandants.

— Nous ne savons toujours pas pourquoi l’Adroit a changé de cap.

— Nous ne recevons pas d’informations sur son état ?

— Si.

— Aucune ne signale de problèmes dans ses systèmes de manœuvre ?

— Aucune. Ce changement de cap est la conséquence d’un ordre entré par le navigateur. J’ignore pourquoi on l’a donné.

— Est-ce si important ? » Desjani s’interrompit une seconde puis reprit plus posément : « J’ai lu des comptes rendus sur Beowulf et les autres campagnes récentes de Kattnig, et je me suis demandé pourquoi un officier ayant livré des combats aussi durs et sanglants se comporterait comme un enseigne de vaisseau frais émoulu qui dévide des rodomontades parce qu’il n’est pas certain, en son for intérieur, de la manière dont il réagira à son baptême du feu.

— Pareil pour moi. On croirait deux personnes différentes.

— Peut-être n’est-il plus le même officier ? poursuivit Desjani d’une voix sourde. Peut-être a-t-il vu trop de sang et perdu trop de vaisseaux. Peut-être Beowulf a-t-il été le carnage de trop et Kattnig a-t-il fini par craquer. Ce sont des choses qui arrivent. »

Geary la dévisagea. « Je croyais le personnel médical de la flotte capable de déceler ces symptômes.

— Pas toujours. C’est exactement comme une cellule d’interrogatoire, qui peut tout juste vous dire si l’individu cuisiné croit sincèrement à ce qu’il dit. S’il parvient à se convaincre qu’il parle vrai, c’est effectivement ce qui apparaît. » Elle secoua la tête. « Peut-être Kattnig ne le savait-il pas vraiment, peut-être a-t-il simplement cru qu’il avait perdu son sang-froid. Toujours est-il qu’un vaisseau au moins a été détruit à cause de sa réaction. Voire deux.

— Nous ignorons toujours… » Geary détourna les yeux.

« Le capitaine Duellos jouit d’une autorité tactique provisoire sur l’Adroit, mais il ne peut ni relever Kattnig de son commandement ni ordonner qu’on le place en isolement préventif. Vous si. Vous devez le faire sur-le-champ. »

La tête de Geary pivota brutalement et il fixa Desjani. « Cet ordre mettrait une heure à les atteindre. Pourquoi êtes-vous si pressée de piétiner Kattnig ? Cet homme a des états de service époustouflants. Le personnel médical de la flotte l’a jugé apte.

— Il avait des états de service époustouflants, rectifia-t-elle. S’il était au bout du rouleau, c’était à lui de s’en apercevoir avant que ça ne coûte des vies.

— Aux yeux de la plupart des gens, le relever maintenant de ses fonctions reviendrait à l’accuser de couardise devant l’ennemi ! Pourquoi êtes-vous si avide de descendre en flammes un homme qui a tant donné à l’Alliance ? » s’échauffa Geary.

Les yeux de Desjani flamboyèrent et, le visage écarlate, elle se pencha légèrement pour entrer dans le champ d’intimité de Geary. « Cet homme est d’ores et déjà anéanti, amiral Geary, chuchota-t-elle férocement. Vous savez comment est cette flotte. Vous connaissez notre façon de penser. Pourquoi ne comprenez-vous pas une chose aussi fondamentale ? Kattnig s’est publiquement déshonoré. Il a refusé le combat. Des officiers et des spatiaux ont trouvé la mort à cause de ses décisions. Mais ce n’est pas comme Numos un crétin arrogant et inconscient. Il sait quel destin l’attend. Que ferait un homme honorable face à un tel sort ? Un homme déjà acculé, poussé dans ses derniers retranchements ? »

Il comprit enfin ce qu’elle sous-entendait. « C’est pour le protéger contre lui-même qu’il faut le relever et le mettre aux arrêts ?

— Oui, amiral Geary. Et vous feriez bien de ne plus jamais suggérer que je pourrais chercher à saborder un bon officier ! » Elle se redressa brutalement, sortant de son champ d’intimité, et fixa son écran d’un œil courroucé.

Geary s’efforça de s’apaiser puis appela l’Adroit : « Le capitaine Kattnig est immédiatement relevé de son autorité et devra être placé en isolement préventif. Le second de l’Adroit assumera provisoirement, jusqu’à nouvel ordre, le commandement de ce bâtiment. » Il mit fin à la transmission et grinça des dents. « Je vous demande pardon, capitaine Desjani. Je n’aurais jamais dû dire cela. Vous accuser d’un tel forfait était aussi indigne qu’injustifié de ma part, compte tenu de tout ce que je sais de vous. »