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Rione la dévisagea. « Il me semble me rappeler que quelqu’un avait suggéré de se servir comme d’une arme des portails de l’hypernet malgré la dévastation qu’ils pouvaient provoquer. Les ex-dirigeants syndics ont pris cette décision. Si ces extraterrestres se révélaient des êtres humains, ça ne m’apporterait aucun réconfort. »

Costa piqua un fard, mais elle reporta son attention sur Geary. « Eh bien, amiral, que comptez-vous faire ? »

Je devrais me féliciter de n’avoir jamais pris d’engagement politique. En guise de réponse, Geary se borna à embrasser d’un geste l’ultimatum et l’hologramme des étoiles. « Avant de prendre une décision, je veux m’entretenir avec mes officiers. » Il s’apprêta à se lever puis s’adressa de nouveau à Boyens. « Avez-vous autre chose à nous dire ? Plus j’en saurai, plus je serai enclin à me porter à la rescousse de ces gens.

— De mon peuple, marmonna Boyens. Je vous ai dit tout ce que je savais. Sauf une chose. Vous nous avez accusés d’avoir provoqué l’espèce Énigma, d’être responsable de son hostilité envers l’espèce humaine. Je vous ai rappelé que je ne savais rien du comportement des Mondes syndiqués à leur égard lors des premières décennies qui ont suivi le contact, et c’est la stricte vérité. Mais, au cours des dix dernières années au moins, nos ordres étaient d’éviter toute action risquant de les exciter, d’accroître la tension ou de causer des problèmes. J’ai toujours cru que c’était parce que nous ne pouvions pas nous permettre de combattre sur deux fronts en même temps. Il y avait sans doute une autre raison. Mais nous n’avons rien fait depuis beau temps.

— Peut-être ces extraterrestres n’ont-ils pas la mémoire courte », suggéra Sakaï.

Boyens le dévisagea puis opina. « Peut-être. Je ne jurerais pas qu’il ne s’est rien passé. Mais je n’étais au courant de rien. De rien de récent, en tout cas.

— Certaines activités sont compartimentées, fit remarquer Rione. Tenues secrètes même de ceux qui opèrent dans la même région. En auriez-vous eu vent ? »

Geary lut l’indécision dans le regard de Boyens. Nul besoin d’une cellule d’interrogatoire pour comprendre que le commandant en chef syndic se demandait s’il devait mentir ou dire la vérité. « Non. Pas forcément. Mais qui y aurait eu intérêt ?

— Pourquoi les Mondes syndiqués sont-ils entrés en guerre avec l’Alliance ? » demanda Geary.

Boyens chercha ses yeux. « Je n’en sais rien. Ils s’imaginaient sans doute pouvoir la gagner. J’ignore ce qui a bien pu le leur faire croire.

— On a sûrement émis des hypothèses sur ces motifs parmi vos collègues, avança Rione.

— Pas tant que ça. Peu importe. Peu importait, à tout le moins. Ça n’avait d’importance qu’il y a un siècle, quand ils ont pris la décision stupide de déclencher cette guerre. Quand nous en parlions, c’est à peu près tout ce que nous en disions. Qu’elle était stupide. Mais les raisons de son déclenchement ont cessé depuis longtemps de peser dans la balance. Nous vivions avec cette malédiction et voilà tout. Et nul ne savait comment y mettre fin. » Boyens baissa la tête, mais pas assez vite pour interdire à ses interlocuteurs de voir son affliction. « Croyez-moi, beaucoup d’entre nous auraient aimé y mettre un terme, mais, comme nous ne savions pas comment nous y prendre, nous devions continuer de nous battre.

— Merci. Général, veuillez ordonner à vos fusiliers de reconduire le commandant en chef Boyens dans sa cabine. » Rione attendit pour soupirer que Boyens fût sorti avec son escorte. « Je pense qu’il faudrait nous porter à la rescousse de l’ancienne frontière syndic. Si nous la laissons s’effriter et permettons aux extraterrestres de s’établir dans de nombreux autres systèmes syndics, l’Alliance n’aura peut-être plus les moyens d’y remédier. »

Sakaï hocha la tête. « C’est aussi mon avis.

— Mais pas le mien, déclara Costa. Nous avons assez versé de notre sang à cause des Syndics. Ils se sont fourrés dans cette mauvaise passe. À eux de s’en sortir.

— Et s’ils échouaient ? demanda Sakaï. L’Alliance ne se retrouvera-t-elle pas contrainte d’affronter tôt ou tard les conséquences de cet échec ?

— Les Syndics nous ont tenus à distance pendant un siècle, répondit-elle. S’ils tiennent vraiment à affronter ces extraterrestres, qu’ils le fassent eux-mêmes au lieu de nous demander de nettoyer leur foutoir. Nous avons suffisamment perdu d’hommes et de femmes dans cette guerre, sans même parler des enfants. L’Alliance est au bord de la banqueroute. Nous l’y avons conduite parce que c’était nécessaire. Nous n’avons pas à intervenir dans une querelle entre les Syndics et une espèce extraterrestre dont nous ignorons tout, tant ses motivations que sa force. Rien ne nous oblige à prendre stupidement la décision de déclencher une nouvelle guerre. » L’allusion était trop claire pour qu’elle échappât à ses interlocuteurs.

« Si nous prenions aujourd’hui celle de ne pas gagner ce système stellaire frontalier, nous nous priverions simultanément de toutes les possibilités d’en finir avec les extraterrestres, déclara Rione. Nous ne serions plus en mesure d’établir un contact direct avec eux sans l’agrément des Syndics. Nous rendre à Mitan, en revanche, nous laisserait entièrement libres de décider de la suite. Ne pas y aller reviendrait à laisser le champ libre aux Syndics et aux extraterrestres, et, personnellement, je ne me fie à aucune de ces deux parties. L’Alliance doit pouvoir s’asseoir à la table.

— Notre seule présence pourrait d’ailleurs éliminer la menace extraterrestre, convint Sakaï. S’ils agissent parce que les Syndics sont affaiblis, une simple démonstration de force devrait suffire à les dissuader.

— Relisez vos manuels d’histoire ! lança Costa. Combien de guerres ont-elles commencé parce que quelqu’un s’imaginait qu’une simple démonstration de force suffirait ?

— Je n’ai pas dit que le problème serait définitivement résolu. Mais que c’était une façon de l’aborder. Sinon il restera toujours des alternatives au combat.

— Croyez-vous qu’une flotte de l’Alliance reculerait devant une force hostile ?

— Tout dépend de qui la commande, affirma Rione. L’amiral Geary n’a pas exposé ses idées mais il est désormais informé de nos positions respectives. Je suggère que nous lui laissions le temps de réfléchir à nos options et de consulter ses conseillers. »

Elle adressa un signe de tête à Geary, aussitôt imitée par Sakaï puis, au bout d’un petit moment, par une Costa visiblement réticente.

Geary leur rendit courtoisement la politesse, non sans s’efforcer de masquer ses sentiments. Il lui semblait déjà qu’envoyer la flotte à Mitan était une nécessité, mais il tenait à s’entretenir avec ses officiers avant de prendre la décision ; en outre, il savait qu’il devait soulever une autre question. « Les Syndics ont-ils fourni des indices quant à l’identité de ceux qui ont ordonné au portail de s’effondrer ? »

Sakaï secoua la tête. « Ils ont prétendu l’ignorer et affirment qu’il n’existe aucune trace de cet ordre dans leurs systèmes ; et encore moins de sa provenance. Pas même de la flottille syndic avant sa destruction.

— Qui d’autre aurait bien pu tenter d’anéantir la flotte ? s’enquit Costa.

— Il me semble que nous venons justement d’en parler, sénatrice, déclara Geary. Un portail de l’hypernet s’effondre alors qu’on ne trouve aucun signe de l’envoi d’un tel ordre. Ce n’est pas une première. Ç’aurait pu se produire ici, avant qu’on ait désactivé les algorithmes chargés de provoquer cette catastrophe. On m’a confirmé que les systèmes syndics étaient infestés de virus extraterrestres. Ils ont sans doute prévenu l’espèce “Énigma” de notre présence, mais pas assez vite, heureusement, pour lui permettre de déclencher l’effondrement du portail avant cette désactivation.