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— Seriez-vous timbré ? le coupa la femme qu’on appelait Suva. Vous avez vu ce que son portail a fait à Lakota.

— Mais nous pourrions gagner la guerre », admit avec réticence la sénatrice lourdement charpentée.

Geary les sentait vaciller, exactement comme l’avaient prédit Rione, ses plus fidèles officiers et lui-même. Confrontés à une arme inhumaine mais qui leur offrait le moyen de mettre un terme à une guerre de cent ans, les dirigeants de l’Alliance envisageaient sérieusement de déclencher des novæ dans les systèmes stellaires colonisés par leurs semblables. Mais Rione le devança avant qu’il eût ouvert la bouche : « Non, cette arme ne le pourrait pas. Les Syndics savent comme nous que leurs portails peuvent s’effondrer et ils auront certainement déjà installé leurs propres dispositifs de sauvegarde.

— Certainement ? lui demanda un autre sénateur.

— Oui, répondit platement Rione. Nous savons qu’ils s’en sont pourvus.

— Je suis contraint d’ajouter que je préférerais démissionner que d’obéir à l’ordre de déclencher l’effondrement d’un portail de l’hypernet ennemi afin de rayer entièrement son système stellaire des cartes célestes », déclara Geary.

Navarro secoua la tête. « Démissionner ? Vous ne vous contenteriez pas d’un refus d’obéissance ?

— Refuser d’obéir à un ordre licite n’est pas une option prévue par le règlement de la flotte de l’Alliance, monsieur. D’autre part, j’aimerais vous rappeler que l’effondrement d’un portail exige, pour détruire ses torons, la présence de vaisseaux à proximité. La perte de ces bâtiments serait inéluctable.

— Une mission suicide, lâcha Navarro.

— Mais songez à ce qu’elle nous rapporterait ! insista un autre sénateur. La population et les forces armées de l’Alliance attendent que nous prenions des décisions qui nous permettraient de gagner cette guerre, si rudes fussent-elles ! Si cela implique d’utiliser comme armes les portails de l’hypernet syndic, même au prix de quelques-uns de nos vaisseaux…

— Ils attendent que nous fassions preuve d’un peu de sagesse quand nous prenons des décisions qui pourraient avoir un coût élevé en vies humaines, rétorqua Navarro. Vous êtes libre de trouver ardue celle d’envoyer des gens à la mort, mais je suis fermement convaincu que c’est encore plus difficile pour ceux qui meurent.

— Il faut que nous vainquions ! Certains d’entre nous ne tiennent peut-être pas à remporter la victoire mais…

— Rien ne justifie qu’on porte de telles accusations contre un membre du Grand Conseil ! aboya un autre sénateur.

— Aucune preuve tangible peut-être… insinua un autre.

— Je me demande si l’Alliance ne se porterait pas mieux si ses fusiliers avaient suivi jusqu’ici le capitaine Geary », lâcha le sénateur Navarro, dont la voix tranchante interrompit la discussion. Dans le silence stupéfait qui suivit, il fixa tour à tour chacun des sénateurs, le regard dur. « Nous pourrions certes l’emporter en balayant des systèmes stellaires habités, reprit-il. Mais à quel prix ? À quel prix pour l’humanité ? »

Les sénateurs se regardèrent, mais aucun ne semblait avoir une réponse toute faite à cette question. Navarro finit par hausser les épaules. « Il semble que l’emploi des portails de l’hypernet comme armes ne soit plus une option pour personne, de sorte qu’il n’est nullement nécessaire d’en débattre ni d’en décider, reprit-il. En ce qui me concerne, je remercie mes ancêtres de n’avoir pas à prendre une telle décision, et les vivantes étoiles de ce qu’une telle menace à notre encontre soit écartée. » Il s’accorda une pause et son regard se reporta sur Geary. « J’ai la conviction que la connaissance de la menace posée par les portails et de leur usage potentiel à des fins belliqueuses pourrait octroyer un avantage irrésistible à quiconque envisagerait de faire main basse sur le gouvernement de l’Alliance ou d’exploiter l’hystérie collective soulevée par l’effondrement de portails de l’hypernet dans son espace. Mais vous avez préféré nous livrer cette connaissance.

— Il ne lui est jamais venu à l’idée de faire autrement, fit observer Rione. Le capitaine Geary ressent le besoin de présenter ces options aux politiques que vous êtes, mais, fort heureusement, il méprise de telles possibilités.

— Fort heureusement, en effet, convint Navarro d’une voix sèche. Il va me falloir remercier mes ancêtres ce soir. Vous auriez aussi bien pu garder pour vous cette clé de l’hypernet syndic, puisqu’elle confère un tel avantage stratégique à toute force de l’Alliance. Vous auriez pu vous rendre indispensable, capitaine. »

Geary se demanda jusqu’à quel point sa réaction avait sauté aux yeux : « C’est la dernière chose que je souhaite, monsieur.

— Certains y verraient la garantie de la sécurité de leur emploi, capitaine Geary. Poursuivez, je vous prie. »

De fait, il n’y avait plus grand-chose à ajouter. Geary narra brièvement les derniers combats jusqu’à cet engagement final à Varandal au retour de la flotte dans l’espace de l’Alliance.

« Vous êtes certain que les Syndics envisageaient de provoquer l’effondrement de notre portail pour venger celui de Kalixa ? demanda la femme lourdement charpentée.

— C’est notre conclusion la plus crédible, madame la sénatrice, et elle reste cohérente avec les initiatives prises par les Syndics durant cette période. J’aimerais ajouter que la vaillante défense de Varandal par le personnel et les vaisseaux de l’Alliance, avant comme après notre retour, a probablement largement contribué à déjouer leur plan. »

Navarro se tourna vers l’amiral Timbal : « Que nous en disent les prisonniers des bâtiments syndics détruits ici ? Ils appartenaient bien à la flottille de réserve, n’est-ce pas ? »

Timbal pinça les lèvres en réfléchissant à sa réponse : « La plupart ne semblent strictement rien savoir, pas même pourquoi ils étaient cantonnés le long d’une frontière si éloignée de l’Alliance. Apparemment, des rumeurs auraient couru à propos d’un ennemi mystérieux, mais le plus clair de leur personnel ne sait rien de précis. Interrogés, quelques-uns des prisonniers les plus hauts gradés ont effectivement révélé qu’ils comptaient provoquer l’effondrement du portail de Varandal en représailles de la catastrophe de Kalixa. Ils ont aussi trahi leur connaissance de la présence d’une espèce intelligente non humaine de l’autre côté de l’espace syndic. Nous avons pu confirmer que leur mission était bel et bien de défendre leur frontière contre cette espèce. Mais ils ne semblent en revanche connaître aucun détail précis sur ces extraterrestres, rien en tout cas que nous soyons en mesure de leur faire avouer par la force ni la ruse.

— Mais ils ont effectivement confirmé l’existence de cette espèce ? s’enquit un autre sénateur.

— Oui, monsieur, en effet. C’est en tout cas ce que leurs ondes cérébrales ont révélé en réaction à nos questions.

— Et cette espèce serait hostile ? »

Timbal hésita une seconde : « Les prisonniers syndics n’ont rien voulu dire, mais ces extraterrestres les inquiétaient visiblement. » Il jeta à Geary un regard assorti d’un sourire pincé. « Que les Syndics maintiennent la présence d’une puissante force spatiale si loin de l’Alliance me semble prouver clairement qu’ils se méfient d’eux. »

La sénatrice Suva secoua la tête : « Pourquoi les interrogatoires antérieurs n’en ont-ils jamais révélé l’existence ? Nous avions déjà capturé des officiers supérieurs, n’est-ce pas ?