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Geary pouvait soit faire sauter la flotte vers Mandalon, soit lui faire regagner Zevos et partir de ce dernier système puisqu’il était doté d’un portail. Bien que l’Alliance et les Mondes syndiqués fussent désormais officiellement et techniquement en paix, il se sentait encore dans la peau d’un occupant quand il la conduisit vers le point de saut, conscient que tous les hommes, femmes et enfants qui vivaient dans ce système la craignaient et se méfiaient d’elle.

Si le regard malveillant des Syndics dérangeait Desjani, elle ne le montrait pas. « Retour à Zevos par l’espace du saut puis droit à Mitan par l’hypernet. Si l’on se fie aux données syndics, nous pouvons encore la jouer fine et arriver là-bas la veille de l’expiration de l’ultimatum.

— Je ne crois pas que les Syndics s’en plaindront.

— Ils n’ont pas intérêt. »

Geary appela Carabali. « Général, je voudrais m’assurer que nous avons bien débarqué tous nos invités syndics récupérés par vos fusiliers sur leurs épaves.

— Tous ont été escortés vers des capsules de survie remises en état et larguées vers des sites sûrs, affirma Carabali. La base de données de la flotte rapporte qu’il restait un Syndic à bord de l’Indomptable, mais j’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un cas particulier.

— En effet, général. Nous ramenons chez lui le commandant en chef Boyens.

— Qu’en est-il de nos prisonniers de guerre dans ce système, amiral ? Eux aussi veulent certainement rentrer chez eux.

— Je ne veux pas les embarquer maintenant, expliqua Geary. Nos bâtiments seraient surpeuplés et, si nous devions combattre les extraterrestres, il serait stupide de leur faire courir les risques d’une bataille. Dès que nous en aurons fini avec eux à Mitan, nous repasserons par ici pour reprendre nos prisonniers de guerre aux Syndics et les ramener chez nous. Je me suis entretenu avec leurs plus hauts gradés pour leur expliquer ma démarche, et les nouveaux dirigeants syndics savent qu’ils ont tout intérêt à choyer nos gens avant notre retour. » Geary sourit. « Je leur ai personnellement promis qu’en cas de mauvais traitements ils recevraient individuellement la visite des fusiliers de l’Alliance. »

Carabali éclata de rire, pour la première fois depuis que Geary la connaissait.

Deux semaines et demie plus tard, la flotte de l’Alliance surgissait du portail de l’hypernet de Mitan ; jamais un de ses vaisseaux ne s’était aventuré aussi loin. Certes, ils disposaient de cartes de cette région de l’espace, mais aucun ne s’était attendu à croiser dans ces confins.

Les interminables files de transports de passagers équipés de modules de survie supplémentaires furent les toutes premières choses que repérèrent les senseurs de la flotte ; elles s’étiraient en longues paraboles depuis les planètes habitées jusqu’au portail de l’hypernet et aux points de saut menant à d’autres systèmes colonisés par l’homme. Mais tous les signes en provenance de ces planètes semblaient confirmer que la majeure partie de leur population y restait confinée, infoutue qu’elle était de les évacuer avant la date d’expiration de l’ultimatum extraterrestre.

On apercevait aussi des bâtiments de guerre syndics, mais ils n’étaient guère nombreux. Une petite flottille orbitait à cinq heures-lumière de la flotte. « Six croiseurs lourds, quatre croiseurs légers et quinze avisos, annonça Desjani. C’est sans doute tout ce qu’ils ont réussi à gratter dans cette région.

— Capitaine ? appela la vigie des opérations. Quelques-uns de ces vaisseaux montrent par certains signes qu’ils ne sont pas entièrement équipés. À croire qu’ils étaient encore en chantier quand on les a envoyés ici précipitamment, avant même qu’ils soient achevés.

— En ce cas, leur équipage ne vaudra sans doute pas un pet de lapin. Sous-entraîné et inexpérimenté. » Desjani lança à Geary un regard implorant. « Les dégommer serait un jeu d’enfant. »

Il arqua un sourcil. « Je croyais que vous préfériez les combats à la loyale ?

— Euh… oui. Peu importe, d’ailleurs. Nous ne pourrions jamais les rattraper, sauf s’ils nous chargeaient, et je doute qu’ils soient à ce point inexpérimentés.

— Ou suicidaires. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas venus pour ça. » À mesure que la lumière annonçant l’irruption de la flotte se répandrait dans le système stellaire, la panique gagnerait presque aussi vite les files de transports de passagers désarmés et leur cargaison humaine. Geary se composa une contenance puis tapa sur une touche de communication. « Population du système de Mitan, ici l’amiral Geary, commandant en chef de la flotte de l’Alliance. Un traité de paix vient d’être signé entre l’Alliance et les Mondes syndiqués. La guerre est finie. Nous ne sommes pas venus vous attaquer. Mais, à la requête des dirigeants actuels des Mondes syndiqués, pour riposter à toute tentative d’imposer une évacuation de ce système par la force. Je répète, nous sommes là pour repousser toute agression contre ce système. Nous n’entreprendrons aucune action offensive contre des vaisseaux, installations, possessions ou personnes humaines, sauf si l’on nous attaque, auquel cas nous n’agirons que par légitime défense. En l’honneur de nos ancêtres. »

Il mit fin à la transmission puis en activa une autre, un étroit faisceau dirigé sur le centre syndic de contrôle et de commande de la principale planète habitée, là où l’avaient situé les renseignements de Boyens. « Commandant en chef Iceni, ici l’amiral Geary, de la flotte de l’Alliance. Nous sommes ici à la demande de vos nouveaux dirigeants pour vous aider à repousser l’attaque de l’espèce Énigma. Veuillez nous faire parvenir sur-le-champ une réactualisation de la situation et toute information relative à cette espèce dont vous auriez des raisons de croire qu’elle ne nous serait pas déjà accessible. »

Il fit signe à Boyens et celui-ci entra dans le cadre de la transmission. « Vous me connaissez, Gwen. J’ai été capturé lors de la destruction de la flottille de réserve. Elle ne reviendra plus. Elle a été anéantie. Les Mondes syndiqués n’ont rigoureusement rien à vous envoyer, mais ce que vient de dire l’amiral Geary est la stricte vérité. La guerre est finie et l’Alliance a consenti à défendre ce système. L’amiral Geary est un homme d’honneur. On peut lui faire confiance. Travaillez avec lui la main dans la main, je vous prie. Il reste notre seul espoir de sauver ce système et les nombreux autres qu’il nous faudrait évacuer s’il tombait sous la coupe de l’espèce Énigma. »

Boyens recula d’un pas et Geary reprit la parole. « Nous vous prions d’ordonner à votre flottille et vos autres moyens de défense de n’entreprendre aucune action offensive contre nous et, encore une fois, de nous fournir toutes les informations susceptibles de nous aider à défendre ce système. En l’honneur de nos ancêtres. Geary. Terminé. »

Desjani fixait son écran en fronçant les sourcils. « Nous sommes là pour l’instant. Où allons-nous ?

— Je vous recommanderais de prendre cette direction, déclara Boyens en indiquant un secteur de l’hologramme. C’est le côté de l’étoile qui fait face au territoire des extraterrestres. S’ils viennent, ils arriveront de quelque part par là.

— Merci », répondit Geary. Il attendit que Boyens eût été de nouveau raccompagné dans sa cellule pour ordonner à la flotte d’adopter une trajectoire menant à la région suggérée par l’officier syndic.