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Il leur fallut encore patienter, pendant que l’équipage des vaisseaux endommagés poursuivait les réparations et que la flotte dépassait en trombe les transports de passagers syndics bourrés de personnes déplacées qui, sans nul doute, regardaient passer la flotte de l’Alliance partagées entre espoir et crainte.

La réponse syndic leur parvint finalement aussi vite que le permettaient les délais de transmission. « Le commandant en chef Iceni est toujours là », fit observer Rione, de retour sur la passerelle ; elle avait de nouveau minuté son tour de garde alterné avec Costa et Sakaï de manière à être sur place en cas d’événement important. « On peut lui accorder ce mérite, au lieu de s’être trouvé une bonne raison de se faire évacuer la première. »

Desjani marmonna quelques paroles indistinctes. Quelque chose comme : « Pas de cet avis. »

Iceni semblait tout à la fois désorientée et stupéfaite. « Ici le plus haut responsable des Mondes syndiqués présent dans ce système stellaire. Nous n’étions pas informés de la signature d’un traité de paix, mais les documents que vous nous avez transmis et leur authentification semblent incontestables. Rien ne nous avait préparés à votre arrivée. C’est… sans précédent. Mais… nous vous sommes… reconnaissants de votre assistance. Nous n’espérions pas vaincre ni même survivre. Mon état-major est en train de réunir tous les renseignements qui pourraient vous être utiles. Et, avant tout, que les vaisseaux d’Énigma émergeront probablement au point de saut menant à l’étoile que nous connaissons sous le nom de Pelé. J’ai envoyé au commandant en chef de la flottille syndic présente dans ce système l’ordre de vous contacter directement et de n’entreprendre aucune action offensive contre votre flotte à moins que vous ne l’attaquiez. Tous les moyens de défense des Mondes syndiqués ont reçu l’ordre de ne pas engager le combat avec vos bâtiments.

» Je vous serais reconnaissante d’accorder au commandant en chef Boyens la permission de communiquer séparément avec moi.

— Tu peux courir ! » grommela Desjani. Puis son visage s’éclaira : « Nous pourrons surveiller tout ce qu’ils se diront.

— En effet, dit Geary. Pouvez-vous arranger cela, capitaine Desjani ? Veillez à ce que le lieutenant Iger soit bien dans le circuit, je vous prie. »

Il se passa encore près de trois heures avant qu’ils ne reçoivent enfin un message du commandant de la flottille. « Ici le commandant en chef de quatrième classe Kolani, commandant la flottille 734 des Mondes syndiqués. » La voix et l’attitude de Kolani étaient d’une raideur inusuelle, exempte toutefois de l’habituel sourire hypocrite et de l’authentique arrogance des officiers supérieurs syndics. Elle faisait relativement jeune pour son grade, mais il fallait dire que les commandants en chef syndics les plus expérimentés avaient déjà trouvé la mort en combattant l’Alliance. Son uniforme était pourtant taillé avec élégance et elle était coiffée à la perfection. Visiblement, une crise de cette envergure ne suffisait pas à exercer un effet négatif sur la tenue correcte des jeunes officiers syndics. « On m’a ordonné de vous contacter pour organiser la défense de ce système.

— Et elle n’apprécie pas du tout, fit allègrement remarquer Desjani.

— Je vous prie de… (Kolani donna quasiment l’impression de s’étouffer en articulant ce dernier mot) de me soumettre vos… suggestions concernant le redéploiement dans ce système des… (elle dut encore s’interrompre une seconde) forces mobiles des Mondes syndiqués et de l’Alliance. » Ses yeux flamboyèrent et sa posture se fit encore plus rigide. « Nous sommes prêts à mourir pour défendre notre peuple. Kolani. Terminé. »

La joie mauvaise de Desjani s’était muée en un sourire narquois. « Coriace, la gamine ! Ce serait sûrement amusant d’échanger des horions avec elle !

— Sans aucun doute, convint Geary.

— Comptez-vous leur demander de combattre à nos côtés ? »

Il se tourna vers elle. « Ça ne me semble pas une très bonne idée. Qu’en dites-vous ?

— Une idée atroce, affirma Desjani. Aller au feu avec des vaisseaux syndics à portée de tir ? Peu me chaut ce que dit le traité de paix ; et que nous soyons censés combattre ici la main dans la main. De nombreux vaisseaux de l’Alliance auraient encore de bonnes chances de cibler ces Syndics “ par inadvertance”. » Elle rumina un instant puis haussa les épaules. « De fait, dans le feu de l’action, ils pourraient bien les viser par la force de l’habitude, sans même chercher délibérément à frapper des gens avec qui nous sommes censés avoir fait la paix. Nous avons passé notre entière existence à voir en eux des ennemis et des cibles. Ça ne changera pas du jour au lendemain. »

Elle soutint un instant le regard de Geary et il déchiffra aisément le message qui se lisait dans ses yeux : Si l’Indomptable se trouvait à portée d’engagement d’un de ces vaisseaux syndics, je serais parfaitement capable de le faire dans le feu de l’action ; de le viser parce qu’ils ont toujours été l’ennemi. Pas exprès, sans doute, mais sans regrets ni remords non plus après coup.

Si bien que Geary opina de manière à bien lui faire comprendre qu’il avait parfaitement saisi tant ce qu’elle avait dit que ce qu’elle avait passé sous silence. « Merci pour votre franchise. Il est essentiel que je continue à entendre ce genre de discours. Hormis les craintes que vous venez de soulever, je ne crois pas qu’œuvrer à l’unisson avec les Syndics donnerait des résultats satisfaisants. Nous n’avons pas encore établi de procédure commune à cet effet, rien qui nous permettrait, ni aux Syndics ni à nous-mêmes, de certifier qu’un camp saurait suivre les ordres de l’autre.

— Autre inconvénient, en effet. Allez-vous l’exhorter à se tenir à l’écart… Très loin de nous ?

— Pas aussi directement. » Geary s’efforça de s’exprimer d’une voix égale et de conserver un visage neutre pour envoyer sa réponse au commandant de la flottille syndic. « Merci pour votre offre d’assistance, mais, compte tenu des rapports hostiles qu’entretenaient encore récemment nos deux peuples et de l’absence de procédures tactiques communes, il me semble que les risques de méprise ou de mauvaise interprétation seraient par trop élevés. Nous prions donc votre flottille d’adopter une position au tiers environ de la distance séparant la principale planète habitée de ce système du point d’émergence probable des extraterrestres. La flotte de l’Alliance, quant à elle, se placera en orbite aux deux tiers environ de la même distance. En l’honneur de nos ancêtres. Geary. Terminé. »

Desjani secoua la tête avec une ostensible incrédulité. « Je me demande comment vous faites pour leur parler.

— Comment j’arrive à former mes phrases, voulez-vous dire ? J’ai croisé des vaisseaux syndics durant ma carrière, voilà plus d’un siècle, quand nous étions encore en paix. J’ai dû apprendre à communiquer avec eux à l’époque.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. » Desjani serra les dents et ses yeux se perdirent dans de lointains souvenirs. « Je ne sais pas comment vous pouvez leur parler sans menacer ni exiger. J’en serais incapable. Je ne jurerais pas qu’un autre officier de la flotte le puisse. » Elle reporta sur lui un regard de nouveau approbateur. « Les vivantes étoiles en savent plus long que nous ne l’imaginons. Elles savaient que nous avions besoin de vous pour sauver cette flotte et gagner la guerre, et que nous aurions encore besoin de vous ensuite, de quelqu’un qui ne serait pas comme nous rongé par l’amertume et la colère pour avoir combattu ces salauds depuis notre naissance. De quelqu’un qui saurait reparler aux Syndics. »