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De nouveau sa « mission sacrée ». Geary avait nourri l’espoir qu’une fois la guerre finie l’illusion selon laquelle les vivantes étoiles l’auraient fait revenir du passé se dissiperait vite. Mais Desjani s’était toujours cramponnée à cette fable et elle n’était pas la seule, loin de là, à voir dans le déroulement des événements la main de puissances supérieures. De sorte qu’il s’efforça de ne pas faire la grimace.

Elle n’en surprit pas moins sa réaction. « Pardonnez-moi. Je sais que ce sujet vous met mal à l’aise.

— Je ne suis qu’un homme, lui rappela-t-il.

— Rien qu’un homme ? » Elle sourit. « À vos ordres, amiral. » Geary savait d’expérience, depuis un bon moment, que lorsque Desjani répondait par un simple « À vos ordres ! » elle n’était pas réellement d’accord. Mais son sourire s’effaça aussi vite qu’il était venu. « Le hic, c’est qu’on a encore besoin de vous.

— Je ne suis certainement pas le seul à pouvoir faire cela, Tanya. D’autres devront apprendre, parce que je ne peux pas être partout à la fois et que je ne serai pas toujours là non plus.

— Je vous l’accorde. » Elle fit la grimace. « J’essaierai.

— Vous avez fait bien plus qu’essayer, capitaine Desjani, et je vous en suis reconnaissant. Bon, encore environ six heures et nous saurons ce que la flottille syndic compte faire. Nous aurons adopté notre position bien avant. Si ces extraterrestres se montrent, nous serons prêts à les recevoir.

— Et sinon ?

— Nous improviserons, capitaine Desjani. »

Elle sourit derechef. « Absolument. »

La flotte attendait déjà en orbite quand une réponse lui parvint de la flottille syndic. Son commandant en chef affichait la même expression constipée que lors de sa dernière transmission, et elle récitait sa réplique comme si elle l’avait apprise par cœur : « Les forces mobiles syndics de ce système stellaire répondent affirmativement à votre requête. Elles vont gagner une orbite d’où elles pourront si besoin réagir aux événements. Au nom du peuple syndic. Kolani, terminé. »

Le sénateur Sakaï se pencha dans son fauteuil, l’air intrigué. « Elle a choisi la formule de courtoisie officielle pour mettre fin à sa transmission. Les Syndics ont cessé de le faire depuis plus d’une génération. Je ne la connais que pour l’avoir entendue dans des archives enregistrées. Peut-être faut-il y voir le signe qu’ils sont disposés à nous parler de nouveau de manière rationnelle.

— Pas avant nous, affirma Desjani d’une voix inquiète mais résolue. Ils ne réapprendront pas à nous parler avant que nous n’ayons appris à leur reparler. »

Et ce ne fut plus qu’une question de patience. La flotte de l’Alliance avait assumé une orbite qui la maintenait relativement immobile par rapport au point de saut pour Pelé. Celle de la flottille syndic, plus proche d’environ une heure-lumière de la principale planète habitée, lui était parallèle. Les transports de passagers syndics continuaient de fuir avec leur cargaison de réfugiés, les planètes et astéroïdes de graviter autour de leur étoile comme ils le faisaient depuis des lustres, mais les vaisseaux, eux, attendaient. Les Syndics n’adressaient plus de messages à la flotte, et Geary remarqua que ses officiers feignaient délibérément d’ignorer leur présence, comme s’ils préféraient défendre un système stellaire désert plutôt qu’occupé par des gens en qui ils voyaient encore des ennemis.

À nouveau gagné par la fébrilité, Geary se livra à l’une de ses déambulations dans les coursives de l’Indomptable en échangeant quelques mots avec des officiers et matelots sur le qui-vive. Un de ses interlocuteurs, un premier maître, lui posa la question que devaient ruminer tous les spatiaux de la flotte : « Qui sont-ils, amiral ? Qui sont ces extraterrestres ?

— Nul n’en sait rien, répondit Geary. C’est pour une grande part la raison de notre présence ici, chef. Découvrir ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent.

— Le bruit court sur les ponts qu’ils guignent un bon nombre de systèmes syndics, amiral.

— Ça y ressemble, chef. Mais nous ignorons où s’arrêtera leur ambition, ni quand ils viendront cogner à la porte de l’Alliance. S’ils sont réellement hostiles, nous préférons les arrêter sur place avant qu’ils ne frappent nos propres planètes. »

Le premier maître et les spatiaux qui l’entouraient opinèrent du bonnet. Le raisonnement leur semblait logique. « Ils sont pour quelque chose dans ce qui est arrivé à Kalixa ?

— C’est ce que nous croyons. »

Tous firent la grimace. « Une véritable horreur ! affirma le premier maître, résumant l’opinion générale. On ne peut pas leur permettre de faire subir cela à un système de l’Alliance.

— En effet, opina Geary. Ni même de leur laisser croire qu’ils pourraient s’en tirer impunément.

— Un peu comme à Grendel, hein, amiral ? avança le premier maître. Sauf que, cette fois, ce ne sont plus les Syndics qui essaient de nous prendre par surprise. Nous pouvons être reconnaissants aux vivantes étoiles de vous avoir avec nous, ici comme là-bas, amiral.

— Merci. Et je leur suis reconnaissant, moi, de vous avoir tous à mes côtés aujourd’hui. » Geary ne savait jamais trop comment il devait réagir aux propos semblables à ceux que venait de tenir le premier maître, mais, pourvu qu’elle fût sincère, une réponse simple lui semblait toujours préférable, et les spatiaux parurent au demeurant tous s’en satisfaire lorsqu’il les quitta.

Mais il n’en réfléchit pas moins à ce qu’avait dit le premier maître en poursuivant son chemin. D’une certaine façon ça ressemblait bel et bien à Grendel. De fait, la taille de la flottille syndic était assez proche de celle qu’il y avait affrontée avec les officiers et spatiaux du Merlon, son croiseur lourd. Mais ici c’étaient les vaisseaux de l’Alliance qui avaient fait irruption sans prévenir dans un système syndic, et cela pour affirmer leurs intentions pacifiques, soit exactement le contraire de ce qui s’était produit à Grendel. Et, cette fois aussi, la supériorité numérique jouait en faveur des forces de l’Alliance ; celle-ci, en outre, avait été invitée à se rendre dans ce système stellaire et n’avait nullement l’intention de menacer ses propriétaires légitimes. Comme Grendel, oui, mais en même temps complètement différent.

Les gens d’aujourd’hui croyaient avec ferveur qu’il avait gagné à Grendel, bien que son Merlon y eût été détruit. Il se demanda ce qu’auraient pensé ceux de sa propre époque, un siècle plus tôt, de l’affrontement imminent et du prix que l’humanité devrait payer.

Geary finit par remonter sur la passerelle de l’Indomptable et fixer un écran sur lequel pratiquement rien n’avait changé, alors que l’ultimatum des extraterrestres avait expiré depuis des heures. Desjani, toujours assise dans son fauteuil de commandement, tendue telle une panthère s’apprêtant à bondir sur sa proie, semblait n’avoir pas bougé d’un pouce. La même tension vigilante habitait ses officiers de quart, écartelés entre la confiance qu’ils vouaient à leurs chefs et à leurs capacités personnelles et la peur de l’inconnu. Derrière Geary, la sénatrice Costa céda à contrecœur sa place dans le fauteuil de l’observateur à Rione, qui s’y installa sans mot dire, imperturbable en apparence.

Une heure encore s’écoula, pendant laquelle les pensées de Geary vagabondèrent, allant des batailles qu’il avait livrées aux hommes, femmes et bâtiments qui y avaient ou n’y avaient pas survécu ; ses décisions, ses responsabilités. Les paroles du colonel des fusiliers Carabali lui revinrent en mémoire. Je suis lasse de décider qui doit vivre ou mourir.