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Et, brusquement, ils furent là, l’arrachant en sursaut à ses souvenirs. Désert un instant plus tôt, l’espace était maintenant rempli de vaisseaux.

De très nombreux vaisseaux.

Il sentit la tension grimper en flèche sur la passerelle et s’efforça de conserver au moins une apparence de sang-froid. « On dirait qu’ils ont la supériorité numérique.

— À environ deux contre un », confirma Desjani sur un ton tout aussi contrôlé. Il se demanda si, comme lui, elle simulait le calme. La sérénité de Desjani semblait toujours croître à mesure que se rapprochait l’imminence du combat. « Ils sont à peu près à deux heures-lumière et demie de nous et à une distance du point de saut qui paraît assez inhabituelle. Que disent les systèmes du vaisseau, lieutenant Kosti ? »

Visiblement tout content qu’on lui offrît l’occasion de se concentrer sur un autre sujet que le nombre des bâtiments extraterrestres, Kosti étudia ses écrans. « Ils ont émergé beaucoup plus loin du point que ne l’auraient fait nos vaisseaux. Les systèmes sont incapables de dire s’ils se servent d’un mode de propulsion totalement différent du nôtre pour exploiter le phénomène du saut ou bien du même avec des résultats différents. »

Desjani hocha la tête. « Merci. Ça signifie qu’ils pourraient aussi sauter à plus longue portée ?

— Oui, commandant. Voire beaucoup plus loin. Mais nous ne pouvons pas le certifier. »

Geary concentra de nouveau son attention sur les extraterrestres, dont l’armada était disposée en six sous-formations discoïdales, groupées trois par trois en deux V, dont une légèrement au-dessus des deux autres. Un des deux V surplombait l’autre et le dépassait d’une courte tête. « Je vois mal comment cette configuration leur permettrait de combattre. Ne pourrait-on pas obtenir une meilleure définition de chacun de leurs vaisseaux ? » Les senseurs affichaient au mieux des blocs flous.

« Non, amiral, répondit le lieutenant Kosti. C’est tout ce que nous captons. Nous pouvons tout juste affirmer qu’un bâtiment se trouve à un emplacement donné mais rien d’autre, pas même sa taille. Je n’ai aucune idée de la manière dont ils se débrouillent pour dissimuler aussi bien des objets de la dimension d’un vaisseau.

— Activez le canal de communication avec Boyens. Je veux qu’il voie ces images, mais sans rien entendre à moins qu’on ne s’adresse directement à lui.

— Je vous avais dit qu’ils disposaient d’époustouflantes capacités en matière de furtivité », triompha Boyens dès que sa présence virtuelle se manifesta et eut pris connaissance des données de l’hologramme. Normalement, elle n’aurait pas dû être autorisée sur la passerelle quand la bataille menaçait. « Cette image est la meilleure que nous ayons jamais obtenue des extraterrestres. Ils restent parfois totalement invisibles jusqu’au moment où ils se désoccultent.

— Avez-vous déjà vu un si grand nombre de vaisseaux ? lui demanda Geary.

— Non. Loin de là. » Le visage de l’officier syndic se plissait d’étonnement. « Pourquoi autant ? Ils ne pouvaient pas s’attendre à nous voir leur opposer des forces bien puissantes. Les Mondes syndiqués, je veux dire.

— Donnent-ils l’impression de toujours vouloir disposer d’un avantage écrasant sur nous ? s’enquit Rione.

— Difficile à dire. Les contacts se sont plutôt raréfiés au cours des dernières décennies et, autant que je le sache, nous ne les avons pas combattus depuis le début de cette même période.

— Nous allons voir ce qu’il en est aujourd’hui », déclara Geary. Bien que des politiciens de l’Alliance fussent présents sur l’Indomptable, il lui semblait qu’il devait s’adresser en personne aux extraterrestres. L’affaire prenait davantage la tournure d’un affrontement militaire que d’un règlement diplomatique. « Ici l’amiral Geary, commandant en chef de la flotte de l’Alliance. Je m’adresse aux spationefs inconnus qui viennent d’entrer dans ce système stellaire. Veuillez vous identifier et renoncer à vous enfoncer plus avant à l’intérieur de ce système. Nous ne désirons pas ouvrir les hostilités, mais la flotte de l’Alliance est prête à entreprendre toute action nécessaire pour repousser une agression contre Mitan. »

Rione fixait son écran, le visage blême. « Il va donc y avoir un combat. Une nouvelle guerre.

— Peut-être. Je vais m’efforcer de l’éviter.

— J’en suis persuadée, mais ils ont dû nous voir peu après leur émergence, n’empêche qu’ils continuent de progresser vers l’étoile. J’espérais que nous pourrions communiquer, mais, compte tenu de leur supériorité numérique, ils n’en éprouveront peut-être pas le besoin. » Sur les écrans, les vaisseaux extraterrestres viraient vers l’intérieur du système et se rapprochaient de la flotte.

« Ils ne recevront pas mon message avant deux heures et demie. Nous verrons bien comment ils y réagiront.

— Mais ils connaissent déjà notre présence et continuent pourtant d’avancer.

— Ouais. » Geary voyait mal ce qu’il aurait pu ajouter.

Rione se rapprocha de lui. « Pourrez-vous vaincre une armada de cette taille, amiral Geary ? s’enquit-elle en chuchotant quasiment.

— Je n’en sais rien. Nous ignorons trop de choses sur eux. »

Desjani prit la parole, d’une voix plus sonore que Rione : « Si quelqu’un peut les vaincre, c’est l’amiral Geary. »

Rione fixait toujours Geary. « Me voilà de nouveau d’accord avec elle. Désolée.

— Tâchez de ne pas en faire une habitude. C’est très déconcertant.

— M’est avis que vous n’avez pas à vous en inquiéter », répondit sèchement Rione. À quoi Desjani, le regard toujours rivé sur son écran, répondit d’un simple hochement de tête.

La réponse des extraterrestres leur parvint un peu plus de cinq heures plus tard, laissant entendre qu’ils avaient mis un certain temps à la concocter. Les trois sénateurs étaient présents, avides de se trouver sur la passerelle quand arriverait ce message historique. Mais, dans la mesure où ils se tenaient tranquilles, Geary s’abstint de les exhorter à quitter les lieux.

La transmission montrait une passerelle identique à celle d’un bâtiment syndic, occupée par des silhouettes d’aspect humain vêtues de tenues parfaitement quelconques. Boyens pointa l’index. « Vous voyez ? C’est complètement bidon. Les premières transmissions que nous leur avons adressées étaient en vidéo, bien entendu, mais ils ne nous ont d’abord répondu qu’en audio, quasiment par monosyllabes au début. Puis nous avons commencé à recevoir des images identiques à celles-ci. Nous avons procédé à l’analyse des passerelles qu’on nous montrait et reconnu les composants logiciels de celles de bâtiments syndics ayant communiqué avec eux. Pareil pour ces “humains”. Ce sont des objets composites numérisés, des images de synthèse copiées sur le personnel des Mondes syndiqués. »

Geary étudia la représentation de la passerelle syndic puis hocha la tête. « Tout cela est vétuste, n’est-ce pas ? Il me semble reconnaître dans cette fausse passerelle certains éléments des vaisseaux de guerre syndics du siècle dernier. Ils n’ont jamais réactualisé leurs images.

— Vous avez raison, dit Boyens. Nous nous sommes demandé s’ils les laissaient en l’état parce qu’ils se moquent éperdument de dévoiler leur jeu ou bien parce qu’ils ne se rendent pas compte que ces images datées les trahissent. »

« L’homme » assis dans le fauteuil de commandement sur la passerelle du vaisseau extraterrestre affichait le sourire mielleux, parfaitement imité, d’un commandant en chef syndic. « Sont-ils au moins conscients que ce sourire est visiblement frelaté ? se demanda Rione à voix basse.