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Desjani brisa le silence qui s’ensuivit : « Elle s’imagine que nous allons fuir ? » La fureur unanime régnant sur la passerelle semblait au moins l’égale de la sienne.

Mais Geary avait compris. « Les extraterrestres ont dû lui envoyer ce message en même temps qu’ils nous adressaient leur première transmission. Elle n’a aucune raison de penser que nous serions prêts à mourir pour défendre la population d’un système syndic, mais elle ne nous le reproche pas.

— Pour qui nous prend-elle ? demanda Desjani. Cette flotte ne bat pas en retraite. »

Elle l’avait pourtant fait, au moins sous le commandement de Geary : lors du premier traquenard syndic dans leur système mère et de nouveau par la suite. Mais Geary savait ce qu’elle voulait dire, et la conviction que l’attitude de tout le personnel de la flotte se conformerait à celle de Desjani lorsqu’il apprendrait que les Syndics leur avaient proposé de se replier honorablement ne pouvait que lui réchauffer le cœur. Sans doute la perspective de défendre des Syndics ne l’enthousiasmerait-elle pas, mais, s’il fallait choisir entre le combat et la fuite, il opterait pour le combat.

Rione fixa Desjani en fronçant les sourcils de surprise, s’absorba un instant dans ses réflexions puis s’adressa à voix basse aux autres sénateurs.

Geary décocha un sourire lugubre à son capitaine de pavillon. « Non. Nous n’allons pas fuir. » C’était insensé, assurément. La supériorité numérique d’Énigma était ridiculement écrasante, et, si les capacités de ses vaisseaux restaient inconnues, elles seraient probablement supérieures à celles des vaisseaux humains, ainsi que leurs manœuvres venaient d’en apporter la preuve. Mais ce serait vraisemblablement le cas partout ailleurs. Au contraire, ce rapport de forces risquait de devenir de plus en plus défavorable à mesure que les extraterrestres feraient main basse sur d’autres systèmes stellaires humains, de plus en plus nombreux, et qu’ils se renforceraient en même temps qu’ils affaibliraient l’humanité. Autant voir ici et maintenant si nous sommes capables de leur nuire suffisamment pour les arrêter. Mais comment savoir ce que signifie exactement ce « suffisamment » ?

Il rappela d’abord Iceni. « Nous avons pris bonne note de votre sollicitude pour le sort de notre personnel et nous vous en remercions, mais nous avons pris l’engagement de repousser l’agression contre ce système stellaire et nous ne nous y soustrairons pas. Nous combattrons si nécessaire et nous comptons bien l’emporter. J’ai l’expérience de situations similaires, apparemment désespérées, et je peux vous certifier qu’elles ne le sont pas toujours autant qu’elles le laissent croire. Je répète : la flotte de l’Alliance combattra ici s’il le faut. En l’honneur de nos ancêtres. Geary, terminé. » Aux extraterrestres, maintenant. « La flotte de l’Alliance ne quittera ce système que lorsque vos vaisseaux s’en seront retirés. Soit vous traitez avec nous, soit vous nous combattez. Nous ne vous céderons pas ce système stellaire. Vos vaisseaux ne seront pas autorisés à passer outre. Nous préférerions parlementer mais nous nous battrons si besoin. » Geary s’interrompit puis enfonça de nouveau quelques touches. « À toutes les unités de l’Alliance, nos transmissions aux vaisseaux de l’espèce extraterrestre n’ont encore produit aucun résultat. Préparez-vous au combat. Quels qu’ils soient, ces êtres regretteront d’avoir eu maille à partir avec notre flotte. »

Les sénateurs discutaient toujours, à mi-voix mais l’air visiblement très excités, et jetaient de temps en temps vers Desjani et les officiers de la passerelle des regards agacés. « Ne voudriez-vous pas poursuivre ailleurs votre discussion ? leur demanda Geary.

— Peu importe, répondit Rione en fixant aigrement ses deux interlocuteurs. Nous n’avons pas plus que vous de réponse à cette situation.

— Devons-nous absolument les combattre ? demanda Sakaï.

— Sénateur, compte tenu du rapport de forces, je n’ai aucune envie de combattre ces êtres. Mais je vois mal ce que je pourrais faire d’autre s’ils continuaient d’avancer. Il faut leur démontrer que l’humanité est prête à se battre pour interdire d’autres atrocités comme celle de Kalixa.

— L’anéantissement de votre flotte ne fera pas progresser les intérêts de l’Alliance », répondit Sakaï. Costa hocha énergiquement la tête pour exprimer son approbation. « Cette espèce Énigma ne semble pas se laisser pas facilement intimider. »

Geary cherchait encore la réponse adéquate quand Desjani plissa pensivement le front : « La flottille de réserve. »

Il la dévisagea en s’efforçant de comprendre ce qu’elle voulait dire, puis ça le frappa : « Les extraterrestres n’ont pas tenté d’attaquer ce système ni de le revendiquer quand la flottille de réserve syndic défendait encore la région. La zone frontalière est restée stable pendant des décennies.

— Et cette flottille était beaucoup moins forte que la flotte », renchérit Desjani.

Costa et Sakaï la regardaient fixement, mais Rione hocha la tête. « On peut donc les intimider, à ce qu’il semble. Mais pourquoi, s’ils disposaient d’autant de vaisseaux pour l’attaquer ? »

Des alarmes retentirent brusquement et Geary releva la tête, cette fois pour scruter son écran où d’autres vaisseaux extraterrestres venaient subitement d’apparaître, non pas près du point de saut mais à côté de l’armada : trois autres sous-formations en V au-dessus des deux premières et légèrement en avant.

D’une seconde à l’autre, le rapport de forces était passé de deux à trois contre un en faveur d’Énigma.

Onze

Geary se tourna vers la présence virtuelle de Boyens. « Expliquez-moi comment ils ont fait ça. »

L’officier syndic évitait de croiser son regard. « C’est déjà arrivé. Je ne l’ai pas vécu personnellement, mais je me suis repassé les enregistrements de contacts antérieurs. Je vous l’ai déjà dit. Parfois on ne voit pas leurs vaisseaux avant qu’ils se désoccultent. Les bâtiments syndics ne distinguaient même pas ces blocs flous jusqu’au moment où ils apparaissaient brusquement à proximité et ouvraient le feu.

— Quand comptiez-vous nous divulguer cette tactique extraterrestre ? » s’enquit Geary.

Boyens daigna enfin le regarder dans les yeux. « Les enregistrements de nos vaisseaux détruits étaient fragmentaires voire inexacts. Mais je tenais à ce que vous veniez combattre ici. Seriez-vous venu si je vous l’avais révélée ?

— S’il me faut les combattre, je dois être informé de ce genre de détails ! fulmina Geary en tournant le dos au Syndic pour regarder Desjani. Très bien. C’est de pire en pire ! »

Elle opina. Le redoublement de la menace ennemie la laissait apparemment imperturbable. « Nous pourrions frapper les sous-formations du sommet pour amoindrir leurs forces.

— On peut toujours essayer. »

Que les vaisseaux extraterrestres fussent nettement plus maniables que les bâtiments humains, ce qui compliquerait énormément la manœuvre, resta du domaine du non-dit. Il afficha une fenêtre de simulation et entreprit d’échafauder des formations susceptibles de pallier l’avantage numérique de l’ennemi et de perturber ses réactions puis opta pour cinq sous-formations de son cru. En les lançant contre les flancs de l’ennemi, il réussirait peut-être…

« Nouveau message entrant d’Énigma. »

Le temps était visiblement passé plus vite qu’il ne l’avait cru. Les avatars humains des extraterrestres affichaient à présent une austère suffisance. « Dernier avertissement. Partez. Des pourparlers ne seront acceptés qu’avec les Mondes syndiqués. Si la flotte de l’Alliance reste, elle sera anéantie. Cette étoile n’est pas vôtre. Partez. Dernier avertissement. »