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— C’est du moins ce que nous disent nos senseurs.

— Mais ce qu’ils nous disent est absurde, compte tenu de ce que nous savons d’autre du comportement des extraterrestres par le passé, comme de leur comportement actuel. Si cette image est exacte, alors tout ce que nous savons d’autre doit être faux. »

Geary voyait parfaitement où elle voulait en venir : aux mêmes conclusions auxquelles son propre cerveau venait d’aboutir. « Les Syndics croient savoir certaines choses sur les extraterrestres, et ce qu’ils s’imaginent connaître à leur sujet les a conduits à tirer des conclusions sur leurs capacités. » À l’instar de Boyens, persuadé que les extraterrestres ne pouvaient pas être responsables de l’effondrement du portail de Kalixa. Ou des Syndics de leur système mère, inconscients de la présence de logiciels malfaisants dans les systèmes de leurs vaisseaux. « Mais nous-mêmes ne sommes pas partis des mêmes a priori pour tenter de les comprendre. Tout ce que nous croyons savoir sur eux résulte de nouvelles observations, de ce que nous avons appris en assistant aux événements et en les analysant, et je jurerais, sur l’honneur de mes ancêtres, que les conclusions auxquelles nous sommes parvenues ni rien de ce que nous pensons savoir n’est entaché d’erreur. Donc, si c’est bien exact…

—… c’est que l’image que nous avons sous les yeux est fausse », termina Desjani.

Un cheval de Troie. Cachant en son sein une menace invisible. Et l’attention de Geary, comme celle de tous les autres officiers de la flotte, se focalisait sur les apparences, en l’occurrence l’armada extraterrestre. « Nous avons bien expurgé de ces virus tous les systèmes de nos vaisseaux, n’est-ce pas ? »

Desjani hocha la tête. « C’est désormais la routine pour la sécurité des systèmes.

— L’avons-nous fait depuis notre arrivée ici ? »

Elle lui décocha un sourire lugubre puis se retourna. « Lieutenant Castries, trouvez-moi à quand remonte le dernier nettoyage des systèmes chargé d’éliminer les vers basés sur les probabilités quantiques. »

Un tantinet éberlué, Castries procéda en toute hâte à la vérification. « À deux jours, commandant.

— Avant que nous ne voyions les extraterrestres pour la première fois », fit remarquer Geary.

Desjani opina et ses lèvres s’étirèrent, montrant ses dents, en un rictus qui n’avait plus rien d’un sourire. « Ordonnez au personnel de la sécurité de se livrer à un nouveau contrôle de routine de tous les systèmes du vaisseau, lieutenant.

— De tous les systèmes ? Tout de suite ?

— Non, lieutenant. Il y a une demi-heure. »

Le lieutenant se précipitant pour enjoindre à l’officier de la sécurité de lancer le diagnostic, Desjani jeta à Geary un regard en biais. « Ils auraient activé de nouveaux virus ?

— Vous voulez parier ?

— Dans les systèmes des senseurs ? Ceux de l’analyse et des écrans ?

— Ouaip.

— Parce que nous n’avons aucune idée de la manière dont ils s’y prennent pour créer ces virus. Ils pourraient être dormants et rester indétectables jusqu’au moment où les vaisseaux surviennent et envoient un signal pour les activer. Et, si leur aptitude à suivre la flotte à la trace est bien un indice, ce signal doit se déplacer plus vite que la lumière, tant et si bien qu’il les active avant même que nous ne constations l’arrivée de leurs vaisseaux. Nous n’avons jamais vu que ce qu’ils voulaient nous faire voir. »

Geary opina. « S’il en est ainsi, pourquoi n’attaquent-ils pas quand le rapport de forces joue en leur faveur ?

— Précisément parce qu’il ne correspond pas à ce que nous voyons. » Elle le regarda dans les yeux en souriant et il ressentit lui aussi cette impression incomparable, cette sensation que l’on éprouve lorsqu’on est exactement sur la même longueur d’onde qu’un tiers, qu’il remplit une partie du puzzle pendant que vous remplissez l’autre et que vos deux esprits travaillent en parfait synchronisme. Le sourire de Desjani se fit amer. « On fait une sacrée équipe.

— En effet. » Il n’en dit pas plus et ils attendirent qu’une fenêtre s’ouvre entre eux, encadrant un officier de la sécurité médusé.

« Amiral, commandant, nous avons découvert un tas de virus basés sur les probabilités quantiques dans les systèmes. Combat, senseurs, manœuvres, analyse. Je ne sais absolument pas d’où ils proviennent ni comment ils opèrent, mais nous sommes en train de nous en débarrasser. »

L’écran de Geary clignota, se remit à jour, vacilla encore et se réactualisa : de nombreux vaisseaux extraterrestres disparaissaient tout bonnement chaque fois qu’il se rallumait, tandis que leur armada rétrécissait au rythme de l’élimination des virus infectant les systèmes de l’Indomptable. Les derniers bâtiments surgis de nulle part et la grande majorité de ceux qui formaient les deux V inférieurs de la formation s’évanouirent aussi.

Le sourire mauvais de Desjani avait carrément viré au rictus féroce. « On les voit. »

Le brouillage interdisant jusqu’aux silhouettes des vaisseaux extraterrestres de se dessiner s’était dissipé, révélant que tous, sans considération de taille, avaient à peu près la même forme légèrement plus ramassée et arrondie que celle des bâtiments humains. Si ces derniers évoquaient des squales, ceux des extraterrestres ressemblaient plutôt à des tortues épineuses. « Que je sois pendu ! Pas étonnant que leur “furtivité” ait toujours trompé les Syndics ! Elle ne venait pas des systèmes de leurs vaisseaux mais des virus qui altéraient l’image captée par les senseurs syndics.

— Beau boulot, amiral Geary.

— Je n’aurais strictement rien vu si vous ne m’aviez pas mis sur la voie. » Il lui rendit son sourire. « Une foutue équipe, capitaine Desjani. »

Boyens avait lui aussi constaté ces modifications et il fixait les écrans, bouche bée. « Qu’avez-vous fait ?

— Ça restera pour l’instant notre secret. » Il était conscient qu’il leur faudrait partager avec les Syndics la méthode permettant de découvrir et de neutraliser les virus extraterrestres, mais, pour l’heure, il jubilait à l’idée de laisser Boyens dans l’ignorance. « L’essentiel, c’est que nous sommes désormais deux fois plus nombreux qu’eux au lieu de trois fois moins. »

Desjani reprit la parole ; elle souriait toujours, mais d’une façon à présent pour le moins effrayante. « Les Syndics affirmaient qu’ils étaient pratiquement incapables de toucher un vaisseau extraterrestre et que leurs tirs n’avaient aucun effet sur eux quand ils parvenaient à en placer un. Mais, si leurs systèmes de combat et leurs senseurs étaient infectés par tous ces virus, ceux-ci les déviaient probablement pour leur interdire de faire mouche sur les bâtiments réels. Et rien ne se passait, évidemment, quand ils touchaient un simulacre. Les extraterrestres ne sont pas invincibles et on peut maintenant les frapper.

— Y sommes-nous vraiment contraints ? » demanda Rione. Elle avait pris acte des derniers rebondissements, compris ce qui se passait et se tenait près de Geary. « Nous pourrions leur faire savoir que nous avons découvert leurs virus, que nous voyons distinctement leurs vaisseaux et que nous pouvons les abattre. Quand ils le sauront, ils consentiront probablement à se replier et à entamer des pourparlers.

— Croyez-vous ? demanda Desjani à la cantonade. À moins qu’ils ne nous tendent un autre piège que nous n’aurions pas encore appris à déjouer.

— C’est effectivement problématique, affirma Geary. Madame la coprésidente, ces extraterrestres ont provoqué l’effondrement du portail de Kalixa. Ils ont du sang humain sur les mains. Beaucoup.

— Je n’en disconviens pas, répondit Rione. Mais je ne vois pas l’intérêt de les inciter à en répandre davantage si nous pouvons l’éviter. Répandre le leur dans les mêmes proportions pourrait déclencher une guerre à mort entre nos deux espèces, un conflit que nous ne pourrions jamais arrêter. »