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Geary hocha la tête, tout en laissant à son intuition le soin de décider de l’instant précis de la manœuvre. Il avait ordonné à ses vaisseaux d’adopter leur formation de combat près d’une heure plus tôt, permettant ainsi aux extraterrestres de « prévoir » ce qu’il allait faire. Sa manœuvre finale devrait donc attendre le dernier moment, afin que l’ennemi ne puisse constater qu’il avait changé de cible à temps pour l’autoriser à modifier ses propres plans. Si Geary s’était trompé sur les projets de l’ennemi, cette passe risquait sans doute de tourner au fiasco, mais, à moins que les extraterrestres ne disposent d’armes secrètes qu’ils n’auraient pas encore employées, ce dernier scénario restait le pire envisageable. « À toutes les unités des formations Mérite Un, Deux et Trois, altérez votre trajectoire de quinze degrés vers le bas à T trente-cinq. Tirez dès que les cibles entrent dans votre enveloppe d’engagement. Geary, terminé. »

Sur un écran latéral retransmettant les images captées par les auxiliaires dont les systèmes étaient encore infectés par les virus extraterrestres, la manœuvre qu’il venait d’ordonner correspondait parfaitement à la description qu’en avait faite Desjani : un piqué suicidaire des sous-formations de l’Alliance entre la deuxième et la troisième couche de l’armada ennemie, les contraignant à affronter leurs tirs croisés à un contre deux. L’autre écran, nettoyé, montrait que les forces d’assaut de l’Alliance fondraient au dernier moment sur les vaisseaux extraterrestres de la deuxième couche, en disposant à l’instant du contact d’un avantage de quatre contre un en termes de puissance de feu.

Geary songea à la tragédie qu’était, comme l’avait dit Sakaï, ce premier contact belliqueux avec des extraterrestres. Mais il pensait aussi à tous les vaisseaux syndics que ces mêmes extraterrestres avaient détruits au cours du siècle passé, tous bâtiments dont l’équipage ignorait à quel point il était handicapé par leurs logiciels hostiles. Les extraterrestres avaient bénéficié d’un énorme avantage et, visiblement, n’avaient eu aucun scrupule à l’exploiter.

À T trente-cinq, les trois sous-formations combattantes de l’Alliance basculèrent vers le bas tandis que celle des auxiliaires maintenait le cap et dépassait la bagarre en trombe, sans encombre, « Remontez, tas de salopards ! marmonna Desjani avant de glapir férocement : Les voilà ! »

Incapable de voir à temps le changement de cap de dernière minute de la flotte, toute la formation extraterrestre avait à son tour basculé vers le haut, tant et si bien que les bâtiments de sa deuxième couche auraient frappé ceux de l’Alliance qui visaient sa troisième couche illusoire.

Mais les vaisseaux de la flotte ne visaient rien d’illusoire ; ils piquaient à la rencontre de l’ennemi qui remontait.

Le contact eut lieu, fugace, et Geary exhala enfin la bouffée d’air qu’il avait retenue. Aucune super arme extraterrestre n’était venue compenser la perte de leur avantage logiciel. L’Indomptable était intact, bien qu’il entendît parler de frappes qui l’avaient frôlé.

L’image, brouillée par les virus, retransmise par les auxiliaires ne montrait aucun changement dans l’armada ennemie après la rencontre, mais les senseurs décontaminés de la flotte réactualisaient rapidement leurs estimations. Prise de court par une puissance de feu nettement supérieure, la deuxième couche de l’armada extraterrestre avait été dévastée : les trois quarts environ de ses vaisseaux étaient entièrement détruits où réduits à l’état d’épaves inoffensives.

Les extraterrestres semblaient avoir concentré leurs frappes sur les croiseurs de combat de l’Alliance en négligeant escorteurs et cuirassés, mais la destruction massive de leurs bâtiments avait affaibli leur tir de barrage. La malédiction de l’Invincible n’était toujours pas levée puisque ce vaisseau avait essuyé les plus gros dommages et n’était pratiquement plus opérationnel. L’Illustre aussi avait été frappé, ainsi que l’Ascendant, l’Auspice, le Brillant, le Risque-tout, le Dragon et le Vaillant. Les autres, comme l’Indomptable, avaient été touchés, mais sans se voir infliger de graves dégâts.

« Ici l’amiral Geary. Formations Mérite Un et Quatre, remontez de cent quatre-vingt-dix degrés à T quarante-deux. Formation Mérite Deux, virez à cent quatre-vingt-dix degrés sur bâbord à T quarante-deux. Formation Mérite Trois, virez à cent quatre-vingt-dix degrés sur tribord à T quarante-deux. » Les quatre sous-formations entamèrent chacune une trajectoire largement incurvée ; celle qui prenait l’Indomptable pour pivot remonta à la poursuite de l’ennemi, tandis que les trois autres s’éloignaient pour revenir l’affronter de face.

Les extraterrestres mirent apparemment plusieurs minutes à se rendre compte du désastre et à voir les manœuvres de la flotte, puis leurs vaisseaux rescapés piquèrent vers le bas à une rapidité confondante pour adopter un vecteur les ramenant sous les trois sous-formations de l’Alliance qui s’efforçaient de les coincer dans une nouvelle passe d’armes.

« Pas moyen de les rattraper, capitaine, annonça la vigie des manœuvres d’une voix dépitée. Ils ont viré trop vite. Ils vont nous passer sous le nez.

— On peut toujours les chasser de ce système stellaire », suggéra Desjani.

Geary réfléchit un instant puis secoua la tête. « Non. Ça risquerait de leur apporter la confirmation de la supériorité de leurs vaisseaux en termes de maniabilité. Laissons-les partir avec l’impression gravée dans leur esprit que nous les avons battus à plate couture. En outre, il nous reste quelques-uns de leurs bâtiments blessés à exploiter. » Les épaves impuissantes de nombreux vaisseaux extraterrestres seraient vraisemblablement une mine de renseignements.

Leurs cadavres à coup sûr, en tout cas. Et, avec un peu de chance, ils trouveraient des extraterrestres encore en vie avec qui entamer un vrai dialogue, et du matériel qu’on pourrait reproduire et dont on pourrait retirer des connaissances scientifiques. « Avons-nous vu des modules de survie s’échapper de leurs bâtiments ?

— Non, amiral, répondit la vigie des manœuvres. Rien n’en est sorti.

— Ils doivent bien avoir des espèces de radeaux de sauvetage, avança Desjani.

— Si c’est le cas, ils ne s’en sont pas servis. Envoyons donc quelques vaisseaux auprès de ces épaves… » Des alarmes clignotèrent sur l’écran de Geary, lui coupant la parole. « Que nos ancêtres nous viennent en aide ! Ils sont en train d’exploser. »

Toutes les épaves extraterrestres avaient explosé en même temps : des lueurs flamboyantes s’épanouissaient, marquant leur totale destruction et celle de tout et tous ceux, quels qu’ils fussent, qui se trouvaient à leur bord.

La vigie de l’ingénierie étudiait attentivement son écran. « Amiral, les caractéristiques des détonations correspondent plus ou moins à celles de la surcharge d’un de nos réacteurs, mais considérablement plus violentes, surtout pour des vaisseaux de cette taille.

— Ça semble logique, fit remarquer Desjani, la voix et le visage durs. Pour manœuvrer de la sorte, il leur faut des réacteurs beaucoup plus puissants. J’imagine qu’ils trouvent acceptable le suicide collectif.

— Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un suicide, commandant. Les surcharges n’étaient pas exactement simultanées. Le moment de chaque explosion différait de quelques millièmes de seconde, selon une sorte d’onde en expansion. On a dû envoyer un signal pour les provoquer, et l’onde en question semblait propagée par un des vaisseaux rescapés. »