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Costa se rembrunit davantage. « Je n’arrive toujours pas à voir en eux des alliés.

— Ils ne seront plus très longtemps des Syndics, si ça peut vous faciliter la tâche.

— Un loup pourra toujours se faire passer pour un chien, il n’en restera pas moins un loup. » Costa jeta un regard aigre à Geary. « J’espère que vous ne comptez pas prendre votre retraite de sitôt, amiral. Je peux vous certifier que ce serait très mal reçu. »

L’expression de Geary resta indéchiffrable. « Je m’y attendais plus ou moins. Mais j’ai passé certains accords avec le Conseil. »

Costa ne parvint pas à dissimuler totalement l’amusement sardonique que lui inspiraient les paroles de Geary. « Bien sûr », se contenta-t-elle de répondre, tandis que Sakaï s’interdisait toute réaction. Rione, pour sa part, réussit à décocher à Geary, à l’insu de ses collègues, un clin d’œil de mise en garde.

Tous les doutes qui subsistaient en lui quant à la duplicité du Grand Conseil, relativement aux promesses qu’il lui avait faites, s’évanouirent.

Mais lui aussi pouvait jouer à ces petits jeux. Il avait déjoué les tours de cochon des Syndics et des extraterrestres, et ceux du Grand Conseil connaîtraient le même sort.

En quittant la soute des navettes, il ne put s’interdire de songer à l’ironie de la situation : lui aussi, comme Badaya, voyait désormais le gouvernement de l’Alliance comme un autre obstacle à surmonter. Mais, à la différence de ceux de Badaya, ses objectifs étaient purement personnels. Le gouvernement pouvait sans doute prendre des mesures, mais Geary, lui, tenait à conserver un minimum de contrôle sur sa propre vie.

Il lui semblait l’avoir bien mérité.

Il rejoignit Desjani sur la passerelle ; en regardant la navette de l’Alliance s’apparier avec le croiseur lourd syndic, Desjani donnait l’impression qu’elle s’apprêtait d’un instant à l’autre à larguer des spectres sur ce bâtiment si d’aventure il ouvrait le feu sur la navette. Mais, au bout de quelques minutes, la navette annonça que le transfèrement s’était bien passé et se détacha du vaisseau syndic pour regagner l’Indomptable.

Alors qu’elle réintégrait sa soute, Desjani elle-même parut enfin se détendre. « Rentrons-nous chez nous, maintenant ?

— Oui. » Geary se rejeta en arrière pour observer les images de la flotte sur son écran. « On rentre à la maison. »

Douze

Ça faisait tout drôle de rentrer chez soi sans devoir affronter la perspective d’un combat imminent, d’emprunter l’hypernet syndic et de traverser les systèmes stellaires des Mondes syndiqués (ou ex-Mondes syndiqués) sans craindre d’être attaqué. Certains dirigeants syndics avaient même offert de leur vendre des minerais bruts pour réapprovisionner les soutes des auxiliaires, mais personne dans la flotte n’était encore prêt à se fier à eux pour une telle transaction.

Alors qu’ils transitaient par le dernier système syndic avant de sauter pour Varandal et l’espace de l’Alliance, Geary organisa ce qui lui semblait la dernière réunion qu’il tiendrait avec ses conseillers les plus dignes de confiance. Desjani avait l’air songeuse, mais elle avait trouvé ces derniers temps toutes sortes de raisons pour éviter de lui parler, sans que lui-même sache pourquoi. Duellos s’était départi de la longue figure qu’il dissimulait depuis toujours derrière un masque de désinvolture. Tulev donnait l’impression d’avoir décidé de réapprendre à sourire, mais de ne pas s’en être entièrement persuadé. « Alors, c’est à cela que ressemble la paix ? demanda-t-il.

— Je n’en sais trop rien, avoua Geary. Avec toutes ces menaces encore suspendues au-dessus de nos têtes, la paix me paraît encore bien loin.

— Mais les Mondes syndiqués ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, du moins pour un bon bout de temps.

— L’Alliance devra faire face aux mêmes pressions. Rione s’attend à ce qu’un grand nombre de systèmes stellaires, voire de coalitions plus importantes, comme la Fédération du Rift ou sa propre République de Callas, réclament davantage d’autonomie et des engagements plus limités vis-à-vis de l’Alliance.

— Des engagements plus limités ! lâcha dédaigneusement Desjani. Moins de contributions financières, voulez-vous dire ! Maintenant qu’ils se sentent en sécurité, ils tiennent à ce que l’Alliance continue à les défendre mais refusent de débourser.

— C’est assez vrai, ouais. Le grand danger qui nous menaçait tous a disparu, et faire admettre à ces populations lasses de la guerre la nécessité de traiter avec les États qui prendront la succession des Mondes syndiqués et d’affronter une menace extraterrestre de dimension inconnue ne sera pas chose facile.

— Le coût de la victoire a été très élevé, déclara Duellos. Trop peut-être pour l’Alliance. Mais la défaite aura coûté encore plus cher aux Syndics. »

Ils portèrent ensemble un toast à la victoire et à leur survie, puis les présences virtuelles de Duellos et de Tulev prirent congé.

Mais Desjani resta assise à la table, les mains jointes devant elle et la tête légèrement baissée.

Geary patienta quelques instants, mais elle resta coite, de sorte qu’il finit par se décider : « Qu’est-ce qui se passe ?

— Je ne sais pas. » Sa voix était sourde.

« S’agit-il de quelque chose dont vous voudriez que nous parlions ?

— C’est la seule chose dont je ne peux pas parler.

— Oh ! » Il attendit encore un peu. « Pouvons-nous au moins parler de vous ?

— De moi ? Non, amiral. Ce ne serait pas très avisé, je crois. »

L’écoutille s’était refermée hermétiquement. Geary ne put s’interdire de ressentir un léger agacement. Elle avait l’air de vouloir parler et de se le refuser en même temps. « Essayons par ce biais, alors. L’amiral s’inquiète pour un de ses meilleurs commandants, qu’un problème personnel semble profondément turlupiner. Y a-t-il des aspects de ce problème que vous jugeriez convenables de partager avec lui ?

— Peut-être. » Elle détourna le regard et se passa les doigts dans les cheveux. » J’ai consacré tant d’années à devenir ce que je suis. L’idée qu’on puisse voir quelqu’un d’autre en me regardant est difficile à accepter.

— Vous me l’avez déjà dit. J’aimerais avoir la réponse.

— Je ne peux pas m’attendre à une réponse et encore moins à une discussion ouverte. La seule chose que j’aimerais savoir pour l’instant, c’est si vous comprenez réellement ce que je ressens.

— Extrêmement bien », répliqua Geary. Elle lui jeta un regard, les sourcils froncés, mais il poursuivit : « La première fois que je me suis réveillé à bord de l’Indomptable, vous vous teniez tous autour de moi et vous me regardiez en parlant de Black Jack Geary, ce héros, et des légendes qui l’entouraient. J’ai compris depuis l’effet que ça pouvait faire. »

Le visage de Desjani se radoucit et l’embarras se substitua à sa moue revêche. « Vous m’avez devant vous. Il m’a fallu un bon moment pour voir l’homme que vous êtes plutôt que Black Jack.

— Mais, comme vous me l’avez dit, l’univers continuera de voir Black Jack en moi.

— L’addition de deux erreurs fait-elle une vérité ? Deux visions faussées de la même personne ? Je n’en sais rien. Je n’en sais strictement rien. Et je ne sais pas non plus si vous me voyez telle que je suis. Qui voyez-vous en me regardant ? Qui croyez-vous que je sois ? Ne répondez pas. Nous n’avons pas le droit d’aborder ces sujets.

— Je vous vois telle que vous êtes vraiment, je crois, répondit prudemment Geary.