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» Dis à ton petit-fils Michael que je suis désolé. C’était un excellent officier. Un véritable héros. Nous ramenons chez eux quelques survivants de l’équipage du Riposte. Ils étaient toujours détenus dans le système mère syndic. Ils ne peuvent pas nous confirmer qu’il y a trouvé la mort, mais aucun ne saurait non plus affirmer qu’il a réussi à quitter son vaisseau en vie. Je regretterai jusqu’à la fin de mes jours de n’avoir pas pu le sauver.

» Jane est une femme magnifique. Je tâcherai de veiller sur elle. Mais c’est une Geary. Volontaire et butée. Je ne sais pas si elle envisage de rester dans la flotte ou d’en démissionner pour devenir architecte.

» Elle a maintenant le choix. Tout comme les enfants de Michael. Je remercie les vivantes étoiles d’avoir obtenu ce résultat. »

« Amiral, les dernières unités de la flotte ont adopté l’orbite qui leur a été assignée dans le système de Varandal.

— Merci. » Le panneau de communication de sa cabine s’éteignit à nouveau et Geary se tourna vers l’hologramme qui flottait au-dessus de la table. L’Indomptable et de nombreux autres vaisseaux avaient pris position plus d’une demi-journée plus tôt à proximité de la station spatiale d’Ambaru. Des navettes y avaient déjà conduit du personnel de l’Indomptable, pour régler des questions officielles ou entamer une permission depuis longtemps reportée. Mais d’autres bâtiments n’avaient gagné leur propre position, parfois proche d’une station orbitale différente, qu’avec un certain retard. La flotte était assez vaste pour que personne ne tînt à encombrer une ou deux installations avec le constant trafic de personnel que les vaisseaux risquaient d’engendrer.

On en était donc là. Les ordres et les plans que Geary avait établis pour la flotte depuis son retour avaient déjà été envoyés et mis en œuvre. Il avait satisfait à toutes les attentes, à son sens du devoir, à son honneur, et rempli toutes ses promesses et toutes les conditions auxquelles avait consenti le Grand Conseil. Même la menace d’un coup d’État semblait pour l’instant écartée, tant Badaya et ses alliés étaient persuadés que toutes les décisions importantes étaient secrètement prises par Geary, et tant la fin officielle du conflit les comblait. Il leva la main pour ôter les insignes d’amiral de la flotte, non sans quelque regret puisque Tanya les avait épinglés elle-même sur son uniforme, et se planta une seconde devant son miroir pour y fixer celui de capitaine.

Il balaya du regard sa cabine de l’Indomptable, le diorama des étoiles qui ornait une de ses cloisons, les chaises, la table à laquelle il avait échafaudé d’innombrables simulations et plans de bataille. Cette pièce avait été son foyer depuis son réveil, hormis durant les deux semaines qui avaient précédé la mort de l’amiral Bloch. Le seul de toute cette période.

Il allait le quitter pendant un moment. L’Alliance lui devait assurément quelques semaines de répit, et, en un si bref laps de temps, ça ne risquait pas de tourner au vinaigre. Il se demanda où il pourrait bien se rendre et ce qu’il y ferait. On lui tomberait dessus partout où il irait alors qu’il n’aspirait qu’à se cacher pendant quelque temps sans avoir à s’inquiéter du sort de l’Alliance et des vaisseaux de la flotte, ni se voir contraint de prendre des décisions cruciales.

Mais pas seul, du moins l’espérait-il. Il allait enfin pouvoir ouvrir son cœur à quelqu’un. Même si Tanya Desjani l’avait indubitablement évité pendant les deux derniers jours. Sans doute luttait-elle comme lui contre le désir pressant de lui avouer ce qu’elle ressentait, avant même qu’ils ne pussent s’entretenir honorablement de ce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre, et s’efforçait-elle de le refouler.

Bien qu’il s’apprêtât à le quitter, il avait la conviction qu’il reviendrait à bord de l’Indomptable. L’Alliance ferait probablement encore appel à Black Jack, car l’univers n’offrait toujours pas, loin de là, l’aspect d’un paquet bien ficelé. Ce qu’elle pourrait ou devrait faire de ce capharnaüm qu’étaient devenus les Mondes syndiqués restait sans doute sujet à caution, mais Geary avait la certitude que la flotte serait de nouveau mise à contribution. Ne serait-ce qu’en raison des nombreux prisonniers de guerre de l’Alliance disséminés et abandonnés au sein de cet empire en déconfiture, qu’il faudrait retrouver et rapatrier.

Et restaient les extraterrestres, de l’autre côté de l’espace syndic, menace persistante dont on ne savait toujours pas grand-chose et qui, indubitablement, devait épier l’humanité et inventer de nouvelles ruses pour la contraindre à œuvrer contre elle-même, sinon préparer de nouvelles offensives ; ce que ces êtres éprouvaient à l’égard de leurs pertes récentes n’était pas moins opaque. Comme ce qui se passait par-delà leur territoire. S’il existait une espèce intelligente non humaine, il pouvait y en avoir beaucoup d’autres.

Non. L’histoire ne s’achevait pas sur un heureux dénouement. Mais il avait sauvé la flotte. Il avait mis un terme à la guerre. Il avait fait plus qu’il ne l’avait cru possible.

Il procéda à une dernière vérification de sa boîte de réception, en ignorant délibérément la longue liste des transmissions du QG de la flotte. Tout cela pouvait attendre. Il était persuadé qu’un message au moins lui annoncerait sa promotion renouvelée au grade d’amiral, et qu’un autre contiendrait des ordres le concernant, mais le Grand Conseil et le QG de la flotte s’étaient trahis en n’accordant à leurs transmissions qu’une priorité normale et des intitulés anodins. Cela pour lui interdire de deviner leur teneur avant de les ouvrir, mais en lui offrant également une excuse idéale puisqu’ils semblaient dénués d’importance. Je ne suis peut-être qu’un officier de la flotte, mais pas un crétin d’officier, surtout depuis que j’ai fréquenté Rione et que je l’ai vue à l’œuvre.

Il adressa un bref message à sa hiérarchie :

En concordance avec les accords pris antérieurement, je renonce aujourd’hui à mon grade temporaire en temps de guerre pour reprendre celui de capitaine de vaisseau et, par le fait, au commandement de la flotte. Mes dernières mesures d’amiral seront de m’autoriser une permission de trente jours prenant effet ce jour et de transférer provisoirement mes fonctions à l’amiral Timbal, en suspendant toute décision à cet égard à celles du quartier général de la flotte et du Grand Conseil de l’Alliance.

Très respectueusement,

John Geary,
capitaine de la flotte de l’Alliance.

Il ordonna ensuite la transmission du message dans un délai de dix heures puis sortit se mettre en quête de Desjani.

Mais il n’avait pas ouvert son écoutille que Rione s’y encadrait et lui adressait un regard énigmatique. « Vous allez quelque part ? demanda-t-elle.

— En fait, oui. Si vous voulez bien m’excuser…

— On ne vous a pas encore promu au grade d’amiral pour la seconde fois ?

— Le message m’en avisant est probablement dans ma boîte de réception, sans doute en compagnie d’autres transmissions m’ordonnant de me présenter quelque part au rapport pour prendre un commandement, mais je n’ai aucune intention de les lire avant trente jours. Autant que je sache, je suis de nouveau capitaine et rien ne m’interdit de prendre cette permission. » Il lui jeta un regard mitigé, moitié agacé, moitié penaud. « Je dois y aller.