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Certains de ses interlocuteurs détournèrent le regard, l’air embarrassé, mais Navarro, lui, fixa Rione droit dans les yeux : « Nous avons cru comprendre que vous aviez été très proche du capitaine Geary, madame la coprésidente. Votre affirmation ne serait-elle pas influencée par cette relation ?

— Une relation purement physique, reconnut nonchalamment Rione. Et très brève. » Elle renonça brusquement à sa placidité et se redressa sur son siège pour reprendre sur un ton de nouveau officiel : « Certaines des informations que nous avons pu glaner dans l’espace syndic laissent entendre que mon mari aurait été capturé vivant. Il l’est peut-être encore. Je leur reste avant tout fidèle, à l’Alliance et à lui. »

Un autre sénateur secoua la tête. « Vous avez couché avec un autre homme alors que votre époux était peut-être encore en vie ? Il n’y a pas de mots pour décrire un tel déshonneur… »

Les joues de Rione virèrent à l’écarlate sous le coup de la colère, réaction très inhabituelle chez elle, mais Geary prit le premier la parole : « Elle ignorait sur le moment qu’il vivait peut-être encore. La coprésidente Rione est une femme d’honneur.

— Tandis que vous, sénateur Gizelle, vous ne reconnaîtriez pas l’honneur s’il vous serrait le cou à deux mains à vous en faire exploser le crâne. »

La voix de Rione avait comme tranché dans le silence qui suivait les paroles de Geary. Navarro se leva et abattit derechef la paume sur la table, mettant fin à toute discussion. « Ça suffit ! Contentez-vous de répondre à la question, sénatrice Rione. Votre jugement est-il impartial ?

— Oui. » Rione secoua la tête à son tour et regarda autour d’elle ; elle avait apparemment recouvré son sang-froid. « Tout le monde ici sait ce que le capitaine Geary pourrait faire en ce moment même. Ce qu’il aurait déjà pu faire. Il pourrait se trouver avec toute sa flotte dans le système stellaire d’Unité et mettre le Sénat aux arrêts, acclamé par la population de l’Alliance. Avez-vous la moindre idée du temps qu’il lui a fallu pour comprendre que ça pouvait arriver ? L’idée ne l’a même pas effleuré. Elle ne fait pas partie de son univers. Elle ne l’a toujours pas traversé. Mais certaines personnes agiraient volontiers en se réclamant de lui, et nous devons les empêcher d’entreprendre une action que nul, ensuite, ne serait en mesure d’arrêter. Alors, s’il vous plaît, tâchons d’éviter d’autres absurdités, comme, par exemple, de mettre le capitaine Geary sous les verrous. Il n’abusera pas de son pouvoir contre l’Alliance.

— J’aimerais le croire, répondit Navarro. Mais j’ignore si j’ose le croire.

— Alors laissez-moi vous montrer quelque chose. » Rione chargea un dossier et Geary vit une image de lui sur la passerelle de l’Indomptable. Il se demanda comment Rione avait eu accès au journal de bord du vaisseau et où cet enregistrement avait été pratiqué, puis il entendit ce qui se disait et comprit. Il datait du moment où il s’était aperçu que le personnel de la flotte de l’Alliance s’apprêtait, comme pour une opération de routine, à assassiner des prisonniers de guerre.

Le clip terminé, Rione désigna Geary. « Ces événements se sont déroulés à Corvus peu après que le capitaine Geary a pris le commandement de la flotte. Croyez-vous qu’il jouait la comédie ? Absolument pas. C’étaient nos ancêtres qui s’exprimaient par la bouche de cet homme, mes chers collègues.

— Je vais devoir m’entretenir avec les miens, marmonna Navarro, dont les yeux se baissèrent fugacement avant de se reporter de nouveau sur Geary. Résumez-nous le plan que vous recommandez, capitaine Geary. Puisque vous ne comptez pas mener la flotte à Unité pour fourrer nos misérables derrières derrière les barreaux, où donc voulez-vous la conduire ? »

Geary n’aurait jamais cru qu’il pût un jour briefer personnellement le Grand Conseil, et encore moins entendre son président formuler cette question en ces termes. Il afficha de nouveau l’hologramme des étoiles. « J’ai proposé deux lignes d’action. En premier lieu, je crois essentiel d’apporter un suivi aux dommages infligés aux Syndics lors des derniers engagements. Si on leur en laisse le temps, ils pourront reconstruire leurs forces spatiales, mais, si nous frappons vite, nous réussirons peut-être à les contraindre à mettre un terme au conflit. » L’image changea pour se centrer sur une étoile, et les soupirs qui parvinrent à Geary de l’autre côté de la table ne lui parurent nullement imaginaires.

« Le système mère syndic ? demanda la femme râblée d’une voix teintée d’incrédulité. N’est-ce pas là que vous êtes entré en scène, capitaine Geary ? Pour tirer la flotte d’un piège mortel avec la plus grande difficulté ?

— Effectivement, madame, mais la situation a changé. Leur flotte a été décimée. Quelques vaisseaux ont certes pu s’échapper d’ici quand nous avons repoussé leur attaque, mais, même en en tenant compte et en ajoutant ceux dont les Syndics auraient depuis entrepris le chantier, nous devrions avoir de bonnes chances. » Geary désigna l’étoile. « Nous avons réussi à ramener ici, en bon état, la clef de l’hypernet syndic, et nous pouvons maintenant nous en servir pour conduire rapidement la flotte jusqu’à leur système mère, balayer ses défenseurs et imposer à leurs dirigeants des négociations sérieuses. Elle nous octroie l’avantage dont nous avions besoin pour frapper vite et fort au cœur de l’espace syndic.

— Et si leurs dirigeants refusaient ces négociations sérieuses ? demanda Navarro en appuyant le menton sur ses deux mains en clocher.

— Alors nous utiliserions des munitions à grande profondeur de pénétration pour provoquer une volte-face de la direction syndic, monsieur. » Geary avait eu maintes fois la preuve que les dirigeants ennemis étaient prêts à sacrifier de larges pans de leur population tandis qu’eux-mêmes restaient en sûreté, mais il ne leur en laisserait pas l’occasion cette fois.

« Quelles conditions mettriez-vous à leur reddition ? s’enquit la sénatrice Suva.

— C’est au Grand Conseil d’en décider, répondit Rione, mais, à mon avis, en l’occurrence, il faudrait tenir compte du peu d’avantages que nous gagnerions en imposant nos exigences aux Syndics, comparativement au prix que nous coûterait la poursuite de cette guerre. Je suggère que nous nous contentions de leur proposer la cessation des hostilités et un retour aux conditions antérieures au conflit, en même temps qu’un échange bilatéral de tous les prisonniers encore en vie, ainsi que d’informations concernant le sort de tous les détenus depuis le début de la guerre.

— Tous nos sacrifices auraient donc été faits en vain ! s’indigna la femme râblée.

— Comme tous les leurs, fit remarquer Navarro. Vous marquez là un point capital, sénatrice Rione, et vous connaissez aussi bien que nous l’état dans lequel se trouve l’Alliance aujourd’hui. » Quelques sénateurs s’apprêtèrent à prendre la parole, mais il leur imposa le silence d’un geste. « Nous débattrons de votre proposition en conseil privé, capitaine Geary, ainsi que de la suggestion de la coprésidente Rione. Quel est votre deuxième recommandation ? »