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Une réflexion bien simple va donner une preuve directe. Si ce crime était vrai, serions-nous obligé d’en chercher des preuves en 1818? Les geôliers qui ont gardé Pichegru et le capitaine Wright sont-ils donc tous morts? La police de France est confiée à un homme d’un esprit supérieur et ces gens n’ont point été interrogés publiquement. Il en est de même des hommes qui auraient été employés pour assassiner Pichegru et le capitaine Wright. Est-ce par ménagement pour la réputation de Napoléon que le gouvernement des Bourbons n’emploie pas ce moyen si simple? On a vu, dans le procès du malheureux général Bonnaire, des soldats répondre très librement qu’ils se souvenaient fort bien d’avoir fusillé Gordon, à des juges qui pouvaient à leur tour les faire fusiller.

Chapitre XXVI

Suite du même sujet

À Sainte-Hélène, le chirurgien Warden qui paraît être un véritable Anglais, c’est-à-dire un homme froid, borné, honnête et détestant Napoléon, lui dit un jour, que les vérités du saint évangile elles-mêmes ne lui avaient pas semblé plus évidentes que ses crimes. Warden, entraîné, malgré lui, par la grandeur d’âme et la simplicité de son interlocuteur, se laissa aller à développer ses sentiments[60]. Napoléon parut satisfait, et, par reconnaissance de sa franchise, lui demanda, à son grand étonnement, s’il se rappelait l’histoire du capitaine Wright. «Je répondis: Parfaitement bien; et il n’est pas une âme en Angleterre qui ne croie que vous l’avez fait mettre à mort au Temple. Il répliqua très vivement: Pour quel objet? Il était, de tous les hommes, celui dont la vie m’était la plus utile: où pouvais-je trouver un plus irrécusable témoin dans le procès qu’on instruisait contre les conspirateurs? C’était lui qui avait débarqué sur les côtes de France les chefs de la conspiration. Écoutez, ajouta Napoléon, et vous allez tout savoir. Votre gouvernement envoya un brick, commandé par le capitaine Wright, lequel débarqua sur les côtes de l’ouest de la France, des assassins et des espions. Soixante-dix de ces gens-là avaient réussi à gagner Paris, et toute cette affaire avait été menée avec tant d’adresse que, quoique le comte Réal, de la police, m’eût annoncé leur arrivée, jamais on ne put découvrir leur retraite. Je recevais tous les jours de nouveaux rapports de mes ministres qui m’annonçaient qu’on attenterait à ma vie, et, quoique je ne crusse pas la chose aussi probable qu’eux, je pris des précautions pour ma sûreté.

» Il arriva qu’on prit près de Lorient le brick commandé par le capitaine Wright. On mena cet officier au préfet du Morbihan, à Vannes. Le général Julien, alors préfet, et qui m’avait suivi en Égypte, reconnut sur-le-champ le capitaine Wright. Le général Julien reçut l’ordre de faire interroger séparément chaque matelot ou officier de l’équipage anglais et d’envoyer les interrogatoires au ministre de la police. D’abord, ces interrogatoires parurent assez insignifiants; cependant, à la fin, les dépositions d’un homme de l’équipage donnèrent ce qu’on cherchait. Il disait que le brick avait débarqué plusieurs Français, il s’en rappelait particulièrement un, un bon compagnon, fort gai, qu’on appelait Pichegru. C’est ce mot qui fit découvrir une conspiration qui, si elle eût réussi, aurait précipité pour une seconde fois la nation française dans les hasards d’une révolution. Le capitaine Wright fut amené au Temple; il devait y rester jusqu’au moment où l’on jugerait convenable de commencer le procès des conspirateurs. Les lois françaises auraient conduit Wright à l’échafaud. Mais ce détail n’avait aucune importance. L’essentiel était de s’assurer des chefs de la conspiration.» L’empereur finit par donner plusieurs fois l’assurance que le capitaine Wright avait mis fin à ses jours de ses propres mains, ainsi qu’il est dit dans le Moniteur, et de beaucoup meilleure heure qu’on ne le croit généralement.

Quand, à l’île d’Elbe, lord Ebrington mentionna à l’empereur la mort du capitaine Wright, d’abord, il ne se rappela pas ce nom anglais, mais, quand on lui apprit que c’était un compagnon de sir Sydney Smith, il dit: «Est-il donc mort en prison, car j’ai entièrement oublié la circonstance?» Il repoussa toute idée de coup d’État, ajouta qu’il n’avait fait mettre à mort aucun homme d’une manière clandestine et sans un jugement préalable. «Ma conscience est sans reproche sur ce point; si j’avais eu moins de répugnance à répandre le sang, peut-être ne serais-je pas ici en ce moment.»

Les dépositions de M. de Maubreuil pourraient faire croire que cette répugnance pour l’assassinat n’est pas aussi générale qu’on le croit[61].

Chapitre XXVII

Mort du duc d’Enghien

Le chirurgien Warden raconte qu’après l’histoire du capitaine Wright, et à son grand étonnement, Napoléon se mit à parler de la mort du duc d’Enghien. Il parlait avec vivacité et en se levant souvent du sopha sur lequel il était couché. «À cette époque de ma vie si pleine d’événements[62], j’avais réussi à redonner l’ordre et la tranquillité à un empire renversé de fond en comble par les factions et nageant dans le sang. Un grand peuple m’avait mis à sa tête. Remarquez que je n’arrivais pas au trône comme votre Cromwell ou votre Richard III. Rien de pareiclass="underline" je trouvai une couronne dans le ruisseau, j’essuyai la boue qui la couvrait et la mis sur ma tête. Ma vie était indispensable pour la durée de l’ordre si récemment rétabli, et que j’avais su conserver avec tant de succès, ainsi que le reconnaissaient en France les gens qui étaient à la tête de l’opinion. À cette époque, chaque nuit, on m’apportait des rapports, et ces rapports annonçaient tous qu’on tramait une conspiration, que des réunions avaient lieu à Paris dans des maisons particulières. Et cependant on ne pouvait obtenir de preuves satisfaisantes. Toute la vigilance d’une police infatigable était mise en défaut. Mes ministres allèrent jusqu’à suspecter le général Moreau. Ils me pressèrent souvent de signer l’ordre de son arrestation; mais ce général avait alors un si grand nom en France qu’il me semblait qu’il avait tout à perdre et rien à gagner en conspirant contre moi. Je refusai l’ordre de l’arrêter; je dis au ministre de la police: „Vous m’avez nommé Piehegru, Georges et Moreau; donnez-moi la preuve que le premier est à Paris et je ferai immédiatement arrêter le dernier.“ Une singulière circonstance conduisit à la découverte du complot. Une nuit, comme j’étais agité et sans sommeil, je quittai le lit et me mis à examiner la liste des conspirateurs. Le hasard qui, après tout, gouverne le monde, fit que mon œil s’arrêta au nom d’un chirurgien rentré depuis peu des prisons d’Angleterre. L’âge de cet homme, son éducation, l’expérience qu’il avait des choses de la vie, me portèrent à croire que sa conduite avait un tout autre motif qu’un enthousiasme de jeune homme en faveur des Bourbons. Autant que les circonstances me mettaient à même de le juger, l’argent devait-être le but de cet homme. Il fut arrêté; on le fit comparaître devant des agents de la police déguisés en juges, par lesquels il fut condamné à mort, et on lui annonça que l’arrêt était exécutoire dans un délai de six heures. Le stratagème eut son effet: il avoua.

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[60]

P. 128. 6e éd. chez Ackerman.

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[61]

Voir les dépositions de M. de Maubreuil, marquis d’Aulay, sténographiées, et qui coûtent Paris manuscrites.

Prudence; archi-prudence.

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[62]

Warden, p. 144.