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Chapitre XXX

Bonaparte et les Bourbons

Napoléon continua à parler de la famille des Barmécides[70]. «Si j’avais nourri le désir d’avoir en mon pouvoir tous les B… ou un membre quelconque de cette famille, je l’aurais pu facilement. Vos contrebandiers de mer (smugglers) m’offraient un B… pour 40.000 francs; mais, quand on en venait à une explication plus précise, ils ne répondaient pas absolument de livrer un B… vif; mais, avec la condition de mort ou vif, ils ne faisaient pas le moindre doute de pouvoir remplir leurs engagements. Mais mon but n’était pas uniquement de leur ôter la vie. Les circonstances s’arrangeaient tellement autour de moi, que je me tenais assuré de mon trône. J’avais la conscience de ma tranquillité, et j’accordais la tranquillité aux B… Tuer pour tuer, quoiqu’on ait pu dire de moi en Angleterre, n’est jamais entré dans mes maximes. Pour quelle fin aurais-je pu entretenir cette horrible manière de voir? Quand sir Georges Rumbold et M. Drake, qui étaient employés à entretenir une correspondance avec des conspirateurs à Paris, furent pris, ils ne furent pas mis à mort.»

Chapitre XXXI

Mort du duc d’Enghien

Je n’ai pas interrompu le récit de Napoléon. Deux réflexions me sont venues. On peut dire sur Pichegru: toute cette justification est fondée sur cette maxime ancienne:

«Celui-là fait le crime à qui le crime sert.»

Mais le despotisme n’a-t-il jamais de lubies inexplicables? Tout ce raisonnement serait également bon pour prouver que Napoléon n’a jamais menacé de faire fusiller MM. Laîné, Flaugergues et Renouard.

Sur la mort du duc d’Enghien, on pourra se demander, dans dix ans, de combien de degrés elle est plus injuste que celle du duc d’El[chingen][71]. À l’époque de la mort du duc d’Enghien, on disait à la cour que c’était une vie sacrifiée aux craintes des acquéreurs de domaines nationaux. Je tiens du général Duroc que l’impératrice Joséphine, pour obtenir la grâce du prince, se jeta aux genoux de Napoléon; il la repoussa avec humeur; il sortit de la chambre; elle se traîna sur ses genoux jusqu’à la porte. Dans la nuit, elle lui écrivit deux lettres; son excellent cœur était vraiment à la torture. J’ai ouï conter à la cour que l’aide de camp du maréchal Moncey, qui apporta la nouvelle que le duc d’Enghien était venu déguisé à Strasbourg, avait été induit en erreur. Le jeune prince avait une intrigue dans le pays de Bade avec une femme qu’il ne voulait pas compromettre, et, pour avoir des rendez-vous avec elle, disparaissait de temps en temps, ou habitait, pour sept ou huit jours, la cave de la maison de cette dame. On crut que, pendant ses absences, il venait conspirer à Strasbourg. C’est surtout cette circonstance qui détermina l’empereur. Les mémoires du comte Réal, du comte Lavalette et des ducs de Rovigo et de Vicence éclairciront tout ceci.

Dans tous les cas, Napoléon se serait épargné une justification pénible auprès de la postérité, en attendant, pour faire arrêter le duc d’Enghien, qu’il vînt une troisième fois à Strasbourg.

On peut se demander si jamais la liberté de la presse aurait pu faire autant de mal au premier consul que son asservissement lui en fit dans les affaires de la conspiration de 1804. Personne n’ajouta la moindre croyance à l’histoire de la conspiration; le premier consul fut regardé comme ayant assassiné gratuitement le duc d’Enghien, et comme se croyant assez mal affermi pour avoir eu peur de l’influence de Moreau. Malgré ces inconvénients, je crois que Napoléon tyran faisait bien d’enchaîner la presse. La nation française a une heureuse particularité: chez elle, l’immense majorité pensante est formée de petits propriétaires à vingt louis de rente. Cette classe est seule en possession aujourd’hui de l’énergie, que la politesse a détruite dans les rangs les plus élevés. Or cette classe ne comprend et ne croit à la longue, que ce qu’elle lit imprimé; les bruits de société expirent avant de lui arriver ou s’effacent bientôt de sa mémoire. Il n’y avait au monde qu’un moyen de la rendre sensible à ce qu’elle ne lit pas imprimé; c’était de l’alarmer sur les biens nationaux. Quant à Moreau, il fallait employer ce général, le mettre dans des circonstances où sa faiblesse parût dans tout son jour. Par exemple, lui faire perdre sa gloire par quelque expédition dans le genre de celle de Masséna en Portugal.

Chapitre XXXII

Projet de descente en Angleterre

Les projets de descente en Angleterre furent abandonnés parce que l’empereur ne trouva pas dans la marine les talents à jamais admirables que la Révolution avait fait naître dans les troupes de terre. Chose singulière, des officiers français semblèrent manquer de caractère. Par la conscription, l’empereur avait quatre-vingt mille hommes de rente[72]. Avec les pertes des hôpitaux cela suffit pour donner quatre grandes batailles par an. On pouvait, en quatre ans, tenter huit fois la descente en Angleterre, et pour qui connaît les bizarreries de la mer, une de ces descentes pouvait fort bien réussir. Voyez la flotte française partir de Toulon, prendre Malte et arriver en Égypte. L’Irlande, opprimée par la plus abominable et la plus sanguinaire tyrannie[73], pouvait fort bien, dans un accès de désespoir, accueillir l’étranger.

En mettant le pied en Angleterre, on divisait aux pauvres les biens des trois cents pairs; on proclamait la constitution des États-Unis d’Amérique, on organisait des autorités anglaises, on encourageait le jacobinisme, on déclarait qu’on avait été appelé par la partie opprimée de la nation, qu’on avait seulement voulu détruire un gouvernement aussi nuisible à la France qu’à l’Angleterre elle-même et qu’on était prêt à se retirer. Si, contre toute apparence, une nation dont le tiers est à l’aumône, n’écoutait pas ce langage, en partie sincère, on brûlait les quarante villes les plus importantes. Il était très probable que quinze millions d’hommes, dont un cinquième est poussé à bout par le gouvernement, et qui tous n’ont que du courage sans aucune expérience militaire, ne pourraient pas, de deux ou trois ans, résister à trente millions d’hommes obéissant avec assez de plaisir à un despote homme de génie.

Tout cela manqua parce qu’il ne se trouva pas de Nelson dans notre marine[74]. L’armée française quitta le camp de Boulogne pour une guerre continentale qui vint donner un nouvel éclat à la réputation militaire de l’empereur, et l’éleva à un point de grandeur que l’Europe n’avait vu dans aucun souverain, depuis les temps de Charlemagne. Pour la seconde fois, Napoléon vainquit la maison d’Autriche et fit la faute de l’épargner; seulement il lui prit ses États de Venise et força l’empereur François à renoncer à son ancien titre impérial et à l’influence qu’il lui donnait encore en Allemagne. La bataille d’Austerlitz est peut-être le chef-d’œuvre du genre. Le peuple remarqua avec étonnement que cette victoire fut remportée le 2 décembre, anniversaire du couronnement. Dès lors, personne ne fut plus choqué en France de cette cérémonie ridicule.

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[70]

Toujours le nom que Stendhal par prudence donne aux Bourbons. N.D.L.É.

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[71]

Prudence.

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[72]

En 1788, l’ancienne France avait vingt-cinq millions d’habitants; en 1818, elle en a plus de vingt-neuf. C’est que le nombre d’hommes est toujours proportionnel au nombre de grains de blé. Voir l’appendice de l’ouvrage de M. Le Sur sur la France. Paris, fin de 1817: cet appendice est fourni par les ministères.

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[73]

Voir l’Edinburgh Review, nos 56 ou 55*.

* En réalité c’est au № 54 que Stendhal renvoie ici, à un article sur la question catholique en Irlande. N.D.L.É.

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[74]

Ni Nelson, ni lord Cochrane. Voir l’histoire de l’amiral Villeneuve.